Rare secteur dont la contribution au réchauffement climatique continue d’augmenter chaque année, l’aérien pèse encore lourdement sur le bilan climatique français. Loin des fausses solutions technologiques, le Réseau d’Action Climat (RAC) entend réduire le trafic de manière efficace et socialement juste. Voici 9 mesures justes et efficaces sur le sujet.
Création d’une taxe « grands voyageurs », interdiction des jets privés ou fermeture des liaisons aériennes courtes, le rapport détaille le profil des passagers aériens et évalue 9 mesures pour réduire le trafic selon leur impact sur le climat, les recettes fiscales générées et la répartition de l’effort.
20 % des ménages les plus aisés génèrent 42 % des émissions de l’aérien
En 2019, le secteur aérien représentait 7% des émissions françaises de CO2. Alors que l’Association internationale du transport aérien (IATA) envisage un record pour l’année 2024, avec 4,96 milliards de passagers attendus dans les aéroports du monde entier, les experts français sont catégoriques : le trafic aérien devra impérativement baisser pour satisfaire les conditions de l’Accord de Paris.
Loin d’être suffisamment convaincantes, même les solutions technologiques les plus prometteuses (carburants de synthèse, biocarburants…) ne pourront jouer un rôle dans la transition qu’à cette condition préalable.
« Une question-clé se pose alors : comment réduire le trafic de manière efficace et socialement juste ? »
Une question-clé se pose alors : comment réduire le trafic de manière efficace et socialement juste ? Pour le Réseau Action pour le Climat (RAD), une coalition d’organisations de défense de l’environnement, il n’y a « aucune réponse évidente » qui se dessine à ce jour. Mais face à l’urgence, l’association publie un nouveau rapport qui détaille 9 mesures ambitieuses et justes, espérant fournir de nouvelles pistes d’action à l’échelle de la France.
« Aujourd’hui en France, le passager moyen est plutôt jeune, aisé, diplômé. Il habite en ville et voyage essentiellement pour ses loisirs ».
Aujourd’hui en France, le passager moyen est plutôt jeune, aisé, diplômé. Il habite en ville et voyage essentiellement pour ses loisirs. « Les vols de loisirs représentent ainsi 75% des émissions contre 13 % pour les vols professionnels et 12 % pour les vols familiaux », détaille l’organisation.
Bien loin du mythe de la « démocratisation » avancé par les compagnies low cost, les inégalités d’accès au voyage aérien sont claires : « sur 100 voyageurs aériens, on dénombre 37 cadres supérieurs (contre 14 dans la population générale), et seulement 8 ouvriers (contre 21 dans la population générale) ». La position géographique joue également un rôle : « un habitant de la région parisienne a ainsi 2 fois plus de chance qu’un habitant de zone rurale de prendre l’avion, toutes choses égales par ailleurs ».
Cette répartition inégalitaire, déjà présente en 2008, s’est renforcée en 2018 : le dernier décile de population, soit les personnes les plus aisées, est encore plus représenté parmi les passagers aériens (+ 4 points), tout comme les cadres supérieurs (+ 10 points).
Le low-cost ou le mythe de la démocratisation des voyages en avion
S’il est vrai que de plus en plus d’individus aux revenus hétérogènes prennent l’avion, l’arrivée de nouveaux voyageurs plus populaires s’accompagne en parallèle de l’intensification des pratiques des plus riches, qui multiplient les voyages en avion. « Dit autrement, l’essor du low cost n’a pas remis en cause les inégalités sociales d’usage de l’avion car il a permis à des personnes qui voyageaient déjà en avion de le faire encore plus souvent, et sur des périodes plus courtes », note le rapport.
Afin de répartir équitablement le poids de la transition à la lumière de ces données, le RAD envisage neuf mesures de modération du trafic selon trois critères : leur impact climatique (soit la quantité d’émissions produites), les recettes fiscales générées permettant potentiellement à l’Etat d’investir dans des moyens de transport décarbonés, et enfin « la répartition de l’effort au sein de la population », soit l’impact de la mesure sur les populations aux revenus modestes ou aisés.
A titre d’exemple, la fin des programmes de fidélité type « miles » est une mesure particulièrement justes, puisqu’elles font reposer l’effort sur les passagers les plus aisés. « Autrement dit, ces mesures n’auront aucun impact sur l’immense majorité de la population ».
Taxer les « grands voyageurs » : une mesure juste et efficace
Parmi les neuf propositions passés au crible, « une mesure spécifique satisfait tous les critères », analyse l’organisation. La création d’une “taxe grands voyageurs” apparaît comme un atout incontournable. « Plus un passager prend régulièrement l’avion, plus le prix unitaire d’un billet augmente. Selon notre modélisation, cette mesure permettrait de baisser les émissions du secteur aérien de 13,1 %, tout en faisant peser l’essentiel de l’effort sur les passagers les plus réguliers et en générant 2,5 milliards de recettes ».
Pour le reste, l’association plaide également pour l’interdiction des jets privés – qui étaient pas moins de 250 000 à décoller ou atterrir dans le pays en 2023, la fermeture des liaisons les plus courtes comme Paris-Toulouse et Paris-Marseille, ou encore le plafonnement du trafic aérien à la baisse (-20%), qui engendrerait une réduction des émissions de CO2 de 1,66 à 4,96 mégatonnes par an.
« ces différentes mesures permettraient des économies fiscales de 100 milliards d’euros nécessaires à la relance du ferroviaire »
Au total, ces différentes mesures permettraient des économies fiscales de 100 milliards d’euros nécessaires à la relance du ferroviaire, comme annoncés par le gouvernement Borne en février 2023. Une aubaine dans un contexte budgétaire difficile. « Elles permettraient aussi d’améliorer l’équité fiscale entre les Français qui partent en vacances en voiture, et payent une taxe sur le carburant, et ceux qui voyagent en avion, qui n’en payent pas », ajoute le rapport.
Financer massivement les moyens de transport décarbonés
Pour le Réseau Action Climat, la réduction du trafic aérien est indispensable pour respecter l’Accord de Paris, mais loin suffisante. « Elle doit s’accompagner d’investissements massifs dans le ferroviaire, afin de permettre au plus grand nombre de voyager en train en France et en Europe ». A ce titre, l’organisation plaide pour l’ouverture de nouvelles lignes de train de nuit, la réduction du montant des péages ferroviaires ou encore la mise en place d’un billet de congés annuels à prix abordable.
Avant la France, d’autres pays européens ont sauté le pas. L’Italie a par exemple baissé drastiquement ses péages ferroviaires, ce qui a eu pour conséquence « une croissance importante de l’offre, et une baisse conséquente du prix des billets ». L’Autriche a quant à elle massivement investi dans les trains de nuit, proposant récemment des nouvelles lignes depuis Vienne vers de nombreuses destinations européennes (Rome, Amsterdam, Paris, Bruxelles, Milan, Zurich, Hambourg…).
« L’Allemagne a lancé un « ticket climat » (Deutschlandticket) à la sortie de la crise sanitaire. Pour 49 € par mois, celui-ci permet d’emprunter le train en illimité (transports urbains, trains régionaux et interrégionaux – seuls les trains à grande vitesse sont exclus) », ajoutent les auteurs du rapport. La France parviendra-t-elle à suivre leur exemple ?
– L.A.
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