Nourrir des milliers de personnes en faisant pousser les légumes sur les toits des villes ? Ce n’est plus de l’ordre de l’utopie, mais bel et bien une initiative qui s’est concrétisée efficacement à Montréal. Deux serres urbaines d’hydroponie situées au cœur de la ville livrent chaque jour de beaux paniers de légumes frais à des milliers de Montréalais.
Alors que la moitié des sept milliards d’humains vivent en villes et que la tendance va en s’accélérant, nourrir les citadins de façons responsable et locale fait indéniablement partie des enjeux du siècle. Un enjeu qu’a bien assimilé Mohamed Hage, le fondateur du projet Lufa. L’homme a grandi dans un petit village du Liban où la situation était diamétralement différente. Là-bas, l’autosuffisance est une tradition millénaire. « Toute la nourriture provient du village », explique-t-il. Fondées en 2009, les fermes Lufa avaient pour optique de recréer ce rapport perdu de proximité avec la nourriture, en diminuant les intermédiaires et le transport requis, au cœur des villes.
Mohammed Hage / Flickr
6000 ménages livrés
Personnalisés sur internet puis livrés dans un des 150 points de livraisons, du café de quartier à la salle de musculation, leurs paniers hebdomadaires de légumes sortent de l’ordinaire. En effet, les légumes sont ramassés pendant la nuit, et à l’aube, les paniers sont assemblés et distribués aux habitants de Montréal pour une fraicheur maximale. Et c’est tout l’intérêt de la chose, créer un circuit-court dans une zone géographique improbable. À ce jour, les serres de toiture fournissent une trentaine de variétés de légumes, à laquelle s’ajoutent d’autres produits locaux, artisanaux et saisonniers. Depuis l’implantation du Marché en ligne, on peut en quelques clics préparer son panier via le site officiel. Les «lufavores» représenteraient déjà plus de 6000 ménages, autant chez les jeunes familles que les retraités. Le bouche-à-oreille amène de nouvelles inscriptions chaque semaine.
Coiffer un immeuble aurait ainsi de nombreux avantages. Tout d’abord, cet espace de production évite d’accaparer des terres arables bien rares et éloignées. Ensuite, les serres récupèrent 50 % de la chaleur de l’édifice du dessous, ce qui leur permet de faire des économies d’énergie conséquentes. De plus, les coûts d’énergie du bâtiment dans son entièreté diminuent également, les serres agissant comme un puissant isolant contre le froid. En hauteur, les plantes absorbent davantage de rayons du Soleil, car rien ne leur fait ombrage. Conséquences étonnantes de l’urbanisation, les niveaux de gaz carbonique sont plus élevés en ville à cause de la pollution atmosphérique, ce qui aide la croissance des plantes qui s’en nourrissent. Enfin, la toiture permet naturellement de récupérer l’eau de pluie pour alimenter le système.
L’hydroponie, entre critiques et avantages
Le choix polémique de l’hydroponie est le fruit d’une longue réflexion pour Mohamed Hage et son entreprise. Au Canada, il est actuellement impossible d’obtenir la certification biologique pour des cultures hydroponiques, même si la production se fait sans aucun intrant chimique. De plus, il était inenvisageable d’utiliser de la terre car très peu de toits sont conçus pour supporter une tel poids, explique Victoria Shinkaruk, responsable des communications chez Lufa. Le choix s’est donc naturellement porté sur l’hydroponie, couplé avec une ligne de production qui se veut responsable pour un bilan global positif.
En effet, les serres n’utilisent ni engrais, ni pesticides, ces derniers étant remplacés par une armée d’abeilles et de coccinelles, les ouvrières infatigables qui œuvrent à polliniser les plants et à les débarrasser des insectes nuisibles. La gestion de l’énergie fut cependant un véritable défi. Si les légumes sont produits à longueur d’année, les températures peuvent atteindre -40C en hiver dans la région. Ce sont des lampes qui chauffent les pièces, aidée par la circulation d’eau chaude dans les calorifères. Dans ces conditions extrêmes, les pans de tissu amovibles dont on se sert à la tombée du jour pour garder la chaleur demeurent fermés en permanence.
Son plus gros avantage, c’est de pouvoir économiser jusqu’à 90% d’eau par rapport à l’agriculture conventionnelle grâce à un circuit fermé. Enfin, la production à petite échelle permet de sélectionner nombre de variétés ancestrales, pour le bonheur des amoureux de saveurs disparues. Délicates, ces dernières bénéficient d’être peu manipulées et transportées entre la récolte et le consommateur.
THE CANADIAN PRESS/Graham Hughes
Interdiction de gaspiller ! Les légumes difformes, trop petits ou amochés sont vendus à prix réduit pour ne rien jeter. Une technique appliquée depuis peu en France suite au succès des Gueules Cassées (revoir : « Ils ont la gueule cassée mais se mangent« ). « Et ils sont très populaires ! » se réjouit Victoria Shinkaruk. Les résidus verts sont pour leur part compostés au sous-sol. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme (Lavoisier). Ainsi, on observe que la culture sur toits est un mouvement qui prend de l’ampleur dans les grandes villes du monde à l’instar des fermes urbaines à l’intérieur des bâtiments.
Mais les méthodes employées dépendent de l’engagement de chaque projet et de ceux qui les mènent. Ainsi, si le projet Lufa semble faire des efforts notables pour compenser le choix hydroponique par l’élimination de la pétrochimie, d’autres projets en abusent allègrement. Par ailleurs, les minéraux dissous dans l’eau pour nourrir les plantes sont non-renouvelables. D’où viennent-ils ? Leur production est-elle soutenable ? Cependant, proximité et fraîcheur, le faible impact écologique, l’absence de produits chimiques et la limitation du gaspillage d’eau, les avantages d’un tel projet semblent en faire une solution d’avenir qui concurrencera directement l’offre des supermarchés.
Sources : lufa.com / gothamgreens.com / causeaeffets.com /greenspiritfarms.com / laruchequiditoui.fr / Photographies à la discrétion de Lufa, via Flickr.