Déni de Justice
Le procès Eternit a donc pris fin sur une immense déconvenue. La Cour de cassation à Rome a annulé le jugement de la Cour d’appel de Turin et a acquitté Stephan Schmidheiny, estimant qu’il y avait prescription. Il avait pourtant été condamné à 18 ans de prison en appel pour avoir provoqué volontairement une « catastrophe sanitaire et environnementale permanente » dans les quatre usines italiennes du groupe Eternit S.p.A. Gênes., mises en faillite en 1986. Il avait aussi été jugé responsable d’infraction aux règles de la sécurité au travail. Ce verdict avait été salué par la presse internationale et de nombreuses ONG et associations des victimes.
Illustration : PLANTU
Stephan Schmidheiny a eu le temps d’accumuler des milliards d’euros grâce à cette fibre cancérigène très largement répandue dans l’industrie et le bâtiment. Il a continué à le faire même après l’établissement des preuves de son extrême toxicité. En 2011, il avait proposé 18,3 millions d’euros au maire de Casale Monferrato pour qu’il ne se constitue pas partie civile au coté des familles des victimes, qui elles se sont monté une association pour faire valoir leurs droits et la Justice. En vain.
Historique de l’amiante
L’amiante fut interdite à partir des années 1980 en Europe mais continua à faire plusieurs dizaines de milliers de victimes. Pour rappel, l’amiante a fait entre 61 000 et 118 000 morts entre 1995 et 2009. Le matériau se trouve toujours caché dans énormément de matériaux de construction, parquets, plafonds, murs… Il pourrait provoquer d’ici à 2050 entre 68 000 et 100 000 morts rien qu’en en France (HSCP). Un tueur silencieux et difficile à détecter.
L’inhalation de fibres d’amiante est à l’origine de la fibrose pulmonaire, de cancers broncho-pulmonaires, ainsi que de cancers de la plèvre des voies digestives (wikipedia). En France, il faudra attendre 1997 pour qu’elle soit interdite. Une date assez tardive comparée aux autres pays développés dû à un lobbying intense des industriels. Ces derniers parvinrent à regrouper leurs relais scientifiques et politiques dans le sinistre « Comité permanent amiante » (CPA), qui dirigera pendant 12 ans la politique de Santé Publique en matière d’amiante, jusqu’à sa dissolution en 1995 devant l’ampleur du scandale. Une instance publique chargée de surveiller la dangerosité d’un produit, financée et dirigée par les fabricants de ce même produit, ça fait mauvais genre – et accessoirement, des milliers de morts.
Au total, il fallut plus d’un siècle pour faire interdire l’amiante depuis les premières découvertes de sa toxicité, dans les années…1890. Hormis le tabac, peu de substances ont eu la « chance » de poursuivre une carrière meurtrière si longue sans jamais être inquiété d’un point de vue juridique. Il y a ici une leçon à retenir : les combats sont longs pour obtenir Justice dans les crimes industriels et environnementaux et la manipulation industrielle est plus que jamais une réalité.
Quelques anecdotes surprenantes
– En 1986, les États-Unis proposèrent d’interdire l’usage de l’amiante au niveau international par le biais de la « Environmental Protection Agency ». Le CPA monta au créneau pour empêcher cette interdiction.
– En 1991 l’Allemagne proposa à la Commission Européenne l’interdiction totale de l’amiante. Là encore, le CPA se mobilisa afin d’empêcher toute interdiction.
– En 1998, le Canada (alors 2e producteur mondial) attaqua la France devant l’OMC suite à l’interdiction de l’amiante. En 2001, l’OMC confirma que la santé publique pouvait justifier l’entrave à la liberté de commerce.
Soulignons, pour terminer, que le ministère public de Turin instruit d’autres enquêtes pénales à l’encontre du milliardaire Suisse, bien que le procès local de Casale Monferrato soit terminé. Les familles des victimes et la Justice ont encore un petit espoir…
Sources :
lematin.ch / courrierinternational / wikipedia.org / lemonde.fr
