Si tout le pétrole, le gaz et le charbon issus de l’ensemble des réserves identifiées sur Terre étaient extraits puis consommés, près de 3 500 millards de tonnes de CO2 seraient émises dans l’atmosphère. De quoi dépasser sept fois le budget carbone limitant le réchauffement planétaire en-dessous de la barre des +1,5°C fatidique pour l’ensemble des écosystèmes. Voilà le constat accablant qu’a dressé le think tank Carbon Project et le Global Energy monitor (GEM) en septembre dernier. Les deux organismes proposent pour la première fois un registre complet et transparent des réserves disponibles en énergies fossiles à travers le monde et de leurs impacts probables sur notre environnement, un outil inestimable dans la lutte contre le réchauffement climatique. 

De nouvelles données démontrent que la production et la combustion de la totalité des réserves mondiales d’énergies fossiles produiraient plus de 3,5 billions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, soit l’équivalent de plus de sept fois le budget carbone restant pour demeurer sous la barre des +1,5°C et plus que toutes les émissions produites depuis la révolution industrielle. 

Selon les projections actuelles, les pays du monde entier produiront plus du double de combustibles fossiles compatibles avec 1,5 °C d’ici 2030. – Crédits : Unsplash

Un registre indépendant et open source : une première mondiale

C’est la première fois qu’un registre complet des réserves mondiales de gaz, de pétrole est de charbon est publié publiquement et gratuitement. Partagé par le think tank Carbon Project et le Global Energy monitor (GEM) le lundi 19 septembre 2022, cette étude vise à améliorer la compréhension globale des impacts de l’extraction des énergies fossiles sur le budget carbone restant et, en fin de compte, à éclairer sa gestion par les décideurs privés et politiques. 

« Selon les projections, les pays du monde entier produiront plus du double de combustibles fossiles compatibles avec 1,5 °C d’ici 2030 », expliquent les auteurs du rapport.

Alors que le rapport estime que pour faire face à la crise climatique « il faut gérer l’approvisionnement en combustibles fossiles, parallèlement à des mesures axées sur la demande, et que cela doit être fait de façon juste et équitable ». 

La baignoire déborde ! 

Pour illustrer ce phénomène, Rob Jackson, climatologue à l’Université de Stanford, compare le budget carbone mondial à une baignoire bien remplie : « Vous ne pouvez faire couler l’eau qu’aussi longtemps que la baignoire n’est pas encore remplie. », commence-t-il, « lorsque la baignoire est sur le point de déborder, les gouvernements peuvent soit fermer le robinet (atténuer les émissions de gaz à effet de serre) soit ouvrir davantage le bouchon de la baignoire (éliminer le carbone de l’atmosphère) ». 

Les efforts actuels pour baisser l’extraction et la consommation des énergies ne sont pas suffisants. Crédits : Carbon project

À ce jour, les efforts politiques en matière de changement climatique se sont concentrés presque uniquement sur la réduction de la demande et de la consommation de pétrole, de gaz et de charbon, ignorant ainsi l’impact de l’approvisionnement de ces combustibles. Pourtant, l’Agence Internationale des énergies (AIE) avait déjà indiqué l’an dernier qu’aucun nouveau site d’exploitation de gaz ou de pétrole ne devait être développé à l’avenir, voir même que certains sites déjà existants devaient être abandonnés plus tôt que prévu, si nous voulions limiter le réchauffement à 1,5°C.

Entre manque de données et inaction politique 

De telles décisions se font toujours attendre, si bien que plus de 2 000 scientifiques appelaient à l’adoption d’un traité de non-prolifération des combustibles fossiles le 13 septembre dernier. Pour les auteurs du rapport, cette inaction politique s’explique en partie par un manque de données disponibles pour les décideurs politiques et la société civile. 

« Le Registre mondial des combustibles fossiles est la toute première base de données complète, indépendante, politiquement neutre et entièrement open source qui démontre l’ampleur des émissions de CO2 associées aux réserves et à la production nationales de chaque pays, permettant ainsi aux décideurs politiques, aux investisseurs et à d’autres de prendre des décisions éclairées pour aligner la production de combustibles fossiles sur la trajectoire des +1,5 °C et de fournir aux chercheurs les données nécessaires pour livrer une analyse en temps opportun », déclarent-ils dans un communiqué.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) avait suggéré l’an dernier de renoncer à tout nouveau projet pétrolier ou gazier. – Crédits : Unsplash

Pour Simon Kofe, ministre de la Justice, des Communications et des Affaires étrangères de Tuvalu, l’un des archipels du Pacifique menacés par la montée des eaux et le réchauffement climatique, cette publication représente un véritable espoir.  « Nous possédons désormais un outil qui peut aider à mettre fin efficacement à la production de charbon, de pétrole et de gaz », se réjouit-il.

« Le registre mondial aidera les gouvernements, les entreprises et les investisseurs à prendre des décisions pour aligner leur production de combustibles fossiles sur la limite de température de +1,5° et, ainsi, à empêcher concrètement la disparition de nos îles ».

La Russie et les Etats-Unis pointés du doigt

Dès son lancement, le registre contenait les données de plus de 50 000 sites énergétiques dans 89 pays du monde entier, couvrant ainsi 75 % de la production mondiale en énergie fossile, et il est encore appelé à évoluer. « Le registre regroupe les données de milliers de sources gouvernementales et d’entreprises du monde entier en un seul endroit, du niveau mondial jusqu’aux projets individuels », détaillent les auteurs. Tous les chiffres sont ensuite exprimés en termes d’équivalent CO2, sur la base d’un modèle détaillé de conversion des émissions, permettant d’évaluer l’impact climatique de chaque baril de pétrole et de chaque tonne de charbon produite.

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Et tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Alors que les habitants de l’île de Tuvalu ne sont responsables que de 0,03 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, les États-Unis et la Russie détiennent chacun suffisamment de réserves de combustibles fossiles pour faire exploser la totalité du budget carbone mondial, même si tous les autres pays cessent immédiatement leur production. Le site pétrolifère de Ghawar, en Arabie saoudite, s’érige quant à lui comme la source d’émissions la plus puissante, avec environ 525 millions de tonnes d’émissions de carbone chaque année.

Crédits : Carbon project

Des décisions politiques collectives sont attendues avant la fin de l’année

Ces données soulignent encore davantage la nécessité d’apporter des solutions collectives à de tels enjeux qui dépassent largement les cadres de compétence nationaux. Et les auteurs du rapport l’ont bien compris. Publié à l’occasion de la 77e Assemblée générale des Nations-Unies qui s’est tenue à New-York le mois passé et à l’aube de la COP 27 qui se tiendra à Charm el-Cheikh, en Égypte, en novembre prochain, le registre était destiné à interpeller les décideurs politiques. 

Ce qui n’a pas manqué, puisque nombreux d’entres eux ont réagi et salué l’initiative du Carbon project et du GEM. Patrick Graichen, secrétaire d’État au ministère fédéral allemand des Affaires économiques et de l’Action pour le climat, s’est ainsi exprimé sur l’importance de la transparence des données mises à disposition pour renforcer la confiance dans la coopération internationale sur le climat et informer les décideurs politiques. « Je salue donc l’initiative d’établir un registre mondial open source des combustibles fossiles », conclut-il. 

Une transition nécessaire 

Inger Andersen, Secrétaire générale adjointe des Nations Unies et Directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement, a déclaré quant à elle que « la transition des économies alimentées par les combustibles fossiles est essentielle à la survie des personnes et de la planète. Pour que cela se produise, nous devons déployer toutes les solutions de notre boîte à outils pour décarboner nos économies. Le Registre mondial des combustibles fossiles est une étape importante pour fournir des informations aux décideurs politiques et aux investisseurs alors que nous entamons une transition juste, loin des combustibles fossiles ». 

Une transition énergétique globale est attendue pour relever le défi climatique. – Crédits : Pixabay

Au final, cette étude apporte sans conteste une pièce importante du puzzle de la transition énergétique nécessaire à la survie des écosystèmes terrestres et de l’humanité. Il appelle pour autant à une action politique indispensable de la part de nos décideurs, mais aussi à des changements de comportements radicaux d’un système financier qui soutient encore trop massivement l’exploitation des énergies fossiles à travers le monde. 

 – L.A.

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