Il n’y a pas UNE manière de faire la démocratie. Relativement jeune dans l’histoire, la manière de choisir ceux qui sont supposés représenter le peuple peut se faire d’une multitudes de manières. Rarement remise en cause dans les médias, la manière actuelle de désigner notre chef d’État présente pourtant de flagrantes lacunes, menant parfois à des situations aberrantes et une profonde frustration collective. Nombreux sont les déçus des élections réclamant une modification de cet événement pourtant central dans nos vies. Mais peut-on faire mieux ? Si oui, comment ?
« Est-ce que l’on vote au premier tour pour donner son opinion ou pour peser sur la décision finale ? » C’est en ces termes que Jean-Fançois Lastier, chercheur en sciences sociales au CNRS (centre national de recherche scientifique), résume l’enjeu de l’expérimentation qu’il a menée avec d’autres confrères, le 23 avril 2017, dans plusieurs villes de France, et dont le Monde Diplomatique fut l’un des rares à en faire l’écho. Lors du premier tour des élections présidentielles, à la sortie des bureaux de vote, les chercheurs ont encouragé des citoyens à venir essayer, dans un isoloir informel, des modes de scrutin alternatifs. Les résultats de cette expérience, réalisée sur plus de 44 000 participants, à la fois sur la toile et sur le terrain, donnent à réfléchir.
Si dans la majorité des cas, Emmanuel Macron stationne toujours en pole-position, le classement de ses concurrents, lui, évolue de façon spectaculaire. Marine le Pen, par exemple, dégringole de la place de finaliste à celle de bonne dernière, accompagnée dans les limbes de la hiérarchie par le candidat Les Républicains (LR), François Fillon. Jean-Luc Mélenchon, de la France Insoumise, se positionne quant à lui régulièrement en seconde position juste derrière Macron, quand il ne remporte pas tout bonnement la présidentielle. Les petits candidats glanent, pour leur part, de nombreux points supplémentaires en comparaison des résultats officiels. Bien entendu, il ne s’agit pas là de rejouer l’élection, mais bien de questionner la véritable représentativité de notre mode de scrutin qui serait « une source de frustration » selon le rapport de « Voter autrement », mouvement à l’initiative de cette expérimentation démocratique. Car, quoi de pire qu’un système qui prétend représenter la volonté d’un peuple, si ce n’est pas effectivement le cas dans les faits ?
Selon les initiateurs de l’étude, difficile de nier aujourd’hui l’inefficacité du scrutin majoritaire uninominal en fait partie. En effet, le caractère démocratique de l’élection présidentielle est farouchement contesté et contestable tant cette consultation populaire est biaisée par la carotte du vote utile et l’envolée d’une abstention grandissante. Basé une sélection sur la nomination d’une seule personne entraîne un paradoxe : un challenger éliminé au premier tour peut néanmoins l’emporter contre chacun des deux qualifiés pour le second. Cette observation est capitale. Un paradoxe que François Bayrou, tout comme Lionel Jospin, ont appris à leurs dépens.
voter à son corps défendant ou être relayé au rang des ignobles marchepieds de l’extrême droite, voilà comment restituer fidèlement les enjeux de cette séquence démocratique inoubliable.
La dernière élection en date, quant à elle, ne devrait pas davantage éclabousser l’histoire de sa splendeur. Quinze ans après la qualification de Jean-Marie le Pen pour le second tour, le scénario s’est répèté, plaçant les citoyens face à une prise d’otages électorale ; voter à son corps défendant ou être relayé au rang des ignobles marchepieds de l’extrême droite comme certains médias n’auront pas manqués de nous le faire comprendre. Voilà comment restituer fidèlement les enjeux de cette séquence démocratique inoubliable.
La volonté de changer le mode de scrutin se fait sentir de plus en plus vivement, en France, mais également ailleurs, tant les déceptions et les questions s’accumulent dans l’opinion publique. Les Français, réclament, pour beaucoup, et ce au-delà des clivages gauche-droite, un mode de scrutin plus subtil et plus représentatif de leurs idées, un mode de scrutin où la conviction primerait sur le calcul électoral. Cela est-il possible ou avons-nous atteint les limites de la démocratie représentative ? Petit tour d’horizon des alternatives possibles.
Le vote alternatif : bien, mais peu mieux faire.
Le premier constat que l’on peut tirer après la recherche d’un nouveau mode de scrutin est simple : le scrutin parfait est une perle rare. En effet, chacun des systèmes présente des failles qui n’améliorent pas, in fine, l’élection démocratique ; celui appelé « vote alternatif » est de ceux-là. Derrière des dehors séduisants, il comporte lui aussi une anomalie dommageable.
En quoi consiste-t-il ? Les électeurs classent les candidats par ordre de préférence sur un seul bulletin de vote. Chacun de ces candidats obtient alors un pourcentage par classement ; un tel a été premier dans 10 % des cas, dans 15 % des cas deuxième et ainsi de suite. Lors du dépouillement, on réalise plusieurs tours en éliminant à chaque fois le candidat qui obtient le pourcentage le plus faible sur la première place. Une fois le candidat éliminé, on renouvelle l’expérience en transférant, sur les bulletins ayant placé le candidat sortant en première position, le numéro deux en lieu et place de l’ancien numéro un. Ce mode de scrutin est déjà utilisé à travers le monde, en Irlande par exemple pour élire le président ou en Australie pour élire la chambre des représentants.
Ce système présente un bel avantage. Il permet à l’électeur d’exprimer son opinion sur tous les candidats que ce soit positivement ou négativement. Il n’enferme donc pas l’électeur dans une vision unilatérale de la politique. De plus, les citoyens porteraient sans doute un intérêt plus grand à l’étude de tous les programmes, dans une approche comparative, afin de pouvoir effectuer son classement en conséquence.
Pourtant, il présente exactement le même paradoxe que notre scrutin en vigueur. En effet, lorsqu’il ne reste plus que trois candidats en lice, l’un d’entre eux peut être éliminé, et ce en dépit d’une hypothétique victoire contre chacun des finalistes individuellement. En somme, avec ce mode de scrutin, le candidat qui l’emporte ne serait pas vraiment plus représentatif des aspirations des Français que dans notre configuration actuelle. Les avantages se tournent donc davantage sur les valeurs et l’approche collective (dont le débat comparatif) de l’élection même.
Le vote par approbation.
Ce principe consiste à donner son approbation à un ou plusieurs candidats. Si ce système a le mérite de réduire les paradoxes mathématiques, il manque de subtilité pour être totalement satisfaisant. Or, c’est justement cette subtilité que réclament, en grande partie, les électeurs. L’idée de mettre des notes a alors été proposée pour améliorer l’expression des citoyens. Des notes de zéro à vingt, un peu comme le font les professeurs avec nos petits rejetons. Malheureusement, là encore, le résultat final pourrait être faussé. Chaque électeur pouvant tirer la note à l’extrême par préférence, cela ne refléterait pas son opinion réelle. Le favori pourrait théoriquement être accrédité d’un vingt sur vingt, et ce, même si dans le cœur du citoyen moyen, il ne le mérite pas vraiment.
Le jugement Majoritaire.
C’est sans doute le système qui demeure le plus séduisant. Inventé par deux chercheurs français, Michel Balinski et Rida Laraki, il invite les électeurs, non pas à juger les candidats, les uns par rapport aux autres, mais à les évaluer chacun individuellement.
Le bulletin se présente de la manière suivante : une question, en haut, du type « pour cette élection je juge que ces candidats sont », vient ensuite une grille visant à répondre à cette question, avec à gauche le nom de chaque candidat et à droite des réponses possibles allant de « à rejeter » à « très bien ». On chercherait donc à juger un candidat sur des critères démocratiques bien particuliers, et pas simplement choisir une figure sur base d’une opinion générale.
Lors du dépouillement, chaque candidat obtient alors un pourcentage pour chaque type de réponse. Par exemple, le candidat Eric a obtenu 10 % de très bien, 40 % de bien et ainsi de suite. On relève le pourcentage par réponse pour chacun des candidats, on regarde ensuite ce que 50 % des français ont pensé pour chacun des challengers. Le gagnant sera ainsi le candidat ayant le jugement majoritaire le plus positif, c’est-à-dire, le candidat dont 50 % des Français auront eu l’opinion la plus favorable. Dans l’exemple ci-dessous, c’est Jacques qui remporte l’élection.
Ce principe semble être, théoriquement, le meilleur scrutin possible, car il évalue chaque candidat indépendamment des autres, permet à l’électeur de donner un avis bien plus subtil que ce qui se fait jusqu’à présent et ne perturbe pas l’élection par la présence des petits candidats. L’élection ne serait plus une course pour arriver en tête, mais pour convaincre l’électeur sur des sujets plus spécifiques. Selon le compte rendu de l’expérience de « voter autrement », seulement 25 % des électeurs ayant voté blanc lors des vraies élections ont renouvelé l’opération lors de l’expérience. Preuve qu’en changeant la manière de consulter les citoyens, on peut aussi permettre de les réconcilier avec le système démocratique.
Le scrutin uninominal actuel présente un autre désavantage vis à vis de ces alternatives : les politiques peuvent tenir des positions extrêmes pour séduire un type d’électorat, sans jamais craindre d’être sanctionné de l’autre côté. Il n’existe aucun moyen actuel pour faire part de notre mécontentement face à un président qui ne respecterait pas ses engagements. N’est-il alors pas temps de changer notre regard sur les élections ? « Il faut garder à l’esprit qu’un mode de scrutin différent aurait aussi des répercussions en amont, sur les discours politiques, la structure des partis et, plus généralement, sur la façon de faire de la politique » explique le politiste Nicolas Sauger aux journalistes du Monde Diplomatique. En politique comme dans la vie, on ne sait pas toujours ce que l’on gagne, mais toujours ce que l’on perd. Au regard de la politique actuelle, on a souvent le sentiment de ne plus avoir grand chose à perdre…
-T.B.
Source : Le Monde Diplomatique / CNRS / Sciences etonnantes / jugementmajoritaire2017 / Lechoixcommun.fr
Article gratuit, rédigé de manière 100% indépendante, sans subvention ni partenaires privés. Soutenez-nous aujourd’hui par un petit café. ?