Ce court-métrage magistral vaut mieux que tous les discours sur le changement climatique

Une adolescente tente de convaincre son entourage de réparer une fuite d’eau qui menace sa maison lors d’un repas de famille… Et très vite, la situation dégénère. Allégorie d’un monde qui sombre dans l’indifférence, car incapable d’évoluer pour prendre toute la mesure du changement climatique et du « risque existentiel » induit, le court-métrage Thermostat 6 réalisé par Maya Av-Ron, Mylène Cominotti, Marion Coudert et Sixtine Dano a été présenté aux Gobelins (Paris) pour valider la fin de leurs études en 2018. 2 ans après, l’œuvre est plus que jamais d’actualité !

Pouvons-nous comparer l’Humanité à une famille dont la maison serait menacée par une fuite d’eau, mais qui observe sans agir en repoussant éternellement l’action au lendemain ? Pire encore, les membres de cette famille ne cessent de nier la réalité alors qu’ils subissent déjà les conséquences de ce changement. Dans un court-métrage qui encourage la réflexion, quatre élèves de l’École de l’image Gobelins à Paris ont osé le rapprochement et c’est une véritable réussite. Ce travail d’une qualité vraiment professionnelle a été réalisé à l’occasion de leur diplôme de fin d’études.

Crédit image : Maya Av-Ron, Mylène Cominotti, Marion Coudert et Sixtine Dano

« C’est au travers des récits qu’on peut changer les imaginaires »

Chaque personnage présent dans le court-métrage représente différentes attitudes que l’on observe face au changement climatique. De cette manière, le spectateur est amené à s’interroger à propos des mécanismes qui conduisent à l’inertie sociétale face à un phénomène qui menace pourtant l’existence de l’humanité. Le grand-père par exemple, entièrement absorbé par les journaux et l’actualité (par opposition à l’information), ne se rend pas compte de la fuite qui menace la maison : c’est seulement au moment où il relève vraiment la tête qu’il s’aperçoit des dégâts. Le jeune garçon représente pour sa part la génération impuissante à qui on a légué un monde bouleversé. L’adolescente, elle, tente d’alerter ses proches, mais malgré toute sa bonne volonté, elle n’arrive pas à se faire entendre. Alors que le père symbolise une forme de négationnisme, la mère, elle, représente l’illusion de l’abondance et la société de croissance. La situation va mal ? Consommons davantage et tout va s’arranger !

Chaque parole prononcée par les personnages fait intelligemment référence à des faits de société, des observations bien actuelles. Par exemple, quand l’adolescente monte sur la table pour colmater la fuite, la première réaction est de condamner le fait qu’elle puisse salir cette table alors que celle-ci est déjà inondée. Comment ne pas y voir un parallèle avec les militants de Notre-Dame-des-Landes, par exemple, souvent vilipendés pour leurs actions qui sortent des normes alors qu’on parle de la survie de la civilisation et de toutes les espèces. Alors que la jeune fille s’acharne pour faire sa part, sa famille lui rappelle sans cesse qu’il faut faire confiance aux professionnels, de ne pas dramatiser… Et puis, que peut-elle faire ? Elle n’est qu’une « jeune » ! « Depuis quand les enfants nous font la morale » lâche le père. Une jeune fille intelligente qui tente d’alerter le monde mais se fait rabrouer par des réactionnaires grisonnants ? Comme un air de déjà vu dans l’actualité ?

Crédit image : Maya Av-Ron, Mylène Cominotti, Marion Coudert et Sixtine Dano

« J’ai toujours aimé dessiner » confie Sixtine Dano, l’une des co-réalisatrices, pour qui « le film d’animation permet de conjuguer cette passion avec l’envie de raconter des histoires ». Amenée à faire des tâches répétitives pendant ses études, elle profitait de ces moments  « pour écouter des émissions de radio et des documentaires à propos de l’état du monde » avec ses camarades, d’où l’envie d’aborder le sujet.

Selon elle, Thermostat 6 est une tentative de « faire ressortir de manière positive et créative les peurs et stress liés au changement climatique ». C’est d’autant plus vrai que peu de temps après le lancement du court-métrage, l’Amazonie, la Sibérie et d’autres forêts primaires prenaient feu avec une violence jamais vue. Aujourd’hui, c’est au tour de l’Australie. Sans parler de la montée concrète des eaux qui menace déjà de nombreuses îles. Rien ne va plus. Mais tout va bien. Pas vrai ? « C’est un sujet qui me tenait vraiment à cœur et auquel je pense tous les jours ; je m’engage aussi bien dans ma vie quotidienne qu’auprès d’associations« , nous précise la jeune femme.

Crédit image : Maya Av-Ron, Mylène Cominotti, Marion Coudert et Sixtine Dano

Nous avons déjà les pieds dans l’eau !

Bien que le court-métrage soit une invitation à agir avant qu’il ne soit trop tard, on ne peut plus nier que nous avons déjà les pieds dans l’eau, voire jusqu’aux genoux. Les discours à propos du changement climatique ont d’ailleurs rapidement changé ces derniers mois : il n’est plus question de l’empêcher, mais bien de s’adapter et d’éviter le pire : l’extinction. Selon une étude du MIT (Massachusetts Institute of Technology) publiée le 31 juillet, certaines régions du monde vont devenir invivables en raison de longues vagues de chaleurs extrêmes. C’est le cas dans le Sud de l’Asie (l’une des régions les plus peuplées au monde) ainsi que dans le Golfe persique. Les grands feux australiens, en plus d’avoir éradiqué des milliards d’animaux, ont contraint des centaines de milliers de personnes à fuir leurs habitations. Les scènes sont dignes des pires films de fiction. Et ce n’est qu’un petit début, les boucles de rétroaction « positive » (emballement) du changement climatique s’activant à peine.

Ces dernières années, les anomalies de températures se sont multipliées. Alors que le court-métrage était en production, la période avril-août 2018 a été classée au rang « d’ovni climatologique », tant les températures ont excédé les moyennes de saison. Le réchauffement est également observable sur le temps long : depuis le début du 21è siècle presque toutes les années ont connu des moyennes de température dépassant la normale. 2015, 2016 et 2018 ont même été les plus chaudes jamais enregistrées. 2019 ? Pas mieux ! En France, on a même enregistré un record à 45,9 °C, la température la plus chaude jamais mesurée dans le pays. Et pourtant, l’anomalie climatique est estimée à seulement +0.557°C (de moyenne par rapport à la période de référence). Soit bien loin des +2°C voire +7°C attendus à la fin du siècle. Autant dire que nous n’avons pas la moindre petite idée de ce qui va se passer sous de telles conditions…

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Anomalies des températures moyennes. Source : NOAA

Une chose est certaine, les projections des scientifiques depuis quelques décennies se confirment à chaque nouveau relevé. Et pourtant beaucoup continuent de nier, donc restent passifs. Faudra-t-il vraiment attendre d’être submergés pour réaliser l’ampleur de la catastrophe ? Un petit digestif ?


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