Symbole d’un système industriel déshumanisé et à bout de souffle, Detroit devient en 2011 la première grande ville américaine se déclarant officiellement en faillite. Sa dette culmine à 18,5 milliards de dollars et son taux de chômage explose pour atteindre 50%. La « Motor City », haut lieu de l’industrie automobile américaine est alors au bord du gouffre et les politiques publiques peinent à résoudre un problème qui semble insoluble. C’est en prenant le virage de l’autosuffisance alimentaire que Detroit renaît pourtant peu à peu de ses cendres. La ville compte aujourd’hui 1400 fermes urbaines et produit jusqu’à 22 tonnes d’aliments frais chaque année, redistribuées gratuitement à la population. Créatrice d’emploi, vecteur de lien social, enjeu de santé publique ; et si la réappropriation de l’espace urbain était la réponse humaniste et rationnelle à une désindustrialisation inévitable ? Nous avons rencontré Florian et son équipe de Terreauciel, jeune SCOP toulousaine qui promeut cette voie alternative dans toute la France pour aborder la question.

« Une structure économique conforme à nos valeurs »

Portés par les valeurs de l’économie sociale et solidaire, l’équipe de jeunes agronomes met tout d’abord un point d’honneur à rappeler le nouveau statut de l’entreprise qui figure désormais parmi les SCOP françaises. « Le modèle de la Société Coopérative et Participative nous paraissait comme une évidence en ce qu’il correspondait davantage aux valeurs que nous véhiculons » explique Florian, ingénieur et responsable du développement commercial. « Avant de changer le monde, il était nécessaire de nous changer nous-même ! » renchérit-il. Dans un souci de cohérence, le partage de l’information, des risques, des profits et la prise de décision démocratique qui forment le substrat essentiel de toute SCOP régit désormais cette petite entreprise qui se veut davantage responsable et durable.

Crédit photo : Terr’eau ciel

« Experts en agriculture urbaine et paysagisme comestible »

L’activité se divise en deux pôles principaux : l’aménagement urbain et le bureau d’étude destiné à accompagner les collectivités dans leur transition écologique. Guidé par cet objectif principal qu’est la création d’un lien économique rationnel et raisonné entre l’homme et son environnement, l’équipe s’attache à optimiser les espaces cultivables des tissus urbains et périurbains. Pour ce faire, Terreauciel propose tout d’abord deux solutions : la mise en place de potagers ou de vergers collectifs et l’introduction d’un paysagisme comestible. Les potagers sont pensés et aménagés après un dialogue avec les bailleurs sociaux et les promoteurs immobiliers désireux d’intégrer une dimension écologique et sociale à leur projet. Les habitants des résidences, copropriétés ou encore logements sociaux sont ensuite consultés et invités à participer à cette initiative collaborative. Les réunions et les ateliers de sensibilisation organisés par l’équipe de Terreauciel permettent une gestion démocratique de l’espace que les citadins apprennent à se réapproprier. Quant au paysagisme comestible, il consiste à remplacer plates-bandes et autres gazons moroses et stériles par des plantes aromatiques et des arbres fruitiers qui favorisent la biodiversité, le lien social et dont les fruits sont destinés à être récoltés et consommés par les habitants eux-mêmes.

Crédit photo : Terreauciel

« Réunir les Hommes autour des valeurs environnementales »

On pourrait alors légitimement s’interroger quant à l’efficacité d’un tel projet original et audacieux. « L’enjeu majeur est de parvenir à impliquer durablement les habitants dans l’entretien de ces nouveaux espaces » nous explique Florian. « Nous faisons parfois face à un manque de motivation et d’engagement de la part des résidents qui n’ont parfois ni le temps, ni l’envie, ni d’intérêt particulier pour ce genre de projet » poursuit-il. Cependant, ce sont en moyenne 20% des habitants d’un même lieu qui finissent par y participer activement et qui se réunissent alors autour d’un projet commun. De plus, Florian est optimiste et assure que « personne ne s’est jamais opposé à ce type d’initiative ». L’équipe n’a par ailleurs jamais eu à déplorer une quelconque dégradation, confirmant ainsi la bienveillance du public à l’égard de ces nouveaux espaces communs. L’espace est occupé et utilisé par les gens qui vivent sur place, assurant ainsi un respect naturel des lieux. Florian y voit alors les prémices d’une microsociété autorégulée où chacun devient un producteur et un consommateur responsable. L’objectif est ici moins l’autosuffisance alimentaire que la sensibilisation des citoyens par la mise en place de projets porteurs de sens, qui enseignent les valeurs de la consommation responsable et local le respect et l’entretien de la biodiversité dans nos villes.

Crédit photo : Terreauciel

« Du chemin à faire vis-à-vis de la réappropriation de l’espace urbain »

Désormais fort de plusieurs années d’expérience, Florian dresse par ailleurs un constat intéressant quant au comportement des citoyens face à ces nouveaux espaces verts qui fleurissent çà et là dans nos espaces bétonnés. « Pour chaque projet, je demande aux habitants présents s’ils ont remarqué l’arbre devant lequel ils viennent de passer. La réponse n’est jamais positive ! Cela pourrait être un cyprès, un bouleau ou un baobab que personne ne le remarquerait ! » s’amuse Florian. Loin d’être une critique à l’égard des habitants, l’anecdote est évocatrice du désintéressement relatif des citadins vis-à-vis des espèces naturelles qui les entoure. Et c’est cette curiosité que Terreauciel s’efforce de promouvoir. « Dans le cadre du paysagisme collectif, nous avons remarqué un phénomène étrange en interrogeant les habitants qui côtoient quotidiennement les nouveaux arbres fruitiers » : quand ils remarquent bel et bien leur présence, ils s’interdisent eux-mêmes d’en récolter les fruits qui sont pourtant à la libre disposition de chacun ! Le jeune agronome nous explique alors que la plupart d’entre eux craint en fait qu’une récolte spontanée soit assimilée à du vol et n’envisage donc même pas de s’approprier ses fruits qui a priori ne leur appartiennent pas. Cette limite psychologique qui s’est construite au fil du temps contraint aujourd’hui l’équipe à installer des panneaux informatifs enjoignant les passants à se servir. A l’heure de la sacro-sainte propriété privée, c’est en ce sens que Florian conclue « il y a encore un énorme travail à faire quant à la réappropriation de l’espace public par les citoyens ! ».

Recommandée par exemple par l’Organisation des Nations Unies, l’agriculture urbaine apparaît de plus en plus comme une solution durable et crédible aux problèmes d’alimentation et d’impact environnemental de notre consommation. Cependant, et notre entretien avec l’équipe de Terreauciel nous le confirme, il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que l’idée s’imprègne dans la conscience collective. L’implication volontaire et régulière des citadins dans la création et la maintenance de ces espaces verts d’un genre nouveau étant inhérente à leur pérennité, leur sensibilisation semble rester la première étape sur le chemin de la ville durable et, pourquoi pas, autosuffisante en fruits et légumes.

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Crédit photo : Terreauciel

Sources : Propos recueillis par l’équipe de Mr Mondialisation / lejournal.cnrs.fr / traxmag.com

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