L’audience concernant les missions de la cellule de renseignement de la gendarmerie nationale Déméter, entité créée par l’État à la demande de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, se tiendra devant la cour administrative d’appel de Paris le 15 septembre à 10 h. Rappel des faits.

Pour rappel, en 2020, L214 a saisi le tribunal administratif de Paris qui, par un jugement du 1er février 2022, a constaté l’illégalité des missions confiées à la cellule Déméter qui ne relevaient pas de délinquance ou de criminalité organisée.

La juridiction a également enjoint à l’État « de faire cesser les activités de la cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole qui visent à la prévention et au suivi d’“actions de nature idéologique” […] dans un délai de deux mois » sous peine de 10 000 € d’astreinte par jour de retard.

L’État a partiellement fait appel de cette décision. En effet, il n’a relevé appel que concernant les activités de suivi d’“actions de nature idéologique”. L’État n’a en revanche pas contesté l’annulation des activités de cette cellule tenant à la prévention des “actions de nature idéologiques”, reconnaissant ainsi clairement l’illégalité de cette activité.

L214 veut défendre notre droit à être informés sur les pratiques industrielles

L214 à la marche Climat du 3 Oct 2018, Paris @Jeanne Menjoulet/Flickr

Lors de l’audience du 15 septembre, L214 sera présente pour défendre la liberté d’expression, ainsi que le droit des citoyens à être informés de la réalité qui se cache derrière l’industrie agroalimentaire.

Pour Brigitte Gothière, cofondatrice de L214 : « La création de la cellule Déméter et son caractère liberticide avaient suscité beaucoup d’inquiétude, tant au sein du milieu associatif que de manière plus générale. Au-delà des libertés associatives atteintes de plein fouet, la communication de l’État autour de la cellule dépeint les associations comme criminelles, citant pêle-mêle délinquance, criminalité organisée et actions revendicatives pacifistes. Par ailleurs, la création de cette cellule s’inscrit dans le prolongement des actions de répression contre les associations revendiquant un modèle agricole conforme à l’intérêt général.

Le jugement du tribunal administratif de Paris nous avait soulagés, mais voilà qu’un an et demi plus tard, nous sommes de nouveau contraints de défendre nos droits devant le juge.

De toute évidence, placer des associations de protection des animaux et de l’environnement, exerçant leurs activités en toute légalité et dans l’intérêt général, sous la surveillance étroite non seulement de la gendarmerie nationale mais aussi des syndicats agricoles, qui leurs sont totalement hostiles, est inacceptable dans un État de droit et devrait même être inenvisageable.

La question de droit qu’aura à trancher le juge administratif dépasse L214 et les autres associations parties au litige. Il est temps pour nos gouvernements de ne plus plier sous la pression des lobbies et de se tourner enfin vers un modèle agricole et alimentaire conforme aux enjeux éthiques, climatiques et sociaux auxquels notre société est déjà confrontée. »

La cellule Déméter : un outil liberticide retoqué par le tribunal administratif de Paris

Tout commence fin 2019. Sous couvert de lutter contre l’« agribashing », le ministère de l’Intérieur crée la Cellule nationale de suivi des atteintes au monde agricole (cellule Déméter) et conclut une convention de partenariat avec les syndicats FNSEA et Jeunes Agriculteurs.

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Selon le dossier de presse publié à cette occasion par le ministère de l’Intérieur, la cellule Déméter n’a pas pour seul objectif la prévention d’infractions pénales. Il s’agit également de lutter contre des actions de nature idéologique, pouvant consister en de simples actions symboliques de dénigrement du monde agricole.

À cet effet, des gendarmes se voient notamment confier la tâche d’assister à des réunions d’associations locales œuvrant pour la préservation de l’environnement ou d’interroger des responsables associatifs sur la teneur de leurs activités.

La volonté d’intimider les associations de protection des animaux et de l’environnement en vue de les réduire au silence est évidente. La cellule Déméter a tout simplement pour but d’empêcher les lanceurs d’alerte d’exposer aux yeux de tous une souffrance et une violence systémiques que les lobbies de l’industrie agroalimentaire mettent tant d’efforts à dissimuler.

Refusant de se laisser ainsi bâillonner, plusieurs associations, dont L214, décident alors de saisir la justice. Par un jugement en date du 1er février 2022, le tribunal administratif de Paris relève que la surveillance des associations de protection de l’environnement et des animaux, ainsi mise en place, n’a pas pour but d’éviter la commission d’infractions, de préserver l’ordre public, ou encore de collecter des renseignements et informations selon le sens donné par la loi du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité.

Il en déduit que « le périmètre de la cellule Déméter, en tant qu’il concerne “des actions de nature idéologique” consistant en “de simples actions symboliques de dénigrement du milieu agricole” ne relève pas des compétences de la gendarmerie telles qu’elles sont définies à l’article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure ».

Ces activités étant dépourvues de base légale, la juridiction enjoint à l’État d’y mettre fin dans un délai de deux mois sous peine de 10 000 € d’astreinte par jour de retard.

Le soutien du gouvernement à la FNSEA au détriment des libertés publiques

Suite à la décision du tribunal administratif de Paris, l’État indique dans un premier temps « prendre acte » de l’illégalité d’une partie des activités de la cellule Déméter et annonce que sa mission sera « précisée et cadrée dans un nouveau texte d’organisation interne ».

Dans un second temps, toutefois, il interjette partiellement appel du jugement et en sollicite le sursis à exécution. Une audience devant la cour administrative d’appel de Paris est prévue le 15 septembre 2023 à 10 h.

Ce choix de faire appel, intervenu quatre jours seulement avant l’ouverture du Salon de l’agriculture 2022, constitue un message fort de soutien à la FNSEA de la part du gouvernement.

Ce choix de faire appel, intervenu quatre jours seulement avant l’ouverture du Salon de l’agriculture 2022, constitue un message fort de soutien (stratégique) à la FNSEA de la part du gouvernement.

Elle est également révélatrice d’une tendance qui ne cesse de se confirmer : face à l’évolution croissante des causes animales et environnementales au sein du débat public, les tentatives d’entrave à la liberté d’expression et au droit à l’information ne cessent de se multiplier.

Sous la pression de puissantes agro-industries, l’État de droit semble de plus en plus vulnérable. Qu’il s’agisse des récentes lois Ag-gag adoptées dans plusieurs États américains et provinces canadiennes, de la création de la cellule Déméter, ou plus récemment encore de la tentative de dissolution des Soulèvements de la Terre (suspendue par le Conseil d’État par une décision du 11 août 2023), les exemples sont de plus en plus nombreux.

Dans un tel contexte, il est de notre responsabilité à tous de nous montrer vigilants pour assurer la garantie de nos droits les plus fondamentaux.

→ Communiqué de juillet 2020 : requête avec le soutien de la LDH

→ Communiqué de février 2022 : décision de première instance

– L214


Photo d’entête @Rog01S/Flickr

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