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Bernard Arnault, le profiteur de crises

Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, est régulièrement pris en exemple par les libéraux comme un modèle de réussite. Pourtant derrière, les poncifs véhiculés par la presse, se cache la face sombre d’un individu plein d’opportunisme.

Après avoir dressé le portrait de l’inquiétant Elon Musk, nous ne pouvions pas manquer l’occasion de nous intéresser au champion français du luxe souvent dépeint en héros national. En s’y penchant de plus près, on est cependant très loin d’un modèle de vie vertueux.

Né avec une cuillère d’argent dans la bouche

La plupart du temps, pour justifier les inégalités délirantes dans le monde, les néolibéraux installent l’idée que chacun mériterait son sort, et que si les plus riches ont tant d’argent, c’est parce qu’ils ont travaillé plus que les autres. Nous avions d’ailleurs déjà consacré un article entier à démystifier ce genre d’a priori sur les plus fortunés.

Pour ce qui est de Bernard Arnault, il ne s’agit évidemment pas non plus d’un fils d’ouvrier issu d’un milieu pauvre. Au contraire, son géniteur était un riche industriel à qui il doit son éducation, et bien sûr un capital très important pour se lancer dans la vie.

C’est d’ailleurs en 1978 qu’il récupère la tête de l’entreprise en bâtiment de son père. Très vite, il la transforme en promoteur immobilier, et c’est dans ce domaine que sa fortune a commencé à croître.

La peur du fisc

Le milliardaire n’a jamais caché son hostilité profonde envers les politiques de gauche. Ainsi en 1981, lorsque François Mitterrand arrive au pouvoir, il décide très vite de s’exiler aux États-Unis pour échapper notamment à l’impôt sur la fortune. Un véritable champion français, n’est-ce pas ?

La volonté de contourner le fisc de Bernard Arnault l’a suivi toute sa vie. Il a d’ailleurs plusieurs fois été épinglé, comme lors de l’affaire des Paradise Papers ou celle d’Open LuxQuand François Hollande est élu à la tête de la France, il envisage même longtemps de prendre la nationalité belge.

Heureusement pour lui, le PS a la fâcheuse tendance de ne pas respecter sa parole. De ce fait, il a pu revenir en France en 1984 après le tournant de la rigueur, et abandonner l’idée de son exil belge à la suite des reniements de François Hollande.

Une fortune bâtie sur l’argent public et les licenciements

Mais revenons aux années 80, où le groupe Boussac, un immense conglomérat de textiles au bord de la faillite cherche un repreneur. Bernard Arnault convainc le Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, qu’il a le profil idoine pour relancer la machine. Il faut dire qu’il n’a sans doute pas eu beaucoup à insister puisque les deux hommes se connaissaient déjà, ayant été en stage ensemble chez… McKinsey.

Le jeune millionnaire récupère alors le groupe pour un franc symbolique et en investit 40 millions, promettant qu’il ne démantèlera aucune entreprise. L’État lui offre par ailleurs pas moins de 750 millions de francs de subventions et les banques abandonnent 1 milliard de francs de créance. Hélas, Bernard Arnault a menti. Il n’a jamais eu l’intention de sauver toutes les sociétés concernées. Une seule l’intéresse vraiment : Dior. Toutes les autres seront rapidement vendues ou démantelées, mettant ainsi des milliers de salariés sur le carreau. Presque 8000 postes sont donc supprimés, décimant des bassins d’emploi entiers.

Mais peu importe, en quelques années, avec ce faible investissement, le jeune homme d’affaires se retrouve à la tête d’un pactole de 8 milliards de francs. Un immense capital de départ qui lui servira à mener le projet qu’il a toujours eu à l’esprit : bâtir un empire du luxe. C’est ainsi qu’il met la main sur LVMH à la fin des années 80, profitant des difficultés de la compagnie pour lancer une OPA sur elle. Petit à petit, l’appétit vorace de l’homme d’affaires le conduira à racheter une multitude d’entreprises pour asseoir définitivement sa position d’individu le plus riche de France, voire du monde.

Construire un autre récit de l’histoire

Évidemment, la réalité n’est en rien reluisante pour le milliardaire et la mauvaise publicité n’est jamais bonne pour le business. Bernard Arnault va donc s’affairer très vite à réécrire son histoire pour passer pour « self-made man » dont la réussite ne serait que le fruit du travail et de l’ingéniosité.

Pour redorer son image, mais aussi pour défendre ses intérêts, il décide donc d’acheter quelques médias. Il prend alors possession des journaux Le Parisien, Aujourd’hui en France, et Les Échos, ainsi que de Radio classique. Mais il place également des billes à Challenges, le magazine français qui réalise le classement des plus grandes fortunes au monde (et qui se charge de chanter leurs louanges par la même occasion).

Ne surtout pas critiquer Bernard !

Gare à ceux qui voudraient rétablir la vérité sur le milliardaire ou même simplement dire du mal de lui. En 2012, lorsque l’on apprend que le PDG de LVMH souhaite quitter la France pour échapper à l’impôt, Libération est particulièrement véhément envers lui. Résultat, pour punir le quotidien, Arnault fait supprimer toutes ses publicités du média, entraînant plusieurs dizaines de milliers d’euros de perte.

Mais ce refus de la critique de la part du natif de la bourgeoisie roubaisienne s’est le plus clairement manifesté lorsque le journaliste François Ruffin (aujourd’hui député) a sorti son film « Merci Patron » qui mettait au grand jour ses agissements néfastes.

Craignant pour ses affaires, Bernard Arnault avait d’ailleurs fait espionner l’actuel membre de la France Insoumise, ainsi que son journal Fakir. Pire encore, afin d’éviter les poursuites il avait bénéficié d’un arrangement avec l’État en payant dix millions d’euros (une paille en comparaison de sa fortune). Une pratique scandaleuse, mais étonnamment légale.

Tant pis pour la planète

Du côté de l’écologie, la situation n’a rien de plus reluisant chez Bernard Arnault. Le site The Conversation l’a d’ailleurs classé au rang de quatrième plus gros pollueur au monde. Rien de très surprenant lorsque l’on sait que la mode est l’un des secteurs les plus nocifs pour la planète.  Comme la plupart des fervents défenseurs du capitalisme, le richissime homme d’affaires semble en vérité bien se moquer de cet enjeu, ce qui ne l’empêche pas d’activement pratiquer le greenwashing.

Pour autant, il avait laissé entrevoir son réel visage lors du discours de Greta Thunberg, qualifiant la jeune militante de « catastrophiste ». Une façon d’affirmer que la situation environnementale n’était pas si préoccupante… Il faut dire que le respect du vivant ne paraît pas vraiment être une priorité pour le groupe, comme nous l’expliquions dans un précédent article sur la torture des crocodiles utilisés pour les produits vendus par LVMH.

Le domaine du luxe est en outre très représentatif de la mentalité capitaliste hyper consumériste. Non seulement le milliardaire vit d’une façon peu soutenable, mais il encourage également ses clients à en faire de même.

Crocodiles : massacrés par le luxe pour quelques riches

Un monde de privilégiés replié sur lui-même

Bien sûr, on pourrait faire ce genre de considérations sur l’immense majorité des plus fortunés. Et c’est logique, on ne peut accumuler autant d’argent sans exploiter et écraser les autres. Sans bafouer la nature et la dignité humaine. Mais l’activité de Bernard Arnault a, de plus, cette particularité qu’elle s’adresse elle-même aux privilégiés. Plus une toute petite partie de la population se gave et plus il s’enrichit. Les crises n’ont aucune emprise sur lui, bien au contraire, elles font fructifier ses affaires. C’est l’image même de l’indécence d’une paire de chaussures à 12 000 € ou d’un sac à 7000 €.

Finalement, il ne s’agit ni plus ni moins que du symbole d’un monde déconnecté du reste de la société et qui vit en vase clos sur lui-même. Un univers dont le temps est compté, et qui finira, comme une bulle spéculative, par éclater un jour ou l’autre.

– Simon Verdière


Photo de couverture : Manifestation du 10 décembre à Paris contre le projet de réforme des retraites

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