Proposer des menus à prix décent tout en privilégiant des aliments issus de filière durable et locale, c’est la mission que se sont donnée deux restaurants nantais : le Bar’île et le Salut. En se regroupant dans une coopérative, ils réalisent qu’il manque un chaînon essentiel à leur offre de restauration, celui de l’approvisionnement. C’est ainsi qu’ils décident de racheter une exploitation maraîchère en agriculture biologique. Deux salariés sont rapidement recrutés, et la production de légumes démarre dès le début du mois de janvier pour fournir les deux restaurants et 200 familles. Une campagne de crowdfunding a également été lancée, pour financer les différents aménagements prévus sur la ferme. Commun’Île était né.
La restauration peut être un acteur de premier plan de la transition alimentaire. En privilégiant les circuits-courts, les modes de production responsables et l’approvisionnement local, certains restaurants montrent la voie. C’est la raison d’être du Bar’île et du Salut, deux établissements qui ont récemment ouvert leurs portes à Nantes. Les deux bar-restaurants s’attachent à proposer des menus à prix décent, qui correspondent à la valeur réelle des aliments et du travail nécessaire à leur production. Leurs affinités les amènent très vite à se regrouper dans une coopérative baptisée Commun’Île.
Associer les producteurs à la valeur marchande
Depuis leur création, le Bar’Île et le SALUT ont toujours eu à cœur d’associer directement les producteurs à la valeur marchande qu’ils produisent. « On s’est toujours dit qu’il n’était pas normal que l’on paye un agriculteur 3,5 euros son kilo d’aubergine, qu’il a produit en dépassant maladies, sécheresses, invasions etc., quand nous derrière en cuisine, en deux coups de cuillère à soupe, on transforme ce beau produit en Caviar d’aubergine que l’on vend 40 euros le kilo » explique la coopérative. Les deux restaurants ont depuis longtemps la volonté de dépasser ce problème en rémunérant différemment les fournisseurs.
Pour obtenir les produits de qualités qui font la renommée des établissements, la coopérative décide donc de changer de modèle afin d’offrir un salaire protecteur et émancipateur à ses producteurs de légumes, un métier trop souvent précaire. Les maraîchers profitent ainsi de la stabilité des restaurants pour avoir un salaire garanti, au même titre que les cuisiniers, serveurs et autres associés-salariés. Ce projet ambitieux demeurait au stade des idées, jusqu’à que Maxime Lefebvre, chef et gérant du bar-restaurant Bar’île, tombe sur une annonce particulièrement opportune au mois de septembre dernier.
Un modèle bio-intensif
Située en plein cœur du bocage nantais, le « Jardin s’en soucie », exploitation maraîchère en agriculture bio depuis 8 ans, cherchait alors un repreneur. En quelques semaines, tout s’accélère : le Bar’île présente une proposition de rachat aux exploitants, et une annonce est publiée pour salarier deux maraîchers sur place. 24 heures plus tard, l’équipe est constituée avec la candidature de deux jeunes diplômés de la Chambre d’agriculture. Cette opportunité permet aux maraîchers de répondre au défi trop souvent constitué par l’accès au foncier et le fait de vivre de sa production dans le modèle agricole actuel.
Sur la petite parcelle du « Jardin S’en Soucie », ils ont l’ambition de faire évoluer le système dont ils héritent vers un mode de culture à la fois performant et respectueux de l’environnement. « On veut transformer la parcelle vers un modèle beaucoup plus manuel dit bio-intensif, dans la mesure où on va augmenter les rendements en densifiant les cultures », précise Christophe Godineau, l’un des deux maraîchers. L’objectif est d’arriver à produire environ 25 tonnes de légumes par an, de quoi fournir les restaurants de la coopérative Commun’Île, et livrer des paniers à au moins 200 familles de la région.
Des coûts et risques financiers importants
Si la production a démarré dès le début du mois de janvier, de nombreux aménagements sont prévus sur le terrain d’ici à l’année prochaine : acquisition d’une parcelle voisine en agroforesterie dédiée aux légumes d’hiver, installation de poulaillers mobiles pour vendre des œufs, montage de nouvelles serres… Au total, un investissement financier et matériel de 40 000 euros est nécessaire sur la ferme. Pour y contribuer, la coopérative Commun’Île a initié une levée de fonds participative sur Zeste, la plateforme de crowdfunding éthique de la Nef. Active depuis le 3 novembre, elle a déjà permis de réunir plus de 45 % de l’objectif fixé.
Une telle démarche représente donc un coût et un risque financier non-négligeables, c’est pourquoi elle reste plutôt l’apanage de chefs d’établissement gastronomique, où le prix pour le client est bien plus prohibitif. Au sein de la coopérative, il s’agit plutôt d’imposer de nouveaux standards pour la restauration populaire : circuit ultra-court qui diminue les frais liés aux intermédiaires et l’impact environnemental, revenu décent et assuré pour les producteurs, et maîtrise des coûts sur toute la chaîne de valeur. « Les aléas de production d’une ferme reposent normalement uniquement sur elle, et poussent les fermiers à aller vers le plus rentable, le plus cher. On va pouvoir s’affranchir de cette problématique dans notre système, et aller vers une manière plus juste de produire des légumes », résume Maxime Lefebvre.
Une logique éco-responsable et anticapitaliste
Cette volonté de traduire dans les faits une vision anticapitaliste du monde de demain est au cœur de l’avènement de la société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) Commun’île. Au sein de celle-ci, chaque employé est associé-salarié de la structure, de la ferme jusqu’aux bars-restaurants, avec une égalité salariale. Ceci dans le but de rendre les maraîchers propriétaires et responsables des restaurants qui transforment leurs légumes et les cuisiniers propriétaires et responsables de la ferme où poussent ces légumes. Entre ces deux pôles, se rejoignent les usagers et toutes les forces vives qui donnent vie aux lieux pour créer ce projet collectif.
Un outil de transformation au service de toutes celles et ceux qui la composent et la traversent, c’est donc ce que veut devenir Commun’Île. Pour y arriver, elle a besoin de tout le soutien nécessaire, depuis les bénévoles qui aident à l’installation jusqu’aux contributions à la campagne de financement participatif qui prendra fin le 1er février. Mais la coopérative ne compte pas s’arrêter là, et les dons supplémentaires seront investis dans l’intégration d’une boulangerie, d’un petit élevage laitier ou encore d’une brasserie locale. Des projets cohérents avec la volonté de créer une chaîne de valeur continue de la fourche à la fourchette, hors d’une logique capitaliste et respectueuse de l’environnement, sur tous les lieux de production.
Raphaël D.