Berceau de mai 68, le campus de l’Université Paris-Nanterre (Hauts-de-Seine) souffre trop souvent de sa mauvaise réputation passée. Insécurité, bâtiments insalubres, échec universitaire, les jugements vont bon train concernant ce campus de 32 hectares. Pour Cyprien Morel, co-président du Laboratoire Ethique, Economique, Social et Solidaire (LabEESS), il représente pourtant un formidable symbole d’une mixité sociale réussie ainsi qu’un terrain particulièrement fertile pour les expérimentations environnementales et sociales.
LabEESS et la philosophie de l’expérimentation   

Expérimenter. C’est tout l’objet du LabEESS, collectif d’étudiants et de membres du personnel réunis autour de projets éthiques et d’économie sociale et solidaire au sein du campus. « Nous nous sommes toujours pensés comme un véritable laboratoire » nous explique Cyprien, jeune diplômé du Master Humanités & Management de l’université. « L’objectif est de continuellement réfléchir, tester, expérimenter, sans se soucier du résultat. Que l’expérience fonctionne ou non, elle est toujours une source enrichissante de connaissance et un vecteur de lien social » poursuit-il.

Impliquer l’ensemble des acteurs de l’Université  

Face aux éternelles problématiques auxquelles fait face le milieu associatif, le LabEESS a récemment adopté une forme collégiale structurée autour de 5 co-présidents, ayant chacun une responsabilité de prédilections qui les engage, en lien avec ses compétences et/ou son projet professionnel. « L’enjeu était de mobiliser davantage les étudiants qui relèguent souvent, et légitimement, leurs activités associatives au dernier plan, après leurs études, leurs stages ou emplois » développe Cyprien.

Avec cette organisation reposant sur l’expertise de cinq co-présidents autour desquels gravitent les différents porteurs de projet, le LabEESS entend impliquer toutes les parties prenantes de l’université, des étudiants au personnel de sécurité (comme Jean-Pierre Szurupow, également co-président) en passant par le corps professoral et l’administration. Enfin, à l’image de la politique d’ouverture du campus sur les quartiers avoisinants, ce sont également les riverains qui sont invités à porter ou soutenir les projets liés à la biodiversité et à la solidarité.

Photographie : LabEESS

Le Jardin partagé, symbole de « l’équilibre harmonieux »         

Parmi ces projets, on retrouve tout d’abord le Jardin Partagé lancé il y a trois ans. Celui-ci se veut pédagogique, social et écologique et consiste en la création d’un potager collectif en marge du campus. Entretenu par une équipe plurielle et en libre accès, les libellules et coccinelles y côtoient les différents légumes anciens cultivés de manière 100% naturelle en permaculture. « Actuellement, nous expérimentons la technique des « trois sœurs » qui consiste à associer trois plantes différentes qui s’entraident mutuellement et naturellement : nos haricots utilisent le support fourni par les épis de maïs tandis que les larges feuilles des courges protègent le sol et garantissent sa fertilité » s’enthousiasme celui qui lançait le projet en 2014. Symbole de « l’équilibre harmonieux » que vise à atteindre le LabEESS, le Jardin suscite un véritable engouement au sein de l’Université et de son quartier. Il accueille régulièrement les enfants des centres de loisirs et des écoles environnants, les associations de familles du quartier ainsi que  les enfants hébergés dans centre d’accueil d’urgence des réfugiés, formant ainsi un fabuleux melting pot d’individus fondamentalement différents « de 4 à 54 ans ».

La sensibilisation des plus jeunes aux questions philosophiques et environnementales         

Les deux tiers de la production sont revendus au Crous de Versailles et/ou utilisés pour les événements organisés à l’université. Derniers en date : l’utilisation des plantes du Jardin pour l’élaboration de tisanes aidant à la concentration des étudiants en période de partiels et la réalisation d’un cours de cuisine circulaire avec l’association « Nanterre pas ta cuisine » (en vidéo ci-dessous).

Car le LabEESS est également actif sur le terrain de la pédagogie et de la sensibilisation. Un autre projet est fondé sur l’organisation d’ateliers d’éveil à l’environnement et à la solidarité. Le principe est simple et résonne comme un défi puisqu’il est fondé sur une citation généralement prêtée à Albert Einstein : « si vous ne parvenez pas à expliquer quelque chose simplement à un enfant de six ans, c’est que vous ne l’avez pas bien compris ». L’association accueille donc sur le campus les enfants des centres de loisirs et invite particuliers et associations à leur transmettre leurs passions par le biais d’ateliers ludiques et pédagogiques. C’est ainsi que les jeunes urbains de Nanterre peuvent apprendre à confectionner un dentifrice à base d’argile ou plus curieux encore, aborder la philosophie et dialoguer sur « le sens de la vie » lors d’un atelier Philo.

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Le projet de rucher face au syndrome de « l’anarchie organisée »      

Le projet d’installation d’un rucher-école, à nouveau immédiatement implanté sur le campus, parachève le panorama des projets phares de LabEESS. L’objectif étant ici de promouvoir l’apiculture et le rôle des abeilles par la formation complète d’une vingtaine de personnes par an et l’organisation d’activités pédagogiques pour les enfants. L’entretien et l’organisation sera assurée par un apiculteur bénévole et une équipe d’étudiants bénéficiant alors un « bonus au diplôme » proposé par l’Université, mettant en valeur leur engagement associatif. La formation qualifiante à l’apiculture sera proposée et animée par un apiculteur professionnel ayant d’ores et déjà monté une douzaine de ruchers-écoles similaires. Malgré la bonne volonté générale, l’université reste une « anarchie organisée » rappelle Cyprien en citant volontiers le sociologue James March : le projet est encore freiné par l’habituel imbroglio administratif et un processus décisionnel complexe et multilatéral.

Photographie : LabEESS

La collaboration pour l’atteinte d’objectifs partagés

Déterminés à pérenniser ces différents projets et à amorcer un « effet boule de neige », les membres du LabEESS ont également décidé de former un collectif lié au développement durable et à la solidarité avec trois autres associations : Nanterre pas ta cuisine, Les Unis verts et l’AMAP ETAL. Ces associations « indépendantes dans l’interdépendance » s’apprêtent à signer une charte entérinant les quatre objectifs du collectif : participer à l’accueil et à l’insertion des réfugiés, renforcer le lien entre les familles du quartier et le campus, faire de ce dernier un lieu connecté avec la nature et participer activement à la gestion des déchets. Le collectif fonde sa philosophie sur la symbiose naturelle qui anime les écosystèmes et passionnent ses membres : la collaboration et l’expertise de chacun pour l’atteinte des objectifs partagés.

« Nanterre la rouge laisse peu à peu place à Nanterre la verte »

Difficile donc de continuer à croire les différentes fables au sujet du campus de l’Université de Nanterre et Cyprien n’a de cesse de répéter l’implication et l’engagement de l’ensemble des acteurs qui y interagissent. « Nanterre la rouge laisse peu à peu place à Nanterre la verte » où se côtoient étudiants et riverains au sein d’un espace particulièrement ouvert qui contraste avec le cloisonnement régulier d’autres établissements. La ferme du bonheur à proximité, la récente création d’une épicerie sociale destinée aux étudiants en situation de précarité ou encore le pâturage des moutons qui profitent et entretiennent les espaces verts de l’université figurent également comme les exemples emblématiques d’un écosystème vertueux qui met un point d’honneur à entretenir une admirable diversité tant sociale qu’écologique.


Sources : Propos recueillis par Mr. Mondialisation / Facebook de LabEESS

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