Comment en finir avec quelque-chose dont on a jamais vu le visage ? Il suffit d’arrêter d’y croire, de se pencher sur les faits historiques irréfutables, d’appréhender la complexité du monde afin d’être mieux « armé » pour le changer rationnellement. C’est du moins l’idée d’un document qui circule gratuitement, réalisé par un collectif anti-capitaliste fatigué de voir les luttes phagocytées par des théories du complot sans queue ni tête.
La simplification abusive d’une réalité complexe
Comment rester critique et libre d’esprit face à un système capitaliste aliénant sans sombrer dans la paranoïa du conspirationnisme illuminati ? Beaucoup, en réalisant leur « réveil » au travers du rejet d’un système jugé injuste, sont tentés de plonger tête la première dans des thèses conspirationnistes qui répondent simplement à une réalité très complexe : « Si tout va mal, c’est probablement la faute à une poignée d’individus satanistes, très riches, très puissants, très méchants qui veulent réduire la population et gagner beaucoup d’argent. » C’est caricatural, mais c’est en substance ce à quoi des milliers de gens croient, réduisant la complexité d’un monde de 7 milliards d’individus à des méchants contre des gentils. Une ribambelle de vidéos séduisantes sur le fond comme sur la forme viennent appuyer ces thèses farfelues créant une paranoïa et une confusion difficilement contrôlable mais étonnement profitable au système qu’elles prétendent combattre.
C’est en voyant des milliers de militants sombrer dans cette vision simpliste et caricaturale du monde que des indignés anarchistes et anti-capitalistes ont créé le pamphlet « How to overthrow the illuminati ? » réalisé par des membres – ou proches – de groupes militants américains comme les « Black Orchid Collective », « Take Back the Bronx » ou encore le collectif « Creativity Not Control ». Mais la conspiration va plus loin que de vulgaires croyances, il s’agit d’un plan politique rondement mené depuis l’aube d’un idéal social. Aux USA, ces thèses conspirationnistes, profondément réactionnaires, vont jusqu’à inclure l’écologie, l’humanisme et l’alter-mondialisme comme faisant partie d’un grand complot. Un orientation des thèses conspirationnistes ouvertement politisée à l’extrême droite, non sans cause. Colportées en Europe par des idéologues d’extrême droite comme Soral (national socialiste français), ces thèses rencontrent un audimat toujours plus grand car séduisantes, transformant les dernière et rares valeurs démocrates en « danger » pour la société.
Ce document d’une importance capitale dévoile l’origine politique et l’objectif des principales théories du complot. Disponible désormais en français grâce au groupe GARAP, celui-ci risque de faire couler beaucoup d’encre tellement il met en perspective la complexité qui anime la dissidence. Ce texte se penche sur les origines, les ressorts et les promoteurs d’une bien funeste mystification du « système » qui pousse à l’inaction, au rejet de l’écologie et à tout ce qui s’oppose à la liberté de pensée critique et objective. Transformant son adepte en nouveau « croyant » convaincu de détenir le Graal de la vérité absolue, la conspiration illuminati pousse très discrètement les dissidents à adhérer à des valeurs réactionnaires, anti-humanistes, anti-écologistes, précisément profitables à ceux qui souhaitent ralentir la transition de la société vers un avenir serein.
« Il a toujours existé des complots dans l’histoire ! »
S’il est un fait que des complots ponctuels et locaux existent dans l’histoire, ils sont de l’ordre des faits historiques vérifiables car ne se basent pas sur la rumeur. S’il est un fait que les médias mainstream traitent l’information de manière orientée, il est extrême de voir un complot dans chaque parole prononcée par un journaliste dont nombre d’entre eux sont indépendants. S’il est un fait que les gouvernements de droite comme de gauche en sont réduits à de simples régulateurs du marché, soumis aux multinationales, rien n’indique que le monde soit dirigé par une poignée d’individus. Dans une mondialisation infiniment complexe, où chaque état tire la couverture vers lui, où la démocratie et les droits de l’Hommes sont dans tous les discours, rarement dans les actes, comment percevoir la nuance des choses ? Le document « Comment renverser les Illuminati ? » tente de mettre en lumière que la théorie du grand complot illuminati provient et alimente la pensée réactionnaire à tendance nationaliste voire fasciste. En d’autres termes, du point de vue des faits, on peut entrevoir le complotisme comme étant le chien de garde du système contre la pensée libre, un filet de rattrapage qui dépolitise le sujet et empêche toute solution rationnelle de se déployer. Certains diront qu’il s’agit là d’une sorte de mécanisme secondaire de contrôle des masses, une fausse opportunité de s’émanciper, un cul de sac volontaire profitant aux mouvements conservateurs.
À bien y regarder, les théories du complot les plus délirantes usent des mêmes outils du divertissement de masse aussi bien que de la rhétorique politique de l’extrême droite : dictature de l’émotionnel au détriment de la raison, grégarisme de la pensée, simplification abusive de la réalité, alimentation de la peur, création d’un ennemi invisible, catégorisation et étiquetage. Dans la plupart des thèmes abordés, on retrouve des accointances troublantes avec certaines visions politiques très à droite : la crainte du grand remplacement qui se nourrit de l’anti-mondialisme (volontairement confondu avec l’alter-mondialisme), la volonté de renforcer les valeurs nationalistes et les rigidités identitaires, un rejet violent de tout ce qui constitue le multiculturalisme, une attaque systématique des valeurs qui constituent l’humanisme, une justification de toute les intolérances en usant des peurs religieuses (homophobie) et surtout, le rejet de l’écologie de toutes ses formes, particulièrement en matière de changement climatique. On observe donc rapidement que ces théories du complot servent de pilule pour introduire un citoyen lambda à une pensée politique favorable au « business as usual » …
Dans le « meilleur » des cas, le complotiste réalise à temps qu’il a été dupé. Le plus souvent, celui finira par considérer positivement des idées politiques fascistes telle que le national socialisme (dont le diminutif est nazisme). Dans le pire des cas, le conspirationnisme pousse l’individu à la paranoïa, le déracinant de son entourage, parfois jusqu’à la schizophrénie ou le suicide. Cet état de pensée est-il supposé changer le monde ? Non, c’est tout le contraire, et c’est en ça que la pensée conspirationniste joue un rôle décisif dans l’immobilisme collectif. Il ne sert pas à libérer la pensée mais à la piéger dans un autre mode de raisonnement, loin de toute liberté.
Alex Jones – Figure du complotisme. Se déclare libertarien et paléo-conservateur de droite. Militant actif de la Tea Party américaine.
Aux USA, le délire s’est tellement répandu depuis quelques années que certains chanteurs viennent à utiliser l’iconographie imaginaire « illuminati » (amalgamée à celle de la franc-maçonnerie pour alimenter la stigmatisation) pour provoquer l’opinion et faire le buzz autour d’eux. Dans ce pays, le conspirationnisme étant clairement revendiqué par la droite conservatrice radicale, il est plus facile de détecter l’origine de la paranoïa. Par exemple, Alex Jones, figure la plus importante du conspirationnisme aux USA (dont les théories alimentent largement la sphère francophone) se revendique être un conservateur, anti-progressiste et militant de la Tea Party. Cette position politique assumée n’est pas revendiquée en Europe.
Bien-sur, la personne « lambda » qui croit à ces théories est souvent bien loin de s’imaginer les fondements de ces idées et ne ressemble en rien à ces caricatures. Mais comment ouvrir le débat sur une éventuelle manipulation d’opinion sans levée de boucliers de type : « tu as été acheté par l’élite ! » ou « tu es un infiltré qui collabore avec le mal ! » ou encore « le complot est avéré, réveille ton esprit » ?
Un épouvantail pour orienter l’indignation
À force d’arguments, de faits historiques, de liens avérés entre les théories de la conspiration et des pans du fascisme, ce document invite le lecteur à comprendre et accepter les différents niveaux du contrôle de la pensée. On y découvre ainsi que le conspirationnisme est un triple pain béni pour ceux qui ne veulent pas d’un changement de société. Non seulement il rend l’individu dans l’incapacité d’agir face à un ennemi invisible, symbolique et donc immortel, mais en plus, il apparait comme un bouillon de culture des extrêmes que des idéologues de la droite réactionnaire et conservatrice récupèrent à leur profit partisan. Enfin, le simple fait d’encourager la pensée conspirationniste (en particulier autour du délire illuminati) décrédibilise, par assimilation abusive, les individus et penseurs sérieux qui sont dans une logique de lutte rationnelle contre le système. Ainsi, les médias orientés et autres éditorialistes à la solde de la pensée dominante peuvent balayer de la main des idées progressistes, révolutionnaires ou profondément critiques des institutions capitalistes (par exemple) en catégorisant l’opposant de conspirationniste, comme cela arrive de plus en plus souvent.
Pourtant, les manipulations médiatiques, politiques ou industrielles sont de l’ordre des faits, pas de la conspiration. Inonder l’information dissidente de théories du complot rend particulièrement difficile toute lutte rationnelle. Il est pourtant bien plus constructif de lutter contre le lobbying, les multinationales, la finance, la corruption ou le capitalisme de connivences à travers des associations et des collectifs sérieux, que de reléguer ces problèmes réels à un épouvantail invisible. Marquer la différence et lutter contre le conspirationnisme apparait donc aussi important qu’une lutte pour un média et une société libres.
Ce document (format PDF) qui invite à la réflexion et à l’introspection fait la lumière sur cette funeste supercherie, et propose de nécessaires arguments à sa réfutation afin de garder l’esprit clair sur les véritables problèmes de société :
Source : garap.org / overthrowingilluminati.wordpress.com