Avec déjà près de 2 millions de vues sur YouTube, le morceau « Danser encore » de HK a rapidement conquis le cœur des Français, peu de temps après que le gouvernement en ait qualifié des groupes entiers de « non essentiels ». A l’occasion d’un rassemblement revendicatif, festif et pacifique aux Vans (Ardèche) le samedi 20 mars, nous avons rencontré Kaddour Hadadi, auteur, chanteur et compositeur dont l’engagement apparent en tant qu’artiste ne se sera certainement pas éteint avec la Covid-19. Il souhaite aujourd’hui initier un véritable débat autour de la crise mais aussi redonner vie à des fondamentaux de notre existence humaine : l’art, la culture, et le lien social. Militant de longue date, dénonçant par son art les dérives de notre modèle de société, notamment au regard des inégalités sociales et de la crise écologique, il se bat également depuis des années pour l’instauration d’une démocratie réelle. Entretien avec cet artiste aux mille facettes qui nous rappelle de ne pas mettre de côté nos luttes de toujours sous le prétexte de cette crise, particulièrement révélatrice d’un système d’ores et déjà mortifère et liberticide.
Mr Mondialisation : Ta chanson « Danser encore » a fait un véritable carton, elle est très souvent reprise, que ce soit par des artistes ou des personnes lambda – parfois même à l’autre bout du monde – notamment dans le cadre des manifestations contre l’état d’urgence sanitaire. Comment ce morceau est-il né ?
HK : J’ai écrit cette chanson lors du second confinement, au moment où certains citoyens ont été qualifiés de « non essentiels ». C’était presque un cri du cœur que nous avons partagé de manière très anodine, c’était pour nous une manière de continuer à écrire, à créer, à faire de la musique… Je n’aurais jamais cru que cela prendrait une telle ampleur, parfois je me demande où est la caméra cachée. Quelque chose a résonné dans le cœur des gens, d’une certaine manière, on n’a même pas fait exprès. Petit à petit, des personnes ont commencé à reprendre la chanson, à nous inviter pour la chanter avec eux lors des rassemblements et de fil en aiguille, on est retrouvés dans ce mouvement-là, heureux de partager ces beaux instants. Dans une période où nous étions tous dans une certaine forme de léthargie, on a pu vivre des moments de bonheur et de joie extraordinaires.
Ces rassemblements ont pris une ampleur inespérée, réunissant chacun jusqu’à quelques milliers de personnes. Ce que je vois aujourd’hui, c’est qu’on est de plus en plus nombreux et ces évènements ont lieu de partout, en France comme ailleurs. On n’a jamais vu autant d’engouement pour ce que l’on fait. Un mouvement de fond très important s’est créé au sein de la population. Mais cela ne vient pas de nous, tout cela est né parce que quelque chose résonne chez les gens en ce moment. Je n’appelle pas personnellement à l’insurrection. On a simplement envie de continuer à jouer, à danser… et à défendre une certaine idée de notre société – dire que la culture est essentielle, que le lien social est fondamental pour nous et nos sociétés. Quelque part, on porte ce combat-là. On est de plus en plus nombreux, même si nous en sommes les premiers étonnés. Je pense que c’est parce que nous avons ce besoin fondamental, ancré en nous. Nous sommes des êtres sociaux, nous avons besoin de nous retrouver, d’être ensemble et d’affronter cette situation ensemble.
Mr Mondialisation : Penses-tu que ce succès traduit une sorte de ras-le-bol général face à ces mesures – dont beaucoup semblent finalement plutôt sécuritaires que sanitaires – qui nous sont imposées par le gouvernement ?
HK : Je pense que beaucoup de personnes le ressentent ainsi. Il y a eu un grand nombre d’incohérences et de contradictions dans les décisions politiques, mais aussi dans la manière dont elles ont été prises. L’état d’urgence n’en finit pas, c’est devenu finalement l’état permanent de notre société. A quoi cela sert-il d’avoir une constitution, des instances démocratiques, des élus etc. lorsque les décisions qui affectent toute notre société sont prises par une poignée d’individus qui décident notamment de qualifier tel ou tel groupe de personnes de non essentiel ? Le gouvernement a ainsi réussi à en monter plus d’un contre sa gestion de l’épidémie. On se retrouve entre perte de confiance, incompréhension et en même temps, envie de vivre.
Une chose est sûre, c’est que l’on va devoir vivre avec ce virus pendant longtemps, je pense que l’on peut être unanime là-dessus. La question est de savoir si on se laisse mourir à petit feu ou si un autre chemin est possible, contrairement au postulat posé par le gouvernement qui nous fait croire qu’une seule politique est possible : la sienne. Bien entendu, cela est faux, d’autres pays ont fait autrement, la majorité d’entre eux n’ont pas totalement fermé les lieux de culture et de vie pendant un an. Pour nous, ces décisions ne sont pas sanitaires mais politiques, parfois même idéologiques. Si les mesures du gouvernement étaient justifiées, cela ferait longtemps qu’on serait sortis de la crise. S’il savaient exactement quoi faire, il n’y aurait pas un tel taux de contamination au sein du gouvernement… Donc soit ils ne suivent pas les règles qu’ils nous ont eux mêmes imposées (tout en nous pointant du doigt lors de nos rassemblements en plein air), soit l’ensemble des mesures qu’ils prennent et appliquent rigoureusement ne marchent pas. Dans les deux cas, on a un grave problème et la gestion politique de la crise doit être remise en cause, voire entraîner quelques démissions.
Mr Mondialisation : Pourtant aujourd’hui, dès que l’on daigne remettre en cause ne serait-ce qu’un tant soit peu la pensée officielle du moment, on est taxé de complotiste. Ton groupe et toi avez dû y faire face ?
HK : Aujourd’hui, quand on fait ces rassemblements, on reçoit un certain nombre de messages nous disant que nous sommes des malades, des fous… Effectivement, dès lors que l’on s’élève contre la politique suivie depuis un an, on est qualifié de toutes les tares, de tous les maux, de toutes les insultes, de tous les soupçons. Avec tous ces néologismes, dès que l’on ouvre la bouche, on nous colle une étiquette sur le dos. Mais on essaie de dire ce que l’on pense, on se dit qu’on a encore le droit de débattre un peu et de garder un esprit critique. Avoir un débat démocratique, c’est un peu le ciment de nos sociétés. Pour moi, l’escroquerie de l’état d’urgence permanent c’est que l’on ne peut plus débattre de quoi que ce soit.
Aujourd’hui, de nombreux citoyens manifestent parce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants de six ans retournent à l’école avec le masque, parce qu’ils sentent qu’ils vont se voir imposer de plus en plus de mesures… Quand ils entendent parler d’obligation vaccinale, de pass sanitaire etc., les gens se posent des questions. Et se poser des questions, ce n’est pas être un affreux complotiste. Prenons par exemple le cas de Pfizer, une société condamnée à de multiples reprises pour pratiques commerciales frauduleuses et publicité mensongère relative à de nombreux médicaments. Évidemment qu’on a le droit d’avoir quelques interrogations lorsqu’on les voit débarquer comme les sauveurs du monde.
On a le droit de se poser toutes ces questions, c’est sain. Nos sociétés sont des sociétés de débat. Se dire aujourd’hui que plus aucun débat, contestation, critique ou doute ne peut avoir lieu sans que l’on se fasse taxer de je ne sais quelle insulte, c’est fou, on ne peut pas cautionner ça. Évidemment qu’il faut faire très attention aux fake news mais malheureusement, celles-ci sont de partout aujourd’hui, notamment dans les médias mainstream. Il faut que l’on garde l’esprit critique. Il est important de pouvoir se retrouver, échanger, débattre. Parce qu’évidemment, aujourd’hui le débat n’a plus lieu dans les médias qui jettent le discrédit sur quiconque ose s’élever contre la pensée officielle.
HK : Nous, tout ce qu’on a fait, c’est défendre en musique, lors de rassemblements en plein air, l’importance de l’art, de la culture et du lien social. A chaque fois, on a tenté de nous discréditer. Nous, on sait se défendre via nos réseaux pour clarifier les situations mais tant de personnes n’ont pas ces outils-là et on peut facilement leur coller une étiquette sur le dos, presque à vie, les mettant au ban. C’est pourquoi il est essentiel de retrouver des espaces de débats et d’échanges. Qu’on soit d’accord ou pas sur tel ou tel sujet, personne ne peut et ne doit être contre le fait de débattre. Qui peut dire qu’il y voit totalement clair dans cette situation ?
On nous a déjà dit que nous étions complotistes et que nous mettions en danger la vie d’autrui. Mais il faut garder à l’esprit que nous vivons dans des sociétés d’art, de culture et de lien social et nous nous retrouvons dans l’incompréhension de nous dire que l’on peut s’entasser chaque jour, sans aucun problème, dans les métros, dans les trains, les centres commerciaux alors qu’en parallèle, les rassemblements en plein air suscitent l’offuscation.
Mr Mondialisation : Pourtant, jusqu’ici, ce type de rassemblements n’ont provoqué aucun cluster, masque ou pas… Selon des études, plus de 90 % des contaminations se font dans des espaces clos et non à l’extérieur.
HK : Nous avons participé à une trentaine de rassemblements en plein air depuis le mois de décembre. A chaque fois, c’était dans un cadre d’une manifestation, marquée par des prises de parole et une partie musicale. A chaque fois, les organisateurs rappelaient les consignes sanitaires. Au final, les gens étaient libres, certains respectaient les distances et portaient le masque, d’autres pas. Toujours est-il qu’aucun cluster n’a été détecté suite à ces évènements. On le sait car les ARS (agences régionales de santé) savent lorsque quelqu’un est contaminé et traquent les cas contact. S’il y avait eu le moindre soupçon, on nous aurait immédiatement pointés du doigt. Or, cela n’a pas été le cas. Il n’y a eu aucun cluster. Lorsque les gens s’affolent face à nos vidéos, il y a dans cet affolement une grande part de peur irrationnelle qui nous a été transmise et puis surtout, ils se trompent de cible et de combat. Nous ne sommes pas responsables de cette situation. C’est comme si on n’avait plus le droit de se rassembler et de défendre notre vision des choses. C’est comme si on n’avait plus le droit de danser…
Mr Mondialisation : En fin de compte, selon les scientifiques, nous risquons d’enchaîner les pandémies dans les années à venir. Cette vie que nous menons aujourd’hui, marquée de mesures sanitaires arbitraires, pourrait ainsi devenir la nouvelle norme… Penses-tu que cette crise que l’on traverse actuellement, comme beaucoup d’autres, soit révélatrice des failles du système dans lequel nous vivons, un système qui repose sur l’accumulation de richesses et donc la concurrence, le productivisme, la mondialisation ?
HK : Tout à fait, c’est pour cette raison que je n’arrête pas de dire à nos amis communs que l’on ne peut pas mettre de côté nos combats de toujours. Cette crise est révélatrice de problèmes déjà existants, qu’elle exacerbe. Elle nous montre que nous avons eu raison de nous battre jusqu’ici et que nous aurons raison de continuer à nous battre contre tout ce système qu’il faut changer. La clé de voûte se trouve peut être dans un renouveau démocratique mais mettre cela en place n’a rien de simple. On atteint-là presque un point de non retour : si on laisse cette épidémie se régler de cette manière, c’est la porte ouverte aux prochaines. Si on rentre dans ce long tunnel, on n’en sortira pas avant des décennies. Donc c’est aujourd’hui qu’il faut se battre, on ne peut pas rester enfermés ad vitam æternam.
Il est certain que cette situation est une situation nouvelle, qu’on n’a jamais connue auparavant. Ces vingt dernières années, vous, Mr Mondialisation, comme moi, avons mené des combats contre les dérives autoritaires, contre les effets néfastes de la mondialisation, sans oublier le poids des lobbies, des intérêts privés dans les décisions publiques et qui aboutissent à des situations de corruption. On se bat depuis longtemps pour l’établissement d’une démocratie réelle… Tout cela ne sont pas des sujets que l’on peut avoir oublié du jour au lendemain quand l’épidémie est arrivée, ce n’est pas possible… Il ne faut pas que nous ayons peur de mener les combats que l’on a toujours menés. Il ne faut pas que l’on ait peur de se poser des questions, d’avoir l’esprit critique, d’interpeller nos dirigeants, de mener les investigations, d’écouter certains lanceurs d’alerte… Je ne vais pas m’arrêter aujourd’hui, à cause de cette épidémie, de faire ce que j’ai fait toute ma vie.
Il y a une sorte de paradoxe qui ressort. Parce qu’il y a cette épidémie, parce qu’il y a cette peur, du jour au lendemain, beaucoup se rangent derrière la politique du gouvernement alors qu’ils s’y sont opposés auparavant. Il y a deux choses que l’on doit toujours questionner : les décisions en elles-mêmes et la façon dont elles sont prises. En fin de compte, on s’est battus toute notre vie pour une démocratie réelle et contre le poids des intérêts privés qui dévient les décisions publiques, il ne faut pas s’arrêter là. Il faut que l’on puisse garder notre esprit critique, notre esprit de contestation et ne pas nous poser nous-mêmes un sens interdit.
[Un texte écrit par HK, intitulé « Les trois stades de l’engagement » :
« Il y a trois nobles causes pour lesquelles il convient de se battre : la première, la plus élémentaire, est celle du combat pour soi-même, pour ses droits, pour sa propre liberté. Passer de ce stade où on se laissait faire hier, où l’on subissait en silence, des lois insensées, injustes et tyranniques à celui où l’on se dresse, où l’on se lève, où l’on fait face. La seconde cause, plus noble encore, c’est lorsque l’on se bat pour défendre les droits d’autres personnes : nos proches, nos voisin.e.s, nos semblables, nos sœurs et nos frères humains. Enfin, il y a ce que l’on peut considérer comme étant le plus beau des combats : lorsque l’on se bat, avec d’autres, pour défendre ensemble un idéal commun, une même vision du monde ». ]
Mr Mondialisation : Beaucoup de tes chansons dénoncent les dérives de notre modèle de société. Dès ton premier album avec le groupe « Ministère des affaires populaires », on voit que l’art est pour toi synonyme de lutte citoyenne et populaire… D’où te vient cet engagement en tant qu’artiste? Est-ce que tu peux nous parler un peu de ce qui t’a mené là où tu es aujourd’hui, des choses, des évènements et des personnes qui t’ont inspiré ?
HK : Je suis né à Roubaix qui, dans les années 1980-1990, était la ville la plus pauvre de France, la précarité y sautait aux yeux. Ancienne cité florissante de l’industrie textile, elle a subi de plein fouet la crise industrielle des années 1970. Évidemment, quand tu grandis là-dedans, tu as beaucoup de choses à raconter. En plus, c’était la période où le mouvement hip-hop débarquait des États-Unis. Dans cette dimension de musique consciente, j’ai également été inspiré par Bob Marley qu’écoutaient du matin au soir mes grands frères et mes grandes sœurs. Je pense que cela oriente une façon de voir et de vivre la musique ainsi que l’écriture. Je me suis retrouvé là-dedans de manière très naturelle. Mes premiers textes parlaient de notre histoire, de notre vie à Roubaix… C’est aussi une ville où l’on retrouve de très nombreuses nationalités et où l’on découvre ainsi des histoires à raconter qui viennent de l’autre bout du monde et qui font écho en nous. J’ai également exploré d’autres domaines dans l’écriture, parfois avec des chansons plus poétiques, voire des chansons d’amour. Mais même là, finalement, cela restait quelque peu caractéristique de Bob Marley qui pouvait chanter « Get up stand up », « War » mais aussi, « One love ».
https://www.youtube.com/watch?v=f3SDCmyhFrc
Mr Mondialisation : Tu luttes non seulement pour tes semblables mais aussi pour ta planète, cet engagement transparaît dans certaines de tes chansons, notamment dans « Petite Terre ». D’où te vient cette conscience écologique ? D’après toi, les luttes sociales et environnementales doivent-elles aller de pair ?
HK : Oui, parce que c’est une lutte pour l’équilibre entre êtres humains, mais aussi pour l’équilibre de l’être humain dans son environnement global, sur cette Terre où nous sommes nés, où nous vivons. La « lutte sociale et environnementale » est finalement une déclinaison de quelque chose de simple et de naturel, un combat pour l’équilibre, un combat contre les dominations tyranniques, les formes d’oppression que l’on peut avoir entre êtres humains, d’êtres humains sur d’autres espèces vivantes ou sur cette planète dont on veut exploiter la moindre des ressources dans une sorte de mythe de croissance éternelle. C’est délirant de se dire que cette planète, qui est un environnement fini, aurait des ressources infinies à nous offrir, juste parce que notre appétit est infini. C’est cette même pensée qui amène certains systèmes de domination et d’oppression entre êtres humains. C’est cette même pensée qui amène le déséquilibre social et écologique. Donc en fin de compte, c’est la même racine, le même combat. Je pense que le bon sens le plus courant amène à ce qu’un être humain, un citoyen, ait en lui cette idée de faire attention à la maison dans laquelle il est né, où il vit…
Ce qu’on dit dans cette chanson, avec des mots très simples, c’est que c’est notre « petite Terre », c’est « Gaïa ». Ma sensibilité personnelle réside dans une forme de résonance avec la manière de vivre des peuples anciens (les Amérindiens par exemple), leur rapport à la Terre et aux autres espèces vivantes, la façon dont ils s’intégraient dedans… C’est quelque chose qui m’a toujours parlé et qui me parle toujours. Je suis un un citoyen du 21e siècle et je ne remets pas en cause le progrès lorsque celui-ci est au service de l’humain et non de l’asservissement. Mais ce rapport des Amérindiens à la Terre, aux ressources, à la biodiversité et plus globalement, au monde qui les entourait, sont des choses résonnent toujours en moi.
Mr Mondialisation : Tes chansons connaissent un succès grandissant mais contrairement à beaucoup d’artistes, tu as su rester simple, humble et proche des gens. Est-ce difficile, tout en étant un artiste connu, de garder ce mode de vie qui pourrait probablement être qualifié de sobriété volontaire ?
HK : Quand j’ai commencé à faire de la musique, comme tout musicien, j’avais envie qu’elle prenne de l’ampleur, que les gens l’entendent. Ce n’est pas forcément une histoire d’ego mais plutôt de vouloir propager ce en quoi on croit, comme Bob Marley, cet artiste qui venait d’une petite île à l’autre bout du monde et qui a contaminé la Terre entière. Quand on commence la musique, on a tous au fond ce rêve un peu fou de la voir voyager. Puis, au fur et à mesure de mon parcours, j’ai pris pas mal de décisions, comprenant peu à peu que ce qui était le plus important pour moi était ma liberté de créer avec les personnes que je choisis, de dire ce que je pense, quand je le pense, de la façon dont je le pense. Finalement, mon chemin a été un peu tracé ainsi. Je travaille avec certaines personnes depuis une dizaine d’années, on a tout construit de manière un peu artisanale, ne souhaitant pas être prisonniers du modèle économique ambiant. Par exemple, tout comme « On lâche rien », on a mis « Danser encore » en téléchargement libre. Bien sûr, il s’agit de notre métier mais c’est avant tout une passion. Évidemment, on vend des disques et des spectacles mais il y a une part de ce que l’on fait qui doit échapper au monde marchand et qui doit se partager de façon totalement désintéressée.
On a senti que certaines chansons marquaient les gens et leur appartenaient très vite. C’est aussi une manière pour nous de ne pas tomber entre les mains de choses néfastes, de ne pas succomber à l’appât du gain. Ces chansons-là ne doivent pas être « souillées » par le monde dans lequel on vit. C’est ma vision des choses. Ce faisant, on a aujourd’hui notre monde à nous, une communauté artistique et des gens qui nous suivent. Avec ce qui se passe actuellement, elle grandit. En ce moment, nous sommes contactés par certains grands médias que je décide de fuir. C’est étrange, c’est paradoxal, parce que tout au long de notre carrière, on allait presque les chercher pour leur montrer ce que l’on faisait. Mais on n’a pas besoin de ça.
Ce qui vient de se passer autour de la chanson « Danser encore » est une preuve de plus de ce en quoi on a toujours cru envers et contre tous, de se dire que l’on doit rester constant sur ce que nous sommes, sur nos valeurs, nos idées et surtout, de rester libres, de faire les choses à notre façon, sans se les faire dicter par qui que ce soit d’extérieur. A force de rester vrai, il arrive un moment où une magie opère. Pour moi, il s’agit de la plus belle des preuves de ce en quoi je crois et suite à cela, je n’ai plus besoin de répondre à tel ou tel média. Si à un moment donné que je pense que cela peut être important et intéressant pour le message que j’ai à véhiculer et que je peux y aller en toute confiance, je le ferai. Autrement, je fuis et ça me va très bien car je n’en ai pas besoin. Le monde dans lequel on est épanoui, lors de rassemblements comme celui des Vans et chacun des ceux dans lesquels on se retrouve, c’est ce monde-là dans lequel nous sommes heureux et ce monde-là n’est pas compatible avec le monde médiatique.
Mr Mondialisation : Dans une interview tu parlais du fait que les gens ne rêvent plus. Selon toi, le rêve est-il un moteur du changement ? Comment redonner l’envie de rêver aux gens ?
HK : C’est là où l’art et la culture entrent notamment en jeu. C’est dans ces moments où tout semble tellement sombre, tout est si obscurci que l’on n’a plus envie de rêver, on se retrouve assommé par une réalité et par les pressions d’une situation donnée. Dans ces moments-là, des domaines tels que la poésie par exemple, peuvent nous éveiller, nous éclairer… La connaissance de notre histoire permet aussi de se rendre compte que l’humanité a connu maintes époques sombres mais que celles-ci ont souvent été suivies d’époques extraordinaires. Ainsi, la connaissance, la culture, l’art… sont des moteurs extraordinaires pour nous aider à garder cet optimisme qui nous fait nous lever et qui nous fait nous battre en nous disant qu’il y a des combats à mener qui répondent à des idéaux, des valeurs, des rêves qui sont les nôtres. On gagnera ou on ne gagnera pas. L’issue, on ne la connaît pas mais le combat en lui-même, cette route pavée de luttes peut être belle. J’aime cette idée de « lutte enchantée ». C’est quelque chose que l’on cultive, c’est notre rôle à nous de lutter en chantant. Ce que l’on voit aujourd’hui c’est que nous, les artistes, on a été pointés du doigt, taxés de non essentiels, empêchés de travailler etc. Donc à un moment donné, nous nous sommes levés pour nous, pour cette idée de la société que nous avons, pour nos valeurs, pour nos combats de toujours.
Mr Mondialisation : Penses-tu que la désobéissance civile soit devenue une nécessité, même au travers de l’art ?
HK : Ce qui est étrange c’est que je n’ai pas eu l’impression d’être entré en désobéissance. Il se trouve qu’avec ce que l’on fait aujourd’hui, on passe pour des irresponsables, des dangers pour autrui, des bandits… En fin de compte, ce sur quoi on a désobéi, c’est le climat ambiant. On a voulu nous faire entrer dans un chemin en disant que c’était le meilleur pour affronter la crise sanitaire mais nous n’avons pas voulu le suivre. On a été beaucoup à dire non. On a envie de voir par nous-mêmes s’il n’y a pas d’autres chemins possibles. D’une certaine manière, on a désobéi, mais pas d’un point de vue légal. C’est au niveau mental que tout s’est joué, on a décidé de dire non à cette tendance de peur généralisée, cette logique de l’état d’urgence. A un moment donné, on n’avait qu’une seule chose à faire : suivre les mesures, se taire et constater qu’on n’était que des machines à produire et à consommer (« Auto-métro-boulot-conso », comme je le dis dans « Danser encore »), constater que quand ils ont ouvert les écoles, ce n’était pas pour que les enfants se retrouvent entre eux mais pour que les parents puissent retourner au travail. Et pendant ce temps-là, on proscrit l’art.
A un moment donné, il est vrai que l’on n’a pas suivi le chemin tout indiqué, c’est certain. De cette manière là, on a désobéi mais la notion de démocratie est de notre côté, de même que celle de bon sens et de bien commun. Au niveau légal, les rassemblements sont déclarés, autorisés, on rappelle les règles sanitaires. Évidemment, je n’ai aucun problème à être en désobéissance mais je ne suis pas sûr que ce que l’on fait soit une forme de désobéissance. Il est cependant probable que cela le devienne rapidement parce que les mobilisations ne donnent pas lieu à des discussions ou des changements. Le Grand-Théâtre de Bordeaux a été évacué par les forces de l’ordre par exemple. De notre côté, chaque rassemblement engendre une pression de plus en plus forte, on entend de plus en plus parler de comparutions immédiates etc. Donc oui, il est possible que très vite, on se retrouve dans la désobéissance.
(Note : Suite à la manifestation festive pacifique qui a eu lieu aux Vans le 20 mars, les organisateurs ont été convoqués par la gendarmerie et ont été longuement interrogés, notamment sur ce qu’ils pensaient de l’épidémie, sur leur participation à de futures manifestations éventuelles… S’en sont suivies des prises d’empreintes ainsi que de photos sous tous les angles. Lors de la convocation de Mme V. à Saint-Paul-le-Jeune, un rassemblement musical d’environ une centaine de personnes a eu lieu devant la gendarmerie pour la soutenir.)
En fin de compte, ces derniers mois, on a pu se réunir dans des rassemblements avec des personnes avec qui on n’a jamais manifesté auparavant. De notre côté on a seulement un socle de valeurs élémentaires sur lesquelles on ne peut pas et ne veut pas transiger. Nous sommes fortement étrangers à toute forme de racisme ou de xénophobie, nous prônons la non-violence et nous sommes opposés à toute forme de tyrannie de la pensée ou de l’action.
Mr Mondialisation : Tu es particulièrement connu grâce à tes chansons engagées mais tu écris également des livres, peux-tu nous en parler ?
HK : A ce jour, j’en suis à quatre romans et une bande dessinée. Il y a deux ouvrages qui résonnent particulièrement en moi. Tout d’abord, « Sans haine, sans armes et sans violence », qui est sorti l’année dernière. D’une certaine manière, j’ai l’impression que ce que l’on fait maintenant en est une mise en pratique alors qu’il s’agit pourtant d’une fiction. Je l’ai écrit durant le premier confinement, c’était une histoire qui parlait de personnes lambda dont une militante écologiste retraitée, une caissière, un professeur de mathématiques, un ouvrier, un ancien résistant… En fin de compte, une communauté assez hétéroclite et improbable de personnes liées par une amie et qui se sont mises à réfléchir sur le monde d’après. L’idée était de commencer par le rêver, l’imaginer, avant de pouvoir peut être un jour le voir se réaliser. C’est par là que tout commence. Et finalement, j’ai cette étrange impression que ce qu’on fait aujourd’hui est une sorte de concrétisation, de mise en pratique de ce roman. C’est étroitement connecté à ce que je fais aujourd’hui.
Il y a également cette BD que j’écris, intitulée « Dounia ». Le tome 2 va bientôt sortir, il est en préparation. On a sorti le tome 1 juste avant l’épidémie. C’est assez fou parce que cette BD parle justement d’une épidémie, c’est une dystopie qui se déroule dans le futur. J’y employais le terme d’« état d’urgence sanitaire » avant même qu’on ne soit dedans pour de vrai. L’histoire tourne autour d’une épidémie née suite à l’intervention humaine d’une grande firme agrochimique intitulée « Bayanto ». Il y avait cette idée de virus né d’une surutilisation d’un « produit miracle » (une sorte d’après glyphosate). Ce produit aurait créé une mutation au sein d’une « mauvaise herbe » (je n’aime pas et ne reconnais pas ce mot, on pourrait dire plutôt « herbe libre » ou « sauvage » ou même « indocile », ça me plaît). La BD parle d’une communauté partie vivre à la montagne alors que l’épidémie battait son plein en ville et faisait un carnage. Le parallèle est assez frappant.
Merci beaucoup à HK d’avoir répondu à nos questions. Pour soutenir son travail en acquérant des CD ou des romans dont il est l’auteur, rendez-vous sur son site.
– Propos recueillis par Elena M.
Nos travaux sont gratuits et indépendants grâce à vous. Afin de perpétuer ce travail, soutenez-nous aujourd’hui par un simple thé 😉☕