«La spéculation, mon bon Monsieur, mais ça a toujours existé !», à pareille insertion récurrente sur son blog par des « pro-spéculation boursière », Paul Jorion répond « Non ! Et d’ailleurs, ça suffit ! » en publiant cette photographie d’une jeune fille de 5 ans qui préparait son lit le 24 décembre.
Five year old Angela Cruz prepares her bed made of paperboard along a street in Manila on December 24, 2014. PHOTO: AFP
Anthropologue et sociologue spécialisé dans les sciences cognitives et l’économie, on ne présente plus Paul Jorion et ses interventions d’un grand intérêt général. Le soir de Noël, Paul Jorion rédigeait un billet sur son blog à destination d’un énième interlocuteur « pro-bourse » qui affirmait :
« Imaginez …
Des baguettes que vous pourriez acheter 24h/24h, de formes différentes, avec des goûts et des couleurs variées, des baguettes vendues partout, jusque dans les stations-service ou les laveries automatiques… imaginez que vous puissiez ainsi accéder comme et quand vous le voudriez à ce que vous souhaitez vraiment.
En échange de cela, nous négocions pour vous les prix de ces baguettes, selon la loi de l’offre et de la demande sur des marchés interconnectés, à New York ou à Hong-Kong et nous garantissons ainsi, pour vous, cet accès illimité »
Indigné, voici la réponse de Paul Jorion :
« Ce que ne dira cependant pas votre interlocuteur, c’est que le prix ainsi négocié est un prix purement spéculatif, qui quand il fonce à la hausse, c’est le consommateur qui raque, et qui quand il fonce à la baisse, ce sont les producteurs qui écopent. Et que l’ardoise est refilée aux États – c’est-à-dire aux contribuables – quand la spéculation en arrive à un point tel que tous les ‘acteurs de marchés’ se débinent, la baguette avec, parce qu’« il n’y a plus de prix » pour la farine : parce que les acheteurs potentiels ne sont pas prêts à payer le prix qu’exigent les vendeurs, et que pendant ce temps là, les producteurs de blé doivent attendre avant de vendre et les consommateurs doivent attendre avant de manger. Si bien que les États son forcés d’intervenir, forcés de s’endetter pour pouvoir le faire, forcés d’augmenter les impôts ou de tailler à la hache dans les budgets publics pour maintenir ces marchés en vie.
Ce que dira encore moins cet interlocuteur, c’est que les fluctuations du prix, à la hausse ou à la baisse, lui permettent à lui de faire des paris sans grand risque à partir de ses informations d’initié, lui permettent de ‘faire la culbute’ comme un ‘culbuto’, au point de se retrouver à partir d’une seule baguette avec dix, cent, mille baguettes « synthétiques » comme disent les spécialistes des produits financiers dérivés. Une richesse « synthétique » elle aussi qui enrichit certains d’entre eux et ruine les autres, qui ne sera pas taxée, ou si peu, quand la véritable richesse l’est elle véritablement, par les producteurs à un bout et par les consommateurs à l’autre, une véritable richesse qui peut disparaître du jour au lendemain si les marchés spéculatifs viennent à s’effondrer, ce qu’ils font à intervalles réguliers puisqu’il est dans leur nature d’encourager les fluctuations des prix, leur sacro-sainte « volatilité » qui leur permet de faire leur beurre.
Ce qu’il taira encore, à moins qu’il ne l’ignore – tout est possible, c’est que ce n’est que depuis 1885 que tout ceci est légal, à savoir qu’il ne peut ni être appréhendé par la police pour avoir la bonté de nous offrir ainsi la manne de la « liquidité », ni poursuivi, ni condamné par la justice.
« 1885 ? C’est dans l’ancien temps ! », direz-vous peut-être. La réalité, c’est que l’activité spéculative, les paris sur les fluctuations de prix sur les marchés financiers, a été interdite de tout temps. On lui opposa ainsi au civil, depuis François Ier, « l’exception de jeu », devenue article 1965 en 1804, qui stipulait qu’aucun recours n’est permis dans le cadre d’un pari qui, selon l’un des joueurs, aurait mal tourné, parce qu’il est injustifiable de lier délibérément son sort financier au hasard, créateur d’une chance de gain sans doute mais aussi d’un risque de perte d’un montant équivalent.
Le Code pénal, dans son article 421 réprimait d’une amende et d’une peine de prison tout parieur qui aurait effectué un pari sur un ‘effet public’ (*).
Il suffirait donc que l’article 421 du Code pénal, abrogé en 1885, soit réinstauré et que l’article 1965 article du Code civil soit restitué dans sa forme ancienne pour que la spéculation soit de nouveau interdite en France, comme elle l’était aussi par ailleurs dans le reste de l’Europe et aux Amériques.
Notre choix aujourd’hui c’est entre, quand tout va bien, un service offert en tout temps et en tout lieu et sous une myriade de formes, et qui réjouit les spéculateurs mais dont les gens ordinaires n’ont nul besoin et pour lequel ils paieront un jour ou l’autre le prix fort, et quand tout va mal, c’est nous tous qui en payons le prix lorsque ces marchés spéculatifs, dont la fragilité est bien entendu vertigineuse, s’effondrent ;
L’autre option, c’est d’interdire les paris sur les fluctuations de prix et de permettre à la police et à la justice de faire ce à quoi ils servent : faire appliquer la loi. Celle des gens ordinaires, encore appelés « citoyens », pas celle des spéculateurs.
Interdisons les paris sur les fluctuations des prix.
Maintenant.
Sans quoi demain, comme aujourd’hui, les gens ordinaires, producteurs et consommateurs, continueront de nourrir l’appétit insatiable du « Moloch et Mammon, tout en un » de la spéculation. » – Paul Jorion, le 24 décembre 2014.
La seule chose qui nous rassure dans tout ça, c’est de savoir que nous n’étions pas les seuls à rédiger notre indignation le jour de Noël…
Lire l’article original et d’autres informations sur pauljorion.com