Une septième limite planétaire bientôt franchie ? Selon les scientifiques de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique (PIK), le niveau d’acidification des océans est sur le point de « dépasser son seuil de sécurité ». Alors que six des neuf limites planétaires ont déjà été franchies, ce phénomène risque d’entrainer l’effondrement du système alimentaire et diminue considérablement la capacité des océans à stocker du carbone. Décryptage.
La planète Terre est « dans un état critique », alerte Johan Rockström, directeur du PIK et principal auteur d’un nouveau rapport publié le 24 septembre par le centre de recherche. À l’occasion de ce premier « bilan de santé planétaire », les scientifiques établissent que six des neuf limites planétaires ont déjà été transgressées : climat, biodiversité, eau, pollution chimique, anthropisation des sols et cycles du phosphore et de l’azote.
Alerte rouge pour la planète
Les trois autres processus en oeuvre restent actuellement dans l’espace de fonctionnement sûr, bien que l’acidification des océans soit en passe de dépasser le seuil de sécurité. « Une fois qu’une limite est franchie, le risque d’endommager de manière permanente les fonctions de soutien de la vie de la Terre augmente, tout comme la probabilité de franchir des points de basculement qui provoquent des changements irréversibles », alertent les chercheurs. Évidemment, « si plusieurs limites sont franchies, les risques augmentent considérablement ».
À la fin de l’année 2023, l’Institut de Postdam lance un partenariat académique à grande échelle, le Planetary Boundaries Science, destiné à réaliser un rapport annuel documentant les dernières informations scientifiques sur les divers processus de limite planétaire et leurs interdépendances. Chacun de ces seuils, comme le changement climatique ou la présence de produits chimiques synthétiques, de plastiques et d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, est actuellement quantifié par une ou deux variables de contrôle différentes.
Une septième limite sur le point d’être franchie
C’est en observant le taux de saturation en aragonite – une forme de carbonate de calcium utilisée par de nombreux organismes pour construire leurs coquilles ou squelettes – que les scientifiques ont constaté une augmentation de l’acidité des eaux de mer. « Le changement de l’état de saturation de l’aragonite est provoqué par une diminution des ions carbonate. Ces ions sont réduits car ils réagissent avec le CO2 émis par les sociétés humaines puis absorbé de l’atmosphère à la surface de l’océan. Les émissions de CO2 d’origine humaine sont donc le principal facteur d’acidification des océans », expliquent les auteurs du rapport.
Les impacts de cette diminution du pH des océans sont considérables : les coraux ont du mal à construire leur squelette, ce qui affaiblit considérablement les récifs, véritables oasis de biodiversité marine. Les mollusques et autres crustacés peinent également à former leurs coquilles, affaiblissant inévitablement leurs chances de survie et leur croissance. « Certains organismes, comme les ptéropodes de haute latitude, subissent déjà des dommages à leur coquille », regrette le PIK. Finalement, le déclin de ces organismes qui jouent un rôle central dans les chaines alimentaires marines « peut causer des dommages importants à l’ensemble de la biosphère océanique ».
Des conséquences « inévitables »
En outre, « les changements dans la chimie des carbonates réduisent la capacité de l’océan à séquestrer le carbone », affaiblissant ainsi sa capacité à atténuer le réchauffement climatique tandis que les émissions de dioxyde de carbone ne cessent d’augmenter.
Les deux autres processus qui demeurent malgré tout dans la « zone verte », présentent des évaluations légèrement plus positives. La charge d’aérosols dans l’atmosphère montre une tendance à la baisse, alors que la reconstitution de la couche d’ozone a atteint un plateau, « avec toutefois des tendances mitigées et des défis permanents pour combler le trou dans la couche d’ozone de l’Antarctique ». Depuis la signature du Protocole de Montréal en 1987, l’usage des substances chimiques détruisant la couche d’ozone a été banni.
« Nous entrons désormais dans une nouvelle ère »
L’état de santé de notre planète marque sans aucun doute un nouveau tournant pour l’humanité. « Alors qu’elle a prospéré pendant plus de 10 000 ans durant une période de stabilité climatique et de résilience du système terrestre, le rapport démontre que nous entrons désormais dans une nouvelle ère dangereuse, marquée par des symptômes croissants de transgressions des limites planétaire », déplorent les scientifiques.
Si le dépassement d’une ou plusieurs limites n’est pas équivalent à « des changements drastiques survenant du jour au lendemain », il marque donc l’entrée dans « un territoire de risque croissant ». Dans un contexte bien moins favorable à l’espèce humaine que l’a été l’Holocène jusqu’à présent, des phénomènes météorologiques extrêmes sont appelés à se multiplier. Incendies de forêt, inondations, cyclones ou pénuries d’eau sont à craindre dans différentes régions du monde.
Une action collective et intégrale est nécessaire
Pour l’équipe de chercheurs, il est fondamental de ne pas perdre de vue l’interdépendance de ces neuf phénomènes. « Cela signifie que pour s’attaquer à un problème, comme la limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C, il faut s’attaquer à tous les problèmes collectivement ». Si cette approche holistique peut sembler décourageante, « elle offre toutefois le potentiel de transformer ce qui semble être un fardeau en une opportunité de progrès durable ».
Selon le rapport, l’inversion des multiples facteurs qui poussent actuellement les systèmes vers des points de basculement peut produire des effets synergétiques de conservation et de résilience.
« Une action mondiale immédiate et coordonnée, impliquant les gouvernements, les entreprises et la société civile, est essentielle pour revenir à l’espace de fonctionnement sûr dans tous ces processus et assurer un avenir prospère pour les populations et la planète ».
– L.A.