En 1987, alors que le monde découvre avec effroi l’existence d’un « trou » dans la couche d’ozone et les conséquences dramatiques de ce phénomène sur la santé humaine et les écosystèmes, les dirigeants du monde entier signent un accord historique pour protéger la planète des rayons ultra-violets nocifs provenant du soleil. Mais si le Protocole de Montréal, qui prohibe les substances responsables de l’amincissement de cette enveloppe gazeuse protectrice, n’avait jamais été ratifié ? Une nouvelle étude parue dans la célèbre revue Nature du 18 août présente le « Monde évité », dans lequel il ferait déjà plus de 1,5°C d’après les chercheurs, et jusqu’à +4°C en 2100. A l’heure où il est urgent d’agir politiquement et à grande échelle en faveur du climat, revenons sur un des exemples les plus significatifs en matière d’accord multilatéral décisif pour l’avenir de la planète.
C’est à partir des années 1970 que des scientifiques sonnent l’alarme pour la première fois : un « trou » dans la couche d’ozone se forme et s’agrandit davantage d’année en année, menaçant ainsi toutes les formes de vie sur terre. Et il n’y a qu’un seul coupable : l’être humain ! Car si les concentrations d’ozone varient naturellement dans l’atmosphère, en fonction de la température, des conditions météorologiques, de la latitude et de l’altitude, ces différents phénomènes naturels ne peuvent pas expliquer à eux-seuls le niveau de détérioration observé.
Un responsable à l’origine du trou de la couche d’ozone : les CFC
Les chercheurs du monde entier s’attèlent alors à démasquer le responsable, et de nombreuses études pointent du doigt certaines substances chimiques artificielles. Celles-ci étaient à l’époque principalement utilisées comme gaz propulseurs dans les bombes aérosols, comme réfrigérant dans les climatisations et appareils de réfrigération domestiques ou industriels, dans les extincteurs de feux ou encore les solvants, … Ce sont les fameux chlorofluorocarbures (CFC). Et alors que l’amincissement de la couche d’ozone se creuse, des effets négatifs sur la santé humaine comme sur les écosystèmes sont à craindre.
Les scientifiques redoutent notamment une augmentation de certains types de cancers de la peau et des cataractes, ainsi qu’un affaiblissement du système immunitaire. Le rayonnement des ultra-violets a également une incidence sur les écosystèmes terrestres et aquatiques, puisqu’à trop forte dose ils altèrent la croissance des organismes, ainsi que les chaînes alimentaires et les cycles biochimiques. La vie aquatique présente juste en dessous de la surface de l’eau, qui constitue la base de la chaîne alimentaire, est particulièrement touchée par des niveaux élevés de rayonnement UV.
Le Protocole de Montréal, accord historique pour l’écologie politique
Alertés par ces découvertes, le monde politique et ses dirigeants décident d’agir et s’organise activement. Le 16 septembre 1987, vingt-quatre pays et la Communauté économique européenne signent un accord historique visant à protéger la « couche d’ozone », cette barrière gazeuse qui filtre les rayons ultra-violets issus des rayons solaires. Cet accord multilatéral, nommé Protocole de Montréal en l’honneur de la ville où il a été négocié, rassemble bientôt plusieurs états et devient rapidement le premier traité international signé par tous les pays du monde.
Son objectif, bien qu’assez simple, n’en était toutefois pas moins ambitieux : stopper complètement l’amincissement de la couche d’ozone – qui frôlait alors les -50% – et contribuer à un retour à la normal dans les décennies à venir. « Pari réussi ! » concluent aujourd’hui de nombreux chercheurs et politiques, qui se félicitent des derniers rapports de la NASA. Ceux-ci constatent en effet un rétrécissement remarquable du fameux « trou », qui n’a jamais été aussi ténu qu’en 2019 depuis qu’il est connu et observé par monde scientifique. L’agence américaine projette un retour à des taux d’ozone normaux d’ici 2060. Et pour cause, puisque la consommation mondiale de substances appauvrissant la couche d’ozone a été réduite de 98 % depuis l’application des mesures plébiscitées par l’accord de Montréal. Aujourd’hui, la lutte pour contrer le trou de la couche d’ozone est souvent présentée comme l’une des rares bonnes nouvelles en matière d’environnement et un succès historique de l’écologie politique.
Mais à quoi ressemblerait le monde ainsi évité ?
Mais que serait-il arrivé si le Protocole de Montréal n’avait jamais été signé ? C’est ce que se sont demandés plusieurs scientifiques issus de l’Université de Lancaster (Royaume-Uni). « Nous avons voulu savoir si le protocole de Montréal avait été efficace, explique Paul Young, climatologue et premier auteur de l’étude, dans les colonnes du Monde. La meilleure façon de le faire est de modéliser un monde où ce protocole n’a jamais existé et de le comparer à un monde où il existe. » Cette planète parallèle, nommée « Avoided World » (ou Monde évité) par les chercheurs, se révèle être dans un état (encore davantage) désolant. Les travaux de l’équipe scientifique révèlent ainsi que si les produits chimiques destructeurs d’ozone n’avaient pas été contrôlés, leur utilisation continue aurait contribué à une augmentation de la température globale de 2,5 °C d’ici à la fin du siècle, soit une concentration supplémentaire de dioxyde de carbone de 115 à 235 ppm (parties par million).
Cette « surdose » potentielle de CO2, à rapprocher du niveau actuel de concentration – plus de 420 ppm -, « aurait pu conduire à un regain de réchauffement à la surface du globe terrestre compris entre 0,5 et 1 °C » dès aujourd’hui, estiment les chercheurs. Et pour cause, en plus d’attaquer la couche d’ozone, les gaz CFC sont en effet de puissants gaz à effet de serre qui retiennent la chaleur jusqu’à 10 000 fois plus que le dioxyde de carbone (CO2). De plus, les radiations UV supplémentaires non filtrées par la couche d’ozone ainsi dévastée auraient eu des effets très néfastes sur la capacité de la nature à absorber les gaz à effet de serre que nous produisons. « Un monde où ces produits chimiques augmentaient et continuaient à retirer la couche d’ozone protectrice aurait été catastrophique pour la santé humaine », indique Paul Young, « mais aussi pour la végétation ».
Cependant, malgré les effets salutaires et encourageants du Protocole de Montréal, ce « happy end » n’en est pas vraiment un. Car si les CFC ont bien été supprimés des procédés industriels et des biens de consommation, il a fallu trouver d’autres substances alternatives pour satisfaire ses différentes utilisations. Et cet antidote trouvé pour préserver la couche d’ozone, les hydrofluorocarbones (HFC), a des effets secondaires plutôt désastreux pour le climat. En effet, ces gaz de substitution contribueraient 14.000 fois plus que le CO2 à la production de gaz à effet de serre (GES), à l’origine du réchauffement.
Un espoir pour les négociations à venir ?
Conscient du paradoxe écologique que révèle une telle transition, les dirigeants politiques ont amendé fin 2016 le Protocole de Montréal. Adopté à Kigali après sept ans de négociations, ce nouvel accord prévoit la sortie échelonnée des HFC pour tous les pays signataires. La Chine, premier émetteur, a annoncé début 2021 qu’elle ratifierait l’amendement, tout comme les États-Unis qui se disent « vouloir suivre ». Une éradication des HFC permettrait d’éviter 0,5°C de réchauffement climatique à l’échelle mondiale d’ici à 2100.
Cette étude a de quoi laisser quelques espoirs quant aux possibilités qu’offre une action politique courageuse et engagée. Comme le disait l’ex-secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, « le changement est possible, s’il existe une volonté politique pour l’encourager ». Espérons que cette volonté soit au rendez-vous à l’aube de la 26e Conférence annuelle de l’ONU sur le climat, qui se déroulera du 1er au 12 novembre 2021.
L.A.