Maria José Rodrigues, Kawasi Waga, Angel Rivas ou encore Eric Kibanja Bashekere… Autant de personnes tuées parce qu’elles protégeaient leurs terres ou leurs communautés. Au total, ce sont plus de 1700 défenseurs de l’environnement à avoir été assassinés cette dernière décennie d’après le nouveau rapport de l’ONG Global Witness. Publié le 29 septembre dernier, cet état des lieux dresse le terrible bilan des violences subies par ces activistes à travers le monde, qui restent malheureusement bien souvent impunies.
Nommé Une décennie de défiance, le dernier rapport de l’ONG Global Witness dresse le bilan des violences subies par les défenseurs de l’environnement ces dix dernières années. Alors que la crise climatique s’intensifie, l’hostilité à l’égard des militants environnementaux ne cesse de croitre : 1733 personnes ont ainsi payé de leur vie le prix de l’engagement contre la déforestation, l’agro-industrie ou les barrages inopportuns depuis 2012, soit en moyenne un activiste tué tous les deux jours à travers le monde. Le chiffre est glaçant.
Les recherches démontrent que le contrôle et l’utilisation de la terre et du territoire sont une question centrale dans les pays où les défenseurs sont menacés.
Un sombre tableau
Des milliers d’autres continuent pourtant de militer dans le monde entier, malgré les graves menaces qui pèsent sur leur vie et celle de leurs proches. « Au cours de cette période, un sombre tableau s’est dessiné – avec des preuves suggérant qu’alors que la crise climatique s’intensifie, la violence contre ceux qui protègent leurs terres et notre planète reste persistante », déplorent les auteurs du rapport qui identifient le Brésil, la Colombie, les Philippines et le Mexique en tête des pays les plus meurtriers.
Depuis 2012, l’ONG Global Witness, spécialisée dans la lutte contre le pillage des ressources naturelles des pays en développement et la corruption politique qui l’accompagne, recueille des données sur les attaques commises à l’encontre des défenseurs de l’environnement à travers le globe.
Elle tente ainsi de comptabiliser, malgré des difficultés d’accès à l’information, les meurtres recensés des activistes depuis une décennie. « Comme nous l’avons indiqué dans chacun de nos rapports au fil des ans, nos données sur les meurtres ne représentent que la partie émergée de l’iceberg », précise l’organisation qui explique ce phénomène par la survenance de conflits, de restrictions à la liberté de la presse et à l’absence de suivi indépendant des attaques. Les chiffres avancés par l’organisation sont donc « probablement sous-estimés », alors que d’autres formes de violences, comme les menaces de mort, la surveillance, ou les agressions sexuelles sont encore moins bien signalées.
L’Amérique latine, terre de sang
« L’augmentation des meurtres, de la violence et de la répression est en grande partie liée aux conflits territoriaux et à la poursuite d’une croissance économique fondée sur l’extraction des ressources naturelles de la terre », poursuivent-ils.
Ainsi en 2021, plus de trois quart des 200 attaques enregistrées ont eu lieu en Amérique latine, terre où les projets d’extraction de ressources pullulent alors que les communautés locales sont rarement consultées.
La majorité d’entre elles ont eu lieu au Mexique (54), en Colombie (33) et au Brésil (26), trois états connus pour leur taux de corruption impressionnants et la violence généralisée qui y règne. « Le problème est mondial. Mais les pays du Sud sont principalement concernés car le niveau de corruption est plus élevé et les conditions d’accès et de propriété aux terres plus inégalitaires », précise Ali Hines, principale autrice du rapport, dans les colonnes du Monde.
Si la Colombie, devenue en 2020 le pays en tête des assassinats de militants (65), a enregistré un recul important l’an dernier, le Brésil, avec ses 26 assassinats en 2021, en compte six fois plus qu’en 2020.
Les communautés indigènes dans le viseur
Les communautés autochtones restent particulièrement ciblées par les attaques (40%), « alors qu’elles ne représentent que 5% de la population mondiale », rappellent les auteurs du rapport, qui les dénombre principalement au Mexique, en Colombie, au Nicaragua, au Pérou et aux Philippines.
L’accaparement des terres par l’industrie agro-alimentaire en est pour quelque chose : 50 des victimes tuées en 2021 étaient des petits exploitants agricoles.
« La marchandisation et la privatisation incessantes des terres pour l’agriculture industrielle mettent de plus en plus en danger les petits exploitants, les transactions foncières ne tenant pas compte des droits fonciers locaux », explique Global Witness.
L’ONG dénonce la menace de l’agriculture axée sur l’exportation et la production de produits de base à grande échelle au détriment de la production alimentaire locale et diversifiée.
Quand corruption rime avec impunité
Si ces crimes odieux continuent d’être perpétrés, c’est aussi en partie parce qu’ils jouissent majoritairement d’une grande impunité. Selon les auteurs du rapport, peu d’auteurs d’assassinats sont traduits en justice en raison de l’incapacité des gouvernements à enquêter correctement sur ces crimes. Dans d’autres cas, une forme de corruption est de mise : « de nombreuses autorités ignorent ou entravent activement les enquêtes sur ces meurtres, souvent en raison de la collusion présumée entre les intérêts des entreprises et ceux de l’État ».
C’est notamment le cas au Brésil, qui connait actuellement une hausse des attaques mortelles à l’encontre des activistes. Une augmentation, pour les auteurs du rapport, « représentative des menaces plus larges auxquelles les défenseurs de la terre et de l’environnement sont confrontés depuis la présidence de Jair Bolsonaro »,
Un appel urgent
En conclusion de son rapport, Global Witness appelle les gouvernements à prendre des mesures urgentes pour protéger les défenseurs de l’environnement et pour réduire considérablement le nombre d’attaques dont ils sont victimes.
Pour Vandana Shiva, autrice de la préface du rapport, « cela signifie que les gouvernements nationaux et supranationaux doivent s’engager à dénoncer ces meurtres et à enquêter sur eux (…), que les entreprises doivent veiller à ce que leurs activités ne causent pas de dommages, et bien sûr, cela signifie que nous devons tous continuer à faire la lumière sur ces histoires, pas seulement pour se souvenir de ceux qui sont tombés, mais pour poursuivre leur travail urgent en disant au monde exactement pourquoi ils sont morts ».
– L.A.
Photo de couverture de l’article : Freda Huson, femme chef (Dzeke ze’) des Wet’suwet’en, chante lors d’une cérémonie alors que la GRC s’approche pour l’arrêter, appliquant une injonction ordonnée par la cour contre ceux qui bloquent les travaux sur un gazoduc en 2020. Crédits : Global Witness – Amber Bracken/Le Narval