Les médias titrent de manière unanime : le texte signé à l’issue de la COP21 par près de 200 pays est un accord historique ! S’il l’est de facto de par sa singularité, son contenu permet-il vraiment de le qualifier de la sorte ? Va-t-on amorcer une véritable transition internationale sans plus attendre ?
Le mot est lâché. L’accord climatique serait Historique. On parle d’un véritable tournant dans le combat mondial contre le changement climatique. Pour Laurent Fabius, qui présidait la COP21, il s’agirait même d’un accord « différencié, juste, durable, dynamique, équilibré et juridiquement contraignant. » Serait-il donc vraiment contraignant vis à vis des responsables ? Énonce-t-il un plan efficace, concret et immédiat de lutte internationale contre le changement climatique ? Est-ce l’accord ambitieux que l’humanité est en droit de réclamer pour préserver une planète habitable ?
« D’accord sur le fait qu’on soit tous d’accord »
Tout d’abord, il convient de comprendre que l’objectif de cet accord n’est pas de concrétiser une action de terrain mais d’instaurer une reconnaissance globale dans la limitation du réchauffement de la planète à 2°C par rapport aux températures de l’ère pré-industrielle. Si on considère que c’est la première fois que 200 pays se mettent d’accord sur cette réalité, alors l’évènement est bien historique. En pratique, les pays s’engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre à compter de 2020 et bien avant 2100, tout en se forçant à faire un bilan régulier afin d’adapter leurs engagements. Par ailleurs, dès 2020, les pays riches devront aider les pays en développement à hauteur de 100 milliards de dollars minimum par an.
Photographie : Mark Dixon
La concrétisation de cet objectif appartient donc à chaque État avec une très grande liberté quant à la manière de réguler le marché pour y parvenir. De ce point de vue, l’accord est effectivement marqué par un volontarisme supérieur à ce qui était prévu, allant même jusqu’à souhaiter, sur le papier, une limitation du réchauffement à 1,5°C et gravant pour la première fois dans le marbre l’idée que les efforts à fournir ne sont pas les mêmes en fonction du degré de développement des pays. Du point de vue du changement climatique même et au regard des associations environnementales et des scientifiques, ces accords restent peu concrets, aucunement contraignants envers les acteurs responsables des émissions et dramatiquement loin des considérations d’urgence que réclame la situation. En d’autres termes, ces accords climatiques apparaissent comme une maigre étape supplémentaire franchie dans l’objectif à très long terme d’en finir avec le changement climatique.
L’essentiel de ces accords peut ainsi se résumer en une reconnaissance globale (ou presque) de la nécessité de lutter contre le changement climatique en réaffirmant que tout le monde est d’accord sur le fait qu’on soit tous d’accord. Le point 2 de l’Article 7 se suffit presque à lui même : « Les Parties reconnaissent que l’adaptation est un problème mondial qui se pose à tous, comportant des dimensions locales, infranationales, nationales, régionales et internationales, et que c’est un élément clef de la riposte mondiale à long terme face aux changements climatiques, à laquelle elle contribue, afin de protéger les populations, les moyens d’existence et les écosystèmes, en tenant compte des besoins urgents et immédiats des pays en développement parties qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques. » Si ces notions semblent largement intégrées par les écologistes depuis plus de dix ans, ce n’était pas nécessairement le cas pour l’ensemble des chefs d’État du monde.
Merci Captain Obvious !
Si l’Accord « historique » est essentiellement constitué d’évidences déjà reconnues dans l’imaginaire collectif, on regrettera un manque réel d’outils concrets pour mener à bien cette lutte contre le changement climatique. Par exemple, l’accord n’offre pas de plan d’action explicite pour réduire les émissions carbones alors que ceci constitue la clé essentielle de la lutte. Si ceci est forcément lié à la spécificité complexe de chaque pays, l’accord ne s’aventure pas dans la concrétisation des objectifs qu’il énonce, ceux-ci pouvant s’avérer contraignant pour l’économie des pays – en réalité, contraignant pour une poignée de géants de l’énergie, qui eux-même coutent très cher aux collectivités : subventions, dépollution, frais de santé…. Chacun reste ainsi libre de mener sa propre politique nationale tout en étant poliment invité à remettre un bilan tous les 5 ans.
Photographie : UNclimatechange
Cette relative mollesse de l’accord se retrouve à travers les mots utilisés pour l’exprimer. Ainsi, certains mots-clés n’apparaissent pas une seule fois. On ne trouvera aucune trace des mots : industriel, capitalisme, lobby et plus étrangement « écologie » probablement pour éviter toute politisation du débat. On trouve cependant les termes « consommation » et « transition« … une seule et unique fois sur les 39 pages du document. L’accent est donc mis – très légèrement – sur les consommateurs, quand au système économique et aux industriels, leur responsabilité est simplement ignorée. On constatera également une pléthore de termes conditionnels comme « devraient » et « sont invités à » pour exprimer les actions consenties par les États.
Fait intéressant, l’article l’Article 7, ligne 8, reconnait implicitement les limites du libéralisme en précisant que « les Parties reconnaissent l’importance de démarches non fondées sur le marché. » Cependant, à nouveau aucune notion quant à la nature de ces actions qui devraient réguler le marché. Encore moins de trace d’un quelconque mécanisme contraignant de régulation. L’Article 15 exprime notamment qu’il est institué un mécanisme pour faciliter la mise en œuvre et promouvoir le respect des dispositions de l’accord grâce à un comité d’experts. Mais celui-ci fonctionnera d’une manière non accusatoire et non punitive, précise l’article. Suffira-t-il alors de dire au plus pollueurs que « ce n’est vraiment pas bien de précipiter l’extinction de l’humanité » ? Des sanctions, même légères, et un éventuel tribunal mondial du climat n’auraient-ils pas été des outils nécessaires face à cette crise internationale ?
Photographie : Mark Dixon
En définitive, on regrettera que l’accord « historique » ne contienne ni carotte, ni bâton pour les acteurs économiques, premiers responsables du changement climatique. Peut-on s’en étonner, alors que les multinationales françaises de l’énergie, du BTP et de l’agroindustrie étaient les sponsors de la COP21 ? L’action des États reposera donc sur leur bonne volonté et leur engagement moral lors de cette COP21 voulue historique. On peut donc considérer que la COP21 sera effectivement historique si l’ensemble des pays répondent volontairement avec sincérité et engagement aux objectifs énoncés par l’accord. N’est-ce pas un peu optimiste quand le rôle de ces mêmes États, au cœur du capitalisme mondialisé, se limite de plus en plus souvent à de simples et timides régulateurs du marché triomphant ? Accord ou flop historique ? L’avenir nous le dira bien assez tôt.
Sources : PDF de l’Accord COP21 / metronews.fr / lemonde.fr / france24.com / Image à la une : Takver via Flickr.