« Pour une candidate qui ne nous bananera pas ! » en voilà un beau slogan de campagne ! Et c’est celui de Chantal, orang-outan de son état, qui se présente à la Présidentielle de sa tribu, dans une jungle indonésienne en train d’être détruite au profit du juteux marché de l’huile de palme. Pour dénoncer les conséquences catastrophiques de la déforestation, le dessinateur Tuti, inspiré par la crise du Covid et l’élection présidentielle, sort une bande-dessinée (en financement sur ulule) à la fois drôle et percutante en partenariat avec la pâte à tartiner anti-huile de palme « Papa Outang ». Présentation !
L’histoire se déroule dans une jungle, en Indonésie. Une tribu d’orangs-outangs de Sumatra y vit paisiblement entre les tracas et la routine du quotidien : loyer à payer, recherche du meilleur arbre à louer, manifestation contre l’inflation du cours de la banane (à la fois nourriture, monnaie et vêtement), revendications politiques…
Mais voici qu’un jour, ils reçoivent la visite d’un nouveau « voisin », en fait un industriel qui vient d’acquérir 50 000 ha de forêt tropicale pour y planter des palmiers à huile et en tirer de juteux profits. Ce voisin se veut rassurant et s’engage à développer une forêt « moderne », « durable » et regorgeant de bananes.
Galvanisée par ses promesses, l’orang-outang Chantal décide de se lancer dans la campagne présidentielle justement en cours. Promettant également une forêt prospère en soutien au projet de leur voisin, elle va vite réaliser la manipulation dont elle et les siens ont été victimes lorsque la forêt commence à être rasée et qu’une épidémie de « bananavirus » se répand. Pour sauver l’habitat de sa tribu, il va alors lui falloir mobiliser ses congénères ; leur survie en dépend.
L’histoire de Chantal fait évidemment écho à la déforestation bien réelle en Indonésie. Croquée avec humour par la plume acérée de Tuti, dessinateur de presse, la forme de son récit ne sacrifie rien au sérieux du fond, au contraire, elle la sert en évitant les écueils de la moralisation et de la culpabilisation de son lecteur.
Les tribulations fictives de ses primates sont un moyen pour l’auteur de délivrer de nombreuses informations concrètes : histoire de la population d’orangs-outangs en Indonésie, développement et conséquences écologiques dramatiques de l’industrie de l’huile de palme. A travers ses personnages sur qui il calque un mode de vie similaire au nôtre pour l’égratigner gentiment au passage et renforcer la métaphore, Tuti entend avant tout dénoncer les ravages causés par la déforestation massive dont l’huile de palme est à l’origine.
Car la monoculture des palmiers à huile, principalement présente en Asie du Sud-Est (Indonésie et Malaisie en tête), engendre une perte dramatique de la très riche biodiversité locale, contribue au dérèglement climatique, à la pollution de l’air et de l’eau et favorise l’émergence de zoonoses (que la crise du Covid a contribué à révéler au grand public).
Si la culture de l’huile de palme a pu se développer à ce point c’est qu’elle possède bien des avantages aux yeux des industriels de l’agro-alimentaire : les palmiers à huile poussent rapidement (aidés de pesticides comme le glyphosate), sont très productifs (6 fois plus que le soja) et leur huile est facile à extraire.
De plus, les pays où les palmiers sont cultivés fournissent une main d’œuvre bon marché, augmentant sa rentabilité. Peu chère, l’huile de palme est aussi plus facile à utiliser que d’autres huiles végétales, raison pour laquelle elle est désormais présente dans énormément de produits alimentaires. Outre l’alimentation, on la retrouve également dans des peintures, des produits cosmétiques et les biocarburants, un secteur en pleine expansion.
Mais en contrepartie, cette culture intensive contribue au changement climatique et à l’augmentation de la pollution : en détruisant les forêts tropicales – l’équivalent de 150 terrains de foot toutes les heures en Indonésie !-, on brûle les tourbières sur lesquelles elles ont poussé et qui forment un important réservoir de carbone (30 fois plus que les forêts classiques).
Relâché dans l’atmosphère, ce carbone participe au dérèglement climatique. Les brûlis gigantesques qui ont eu lieu chaque année en Indonésie ont aussi plongé Singapour et la Malaisie dans des brouillards toxiques, affectant la qualité de l’air et la santé des populations. Premier producteur mondial d’huile de palme, l’Indonésie est aussi devenue le quatrième pays le plus pollueur au monde. Sans compter que la culture de l’huile est en elle-même polluante : les pesticides et engrais chimiques utilisés se retrouvent dans l’eau et le sol tout comme les déchets des usines, privant les populations voisines de ressources essentielles. A terme, ces pays producteurs risquent de voir leurs terres être stérilisées et leur environnement dérégulé.
Pour cultiver l’huile de palme à grande échelle, l’Indonésie et la Malaisie ont détruit 90 % de leurs forêts, déséquilibrant gravement la biodiversité. La destruction de leur habitat menace particulièrement la survie des orangs-outans mais les éléphants, les tigres, les rhinocéros, nombres d’espèces d’oiseaux et d’insectes sont aussi directement concernés.
La disparition d’espèces comme l’orang-outan risque également de favoriser le retour de certains insectes et de bactéries dangereux pour l’homme et la flore que les primates éliminaient. Le retour à l’échelle mondiale de maladies comme le paludisme est alors à craindre. Les populations indigènes sont chassées par la réquisition de leurs terres ; et avec leur départ c’est tout un patrimoine culturel qui disparait.
L’huile de palme entraine aussi une paupérisation des employés locaux dont les pays ne sont pas regardant sur les conditions de travail violant les droits humains qui leur sont imposées.
On relève notamment le travail d’enfants déscolarisés, un salaire en dessous du minimum légal pour de trop longues horaires de travail, des sanctions pour « faute » ou en cas d’objectif de production (déraisonnable) non atteint, l’utilisation d’outils dangereux et de pesticides (dont certains comme le paraquat sont interdits en Europe d’ailleurs) provoquant des problèmes de santé aux employés chargés de les manier. Pour un emploi au final difficile, éprouvant physiquement, précaire, sans assurance maladie ni retraite.
Enfin, si cette huile n’est pas spécialement mauvaise pour la santé, son omniprésence génère une consommation trop élevée, ce qui augmente les risque de surpoids et d’obésité, et avec eux de diabète et de maladies cardiovasculaires.
A coté de ses quelques avantages, les conséquences de la culture de l’huile de palme sont définitivement un prix bien trop lourd à payer pour les populations et l’environnement.
« Chantal Présidente ! » a vu le jour en partenariat avec Papa Outang, la pâte à tartiner qui sauve la forêt. Chaque exemplaire vendu permettra en outre de sauver 10 m2 de forêt tropicale qui agrandiront les réserves de l’association Kalaweit en lutte depuis vingt ans pour préserver la biodiversité indonésienne notamment.
Parce que dénoncer ne suffit pas, Tuti nous propose là un moyen d’agir à notre portée.
L’histoire de Chantal et de sa tribu d’orangs-outans, c’est aussi celle d’une autre espèce de primates, l’homo sapiens, la nôtre donc : le danger est là sous nos yeux, les conséquences s’en ressentent déjà mais nous n’arrivons pas à réagir.
Si les orangs-outans d’Indonésie ne peuvent rien face à la destruction de leur habitat, il nous appartient alors de nous battre, tant pour eux que pour nous. Et cela tombe à pic car nous avons également une élection décisive qui approche pour faire entendre notre voix alors que la question de l’écologie n’y est que peu abordée malgré les rapports du Giec qui n’ont jamais été aussi alarmistes.
La campagne ulule de Chantal se termine le 10 avril. N’hésitez pas à aller glisser un billet (de vote) ! Et ne manquez pas les autres dessins de son auteur Tuti sur son site internet, facebook et instagram.
S. Barret