Le Conseil Constitutionnel vient de rendre son avis : après une procédure législative accélérée, la France va étendre le recours obligatoire du « passe sanitaire » à un très grand nombre d’espaces de la vie publique. Le moment est suffisamment historique pour être rappelé : il sera désormais impossible d’entrer dans un restaurant, un hôpital, un cinéma ou un train sans se soumettre au contrôle du nouveau graal. Une mesure sanitaire qui concerne uniquement les citoyens, alors que le secteur marchand bénéficie d’un encadrement bien plus libre dans ce même domaine. Où comment le gouvernement s’en prend aux conséquences en laissant prospérer les causes. Tribune libre.

Le 12 juillet dernier, le président de la République a justifié ce glissement antilibéral par un impératif indiscutablement supérieur : celui de la protection sanitaire de la population. Motif louable. Pourtant, ce même impératif de santé publique, brandi ici comme un principe suprême, ne semble pas toujours prévaloir aux yeux du gouvernement.

Lorsqu’il s’agit de restreindre les libertés des géants industriels, l’absolu sanitaire glisse même subrepticement au second rang. La lutte contre les principales causes de mortalité de notre siècle (pollution, malbouffe, pesticides…), qui seule peut fonder une politique de santé environnementale réellement ambitieuse, est de fait rendue impossible par le refus du gouvernement d’encadrer les acteurs privés par une réglementation stricte. Et ce, en dépit de la multiplication des cris d’alerte des instances scientifiques et citoyennes.

La liberté marchande trône comme un principe plus « suprême » encore que la liberté collective et la santé publique réunies.

La santé publique sacrifiée sur l’autel des profits industriels

Selon une étude récente publiée dans The Lancet, un décès sur cinq dans le monde peut être attribué à la « malbouffe ». Ce sont 11 millions de personnes qui meurent chaque année de maladies cardiaques, de diabète ou de cancers liés à de mauvaises habitudes alimentaires. En France, 8 millions de personnes sont concernées par l’obésité, et les chiffres sont en constante augmentation. Et pourtant. Le gouvernement se refuse catégoriquement à encadrer le secteur de l’agroalimentaire par des mesures légales, tant sur le plan de l’offre que de la publicité.

Source : commons.wikimedia

L’État a ainsi rejeté la proposition de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) qui visait à interdire la publicité pour la malbouffe quand elle cible les enfants, préférant s’appuyer sur le « volontarisme » des acteurs industriels. En 2018 déjà, la majorité gouvernementale avait refusé une série de prescriptions émises par une Commission d’enquête parlementaire, préconisant d’abaisser le nombre d’additifs autorisés dans l’alimentation industrielle, de rendre obligatoire le Nutriscore ou encore de réglementer les aliments ultra-transformés en se fondant sur les recommandations de l’OMS. Le gouvernement a également rejeté la proposition de la CCC de se retirer de l’accord commercial du CETA. Cet accord (adopté de manière antidémocratique dans la mesure où il a été voté à l’Assemblée en 2019 sans jamais passer par le Sénat), menace la protection des consommateurs en permettant l’harmonisation et le nivellement par le bas des normes sanitaires.

Autre exemple significatif : les pesticides. Là encore, le bilan sanitaire est alarmant. Chaque année, on compte au moins 385 millions d’intoxications graves aux pesticides. L’INSERM vient par ailleurs de publier un rapport inquiétant confirmant le lien entre les pesticides et certaines maladies graves (Parkinson, cancers, leucémies infantiles, maladies respiratoires et troubles cognitifs). Il faut rappeler que la France est placée au 9ème rang mondial des pays les plus touchés par le cancer et au 4ème rang mondial pour le cancer du sein. Et pourtant. Là encore, la majorité gouvernementale recule devant toute réglementation sérieuse et ne fait preuve d’aucune volonté politique pour retirer du marché les substances les plus dangereuses.

La sortie du glyphosate, annoncée par Emmanuel Macron pour 2020, n’a jamais eu lieu. Le gouvernement ne tiendra visiblement pas davantage sa promesse d’une réduction de 50% de l’utilisation des pesticides en France d’ici 2025. Au contraire, l’utilisation des pesticides s’accroît dans le secteur agricole et alimentaire : le recours aux produits phytosanitaires aurait même augmenté de 25% en 10 ans. Et pour cause : L’État n’offre aucun accompagnement aux agriculteurs désireux de se tourner vers l’agriculture écologique. La réforme de la politique agricole commune (PAC) qui vient d’être votée décourage par avance les moindres velléités de changement, en abaissant de 66% les aides accordées à l’agriculture biologique.

Pollution de l’air à Taïwan. Source : flickr

Dernier exemple éloquent : la pollution. Chaque année, 8,7 millions d’individus meurent prématurément dans le monde à cause de la pollution et des particules fines issues de la combustion des énergies fossiles. En France, le nombre de décès prématurés est estimé à 100 000 par an. Et pourtant. La fameuse « Loi Climat », tant attendue au regard des enjeux environnementaux actuels, ne témoigne d’aucun effort pour s’attaquer significativement à ce fléau. C’est même tout le contraire : la majorité gouvernementale a rejeté toutes les mesures les plus significatives de la CCC. Tous les amendements qui concernaient les grandes entreprises (117 au total) ont été jugés irrecevables. Au lieu de s’attaquer aux gros pollueurs, le gouvernement choisit donc de s’enferrer dans une idéologie renvoyant la responsabilité aux individus et à leurs comportements déviants.

Une politique du symptôme qui refuse de combattre les causes

Pas question, autrement dit, d’imposer aux industriels les mesures contraignantes qui s’appliquent aujourd’hui aux citoyens. Ces lacunes du gouvernement en matière de santé environnementale ne sont pourtant pas sans conséquence au regard de la crise sanitaire actuelle. En sacrifiant la santé des citoyens à la liberté marchande des géants industriels, le gouvernement ignore délibérément l’un des aspect fondamental du Covid-19, mis au jour par Richard Horton dans une publication du Lancet : le Covid n’est pas une « pandémie » mais une « syndémie », c’est-à-dire que ses formes graves touchent principalement les personnes les plus fragiles présentant des comorbidités.

Autrement dit, la plupart des pathologies énumérées ci-dessus (diabète, obésité, cancer, maladies cardiovasculaires) constituent précisément des facteurs aggravants pour le Covid-19. La gestion sanitaire actuelle, fondée sur un scénario technologique et court-termiste de sortie de crise par le seul vaccin, témoigne donc d’une politique de santé insuffisante et contradictoire, aveuglément tournée vers le symptôme.Cette contradiction apparaît plus nettement encore lorsque l’on s’intéresse à la manière dont sont traitées par le gouvernement les causes écologiques de l’épidémie actuelle. Il est désormais admis que l’émergence croissante des épidémies est étroitement liée à l’activité humaine de déforestation, de destruction de la biodiversité, d’urbanisation et à la multiplication des élevages industriels (voir à ce sujet l’ouvrage de Marie-Monique Robin, La fabrique des pandémies, La Découverte, 2021).

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Source : commons.wikimedia

Depuis des décennies, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme à ce sujet. Et pourtant. A l’heure où le gouvernement français souhaite « frapper fort » par une politique d’obligation vaccinale déguisée, il prévoit dans le même temps, sans consultation citoyenne aucune, de s’investir aux quatre coins du monde dans des projets aux conséquences environnementales – et donc sanitaires – désastreuses. A titre d’exemple, la France envisage de s’associer à un nouveau projet minier en Guyane, le « projet Espérance » (qui remplace la « Montagne d’or »), impliquant la cyanuration et l’extraction de 20 millions de m3 de roches au cœur de la forêt tropicale. En 2018, le gouvernement avait déjà donné l’autorisation à Total d’exploiter une bioraffinerie dans les Bouches-du-Rhône et d’importer environ 500 000 tonnes par an d’huile de palme, extraite dans les pays tropicaux, afin de nourrir nos voitures Diesel. Il envisage à présent de soutenir un mégaprojet d’exploitation gazière porté par le même groupe Total en Arctique, région à haut intérêt stratégique du point de vue des ressources (désormais accessibles grâce à l’action du réchauffement climatique). Pourtant, les scientifiques ne cessent d’alerter sur les conséquences de la fonte et de l’exploitation de la glace arctique, qui menacent de libérer des virus enfouis depuis plusieurs milliers d’années.

En 1895, Gustave Le Bon, chantre de la psychologie des foules, conseillait aux dirigeants avisés de ne présenter à la masse que des idées simples, fortes et sans nuance, quitte à ce que le discours déroge au principe fondamental du langage : le principe de la non-contradiction : « Son absence complète d’esprit critique ne lui permet pas d’en percevoir les contradictions. » [1] Les décisions en matière de politique de santé publique actuelles constituent une preuve de plus que l’opuscule de Gustave Le Bon continue d’être un manuel politique incontournable entre les mains de nos dirigeants.

Une citoyenne engagée, doctorante en philosophie

Note

[1] Gustave Le Bon, La psychologie des foules

Photo d’entête : Olivier R


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