Sur un quai surplombant les pirogues multicolores de l’ancienne capitale du Sénégal, un jeune garçon descend de son vélo et jette sa bouteille en plastique dans la gueule béante d’une structure métallique en forme de poisson qui se détache de l’horizon. Ce poisson géant, dénommé Gobie, est une œuvre de Samba Sart. A bientôt 50 ans, l’artiste Saint-Louisien, accompagné de sa complice belge Isabelle Visart, s’est donné pour mission de sensibiliser les populations à la récupération des déchets plastiques qui asphyxient le littoral, en leur donnant un nouveau visage. C’est là l’essence de leur initiative FOR-SOPI, « ramasser et transformer » en langue locale. Un objectif ambitieux qui invite à découvrir l’atelier de Samba Sart, véritable jardin zoologique écologique rempli d’œuvres fantasques et d’animaux en plastique recyclé plus vrais que nature.
Samba Sart, l’artiste plasticien qui redessine le monde
Autodidacte, Samba Sart s’est formé auprès de son beau-frère, le peintre paysagiste renommé Niang, qui l’emmène peindre de nombreuses fresques murales dans des hôtels et parcs à travers le pays. « J’ai appris la peinture dans la nature, et c’est aujourd’hui comme ça qu’on reconnaît mon art. », déclare modestement l’artiste. Après de nombreuses réalisations en tant que peintre paysagiste, faisant de lui l’auteur de la grande majorité des fresques des parcs du Sénégal, Samba Sart décide en 2012 de s’engager dans un combat en faveur de l’environnement qu’il a vu se dégrader d’années en années, transformant Saint-Louis, sa ville remplie d’histoire, communément appelée « la Venise de l’Afrique », en une ville étouffée par les ordures ménagères et les déchets plastiques.
« C’est en 2012 que j’ai observé l’apparition des gobelets en plastique utilisés ici pour servir le café Touba dans les rues. Les gens les jetaient directement après utilisation… Je me suis dit que je devais faire quelque chose… », confie Samba. En s’inspirant de la nature, l’artiste a décidé de prôner la récupération et la transformation comme moyen de protection de l’environnement. Une motivation qui le pousse chaque jour à réaliser peintures et objets d’art à base de matériaux recyclés.
« Au début, je passais pour un fou, parce que je ramassais tout ! », plaisante Samba.
Des ateliers d’éducation environnementale axés sur le recyclage créatif
Pour partager sa démarche et éveiller les consciences, l’artiste plasticien a vite compris qu’il fallait concentrer son énergie sur la jeunesse, porteuse d’avenir et d’espoir pour son pays. Au Sénégal, l’éducation environnementale fait partie du programme scolaire, mais elle serait, d’après Samba, rarement enseignée ou mise en pratique. Depuis plusieurs années, Samba Sart a donc décidé de s’emparer lui-même de ce levier en réalisant des ateliers de sensibilisation et de recyclage des déchets dans les écoles et les quartiers. Son secret ? Recourir à l’art et la créativité des enfants pour faire émerger des prises de conscience.
Lorsque Samba se rend dans les écoles, il commence ses journées de formation par une observation de terrain. L’objectif : comprendre la façon dont les élèves évoluent dans et autour de leur école et dont ils gèrent leurs déchets. En ramassant les déchets avec les enfants, L’artiste, très apprécié pour sa pédagogie, les accompagne pour qu’ils questionnent le lien entre leur comportement et leur impact sur l’environnement. « Et, grâce à ce petit geste symbolique de ramassage, ils auront dans la tête des graines qui pourront germer et faire en sorte que demain, s’ils deviennent ministres de l’environnement, ils puissent être à même de faire changer les comportements. », affirme Samba.
Une fois les déchets rassemblés par les élèves, place au lavage, au séchage et au découpage. « C’est là que j’explique aux enfants une technique pour utiliser le plastique », raconte Samba. L’atelier bricolage peut commencer : les participants reçoivent une plaque blanche sur laquelle ils pourront dessiner la forme de leur choix. Ils y colleront ensuite les morceaux de plastiques colorés pour lui donner vie et relief.
Pour l’artiste formateur, animer ces ateliers créatifs permet d’éveiller et de sensibiliser les jeunes à la problématique du plastique, omniprésent dans leur quotidien. En le ramassant et le travaillant eux-mêmes, ils prennent aussi conscience que le recyclage ne suffit pas : il faut avant tout réduire ses déchets et changer ses habitudes de consommation.
Le poisson Gobie : symbole mondial de la lutte contre le plastique
Découverte sur Facebook en janvier 2018, la photo de cette poubelle géante en forme de poisson dénommé Gobie avait déjà fait le tour du monde quand Isabelle Visart, installée à Saint-Louis depuis quelques mois, la partage à son tour sur son réseau social. L’artiste Saint Louisien Samba Sart réagit directement en contactant Isabelle : « Il nous faut cela pour le Sénégal ».
Symboles forts de la lutte contre les déchets plastiques dans le monde, et peu à peu introduits dans différents points du globe (Bali, Afrique du sud, Inde, Honduras, Bretagne), les Gobies ont été reproduits à leur tour par Samba Sart au Sénégal pour être placés sur la plage de l’hydrobase de Saint-Louis, sur la Langue de barbarie, ainsi que dans la ville-même. « On a été voir tous les hôtels de Saint-Louis… Le Diamarek en a acheté deux. J’ai mobilisé mon réseau d’amis belges via Facebook, et, ensemble, nous avons reçu beaucoup de soutien pour les réaliser. », explique Isabelle Visart. Sa rencontre avec Samba Sart a d’ailleurs constitué un moment décisif pour l’artiste, qu’elle a encouragé et appuyé dans la mise en œuvre de ses projets.
D’abord en formes de poisson comme l’image initiale, puis dérivées en tortue, en djembé et même en contrebasse à l’occasion de l’édition 2019 du Festival de Jazz de Saint-Louis, ces poubelles sculptées en fer métallique de construction et filets de pêche abandonnés sur les plages, relèvent indéniablement de l’œuvre d’art.
Bien visible sur leur structure, l’inscription « Gobie aime le plastique, nourrissez-le » identifie leur cible : « on cherche à récupérer le plastique, on ne veut pas d’autres déchets. », affirme Samba. « Pour chaque Gobie, il y a un bâton écolo avec un crochet… Donc tu sors ce dont tu as besoin, et tu laisses le reste. », s’enthousiasme Samba. Le plastique dur est en général très vite récupéré pour être revendu sur les marchés ou à des initiatives de recyclage comme Pro-plast. Tous les autres plastiques légers, « non récupérés » (bouteilles, sacs, gobelets, etc.) sont alors soigneusement stockés dans l’atelier FOR-SOPI. L’artiste les utilisera pour la réalisation d’animaux en plastique upcyclé grandeur nature (girafes, crocodiles, flamands roses, etc) destinés à être exposés.
« A Saint-Louis, je sens que la population veut changer, mais ce qu’il manque, ce sont les mesures d’accompagnement. Il n’y a par exemple aucune poubelle installée le long des routes. Nous n’avons pas non plus d’appui pour notre projet, les autorités nous suivent sur Facebook, mais rien de plus », constate Isabelle. Dans la capitale dakaroise par contre, quatre poissons et une tortue ont été commandés aux artistes. Ainsi, aujourd’hui, Samba Sart et Isabelle Visart ont au total placé 14 poubelles géantes Gobies sur les côtes de Saint-Louis et de Dakar.
Pour le duo, les Gobies constituent une réponse concrète à la situation alarmante de prolifération du plastique sur les plages, mais avant tout, un outil choc de sensibilisation visant à attirer l’attention du public. « C’est un engagement pour développer mon pays, changer les comportements, et inciter à la participation », souligne l’artiste.
« Même si ce n’est pas encore la solution, les Gobies sont d’abord et avant tout des outils de conscientisation », conclut Isabelle. Et Samba d’ajouter : « Les Gobies ont aussi le mérite d’apprendre à trier : en demandant de ne jeter que du plastique dans les Gobies, il y a déjà un message qui permet de réfléchir à ses gestes quotidiens. »
Un projet de Parc animalier « écologique » pour voir toujours plus grand
Dans une démarche toujours plus ambitieuse, Samba Sart et Isabelle Visart ont le projet de mettre sur pied un Parc animalier « écologique » à proximité de la Réserve de Geumbeul au sud de Saint-Louis. Le Parc proposera un parcours en pleine nature à ses visiteurs, les invitant à découvrir des animaux grandeur nature réalisés par l’artiste avec du plastique de récupération. « Avec les animaux que j’ai fabriqués, j’ai participé à des expositions, notamment pour la Journée mondiale de l’environnement dont le thème était le braconnage. En voyant toutes mes créations exposées et les réactions positives des gens, j’ai imaginé créer un parc permanent avec tous ces animaux. », confie le plasticien déterminé.
À l’intérieur de ce parc et en complément, l’artiste et son bras droit souhaitent construire un Centre de Formation Ecologique en s’appuyant sur les métiers de l’art. Un endroit où parler des dangers du plastique, des espèces animales et végétales menacées et du braconnage, mais aussi où trouver des solutions face à ces menaces. « Quand j’ai commencé à fabriquer les animaux, mon but était d’apporter des solutions. Je ne voulais pas vendre mes animaux, je ne suis pas antiquaire. Si je voulais vendre, je ne penserais pas à ce parc ! », blague Samba.
Pour récolter les fonds nécessaires à la réalisation du Centre et du Parc, les deux initiateurs du concept FOR-SOPI lanceront très prochainement un crowdfunding. « Normalement, pour tout mettre en place, il nous faudrait 30.000 euros. C’est tout à fait réalisable. Et on va y arriver », affirme Isabelle Visart, plus motivée que jamais à poursuivre l’aventure FOR-SOPI avec Samba.
Dans un pays qui se targue de mettre en place un programme national « Zéro déchet », la gestion des déchets ménagers représente un défi majeur. La ville de Saint-Louis n’est qu’un exemple parmi d’autres de ville qui étouffe sous ce fléau mondial et dont la sauvegarde de l’environnement et du patrimoine nécessite une prise en charge urgente. Faute de dispositif de collecte et de solutions à leur portée, les citoyens jettent dans le fleuve, jettent dans la mer, jettent dans les rues. Ici, l’expression « plastique à usage unique » prend tout son sens : on boit son café, et on jette son gobelet par terre moins de cinq minutes plus tard. Si l’initiative FOR-SOPI du duo Sart-Visart ne résout pas une problématique mondiale dont l’origine tient plutôt à la production même des emballages plastiques, elle a le mérite de faire émerger une prise de conscience au sein de la population, en se focalisant sur les jeunes, plasticiens du monde de demain.
Et si djembés, girafes et poissons géants permettaient d’imaginer un autre monde ?
Apolline Stockem est journaliste, créatrice de contenus porteurs de sens mettant en lumière des initiatives concrètes en réponse aux enjeux socio-environnementaux mondiaux.
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Contact artiste et ateliers : forsopi.sart@gmail.comSamba Sart : Tél. (+221) 77 407 68 64 / Isabelle Visart : Tél. (+221) 77 399 71 42
Photographe : Brieuc Debontridder
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