Xénophobie, menaces, insultes, le comportement d’un groupe d’éleveurs et de chasseurs anti-loups soulève l’indignation. Le dimanche 2 août, alors que le film Marche avec les loups de Jean-Michel Bertrand est présenté en salle de cinéma à Tende, dans les Alpes-Maritimes, la projection est mise à mal par ces individus au comportement manifestement haineux. Alcoolisés depuis plusieurs heures selon des témoignages, les éleveurs – soutenus par des chasseurs – parviennent ainsi à semer le trouble auprès de touristes et de locaux venus dans le but de se détendre et s’émerveiller en famille face à la beauté de la nature sauvage. Soutien du maire de la commune aux assaillants et inaction des forces de l’ordre vont envenimer la situation, à tel point que la projection est interrompue à peine quelques minutes après avoir commencé. Pour cause, les anti-loups, qui ont investi la salle de projection, ne cessent de hurler des insanités devant la consternation des spectateurs. La complaisance de la part des autorités devant cette attaque qu’un témoignage publié que le site de l’ASPAS qualifie de fasciste pose question.
Le 12 août, l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages), partenaire du film Marche avec les loups, relaie le témoignage d’une « habitante consternée de la vallée de la Roya » qui raconte le déroulement des évènements du 2 août 2020. Fervente adoratrice de la vie indomptée, elle se déplace ce soir-là à Tende avec deux amis afin de se détendre devant des images de nature sauvage et s’aérer ainsi l’esprit en ces temps difficiles. Arrivés devant le cinéma, les spectateurs commencent par constater la présence d’une pancarte dénombrant les moutons ayant été tués par les loups en 2019. Petite parenthèse pour préciser qu’une part des attaques sont attribuées à tort au loup alors qu’elles peuvent être le fait de chiens errants. De tels chiffres sortis de leur contexte n’ont ni queue ni tête et ont pour seul et unique but d’alimenter la haine anti-loup, d’autant plus que le nombre de moutons tués par d’autres causes – chutes, maladies, accidents,.. – est bien plus important. En effet, selon une étude sur l’estivage des moutons, SchafAlp, de Pro Natura, du WWF, d’Agridea et de la Fédération suisse de l’élevage ovin publiée en 2012, les pertes sont essentiellement dues aux chutes dans les rochers, à la foudre, au manque d’eau ou de nourriture, au froid et aux maladies.
Au vu de cette pancarte surplombant le public qui arrive devant le cinéma, la couleur est annoncée. Les spectateurs s’installent peu à peu dans la salle, enfants comme parents en quête d’émerveillement. L’inquiétude saisit pourtant peu à peu notre habitante de la vallée de la Roya qui témoigne d’allées et venues de quelques personnes préoccupées, discutant entre elles, juste avant qu’un « cortège de jeunes gens escortés par d’autres, bien plus âgés, fait irruption dans la salle, portant des tricots blancs bariolés de slogans hostiles au loup, mais également, semble-t-il, au réalisateur du film. Équipés de grosses cloches de troupeaux, ces agitateurs sèment immédiatement le trouble dans la salle, qui se remplit peu à peu de sympathisants des éleveurs, mais aussi de spectateurs neutres, sidérés. » Le cinéma est rapidement paralysé.
Des gardes du Mercantour – parc national à l’initiative de la projection de Marche avec les loups à Tende – entrent alors dans la salle, semblant à la fois inquiets et atterrés par la situation. Un sentiment malaisant d’angoisse prend peu à peu place au sein du public, ce dernier étant composé de touristes comme de locaux, d’adultes comme d’enfants. L’hostilité grandissante des anti-loups, qui ont cerné les spectateurs, a en effet de quoi susciter l’inquiétude, d’autant plus que nombre d’entre eux semblent alcoolisés ; « un habitant de Tende me le confirmera plus tard, m’assurant qu’ils étaient attablés au bar depuis plusieurs heures. » témoigne l’habitante de la Roya en décrivant les anti-loups présents comme une « meute grossière » tandis qu’ils « hurlent, sonnent leurs cloches, applaudis par des sympathisants locaux, et d’autres, visiblement acquis à leur cause par souci de reconnaissance sociale, mais qui semblent déjà dépassés par la hargne de leurs meneurs. »
Injures, menaces et xénophobie
Alors que la projection est sur le point de commencer, l’habitante de la vallée de la Roya dit ressentir « une profonde inquiétude », se sentant prise au piège par de jeunes chasseurs qui cernent le public et dont la violence verbale gagne en ampleur de seconde en seconde. Débute alors la projection de la bande-annonce d’un documentaire sur la nature sauvage, réalisé par un habitant de la vallée, Rémy Masséglia, avec pour principal personnage sa fille de 2 ans, présente dans la salle ce soir-là. Le réalisateur « filme le monde sauvage, et principalement sa quête du loup, mettant en scène l’innocence de sa petite fille dans la nature, sur les traces du grand prédateur, revenant, avec tendresse et intelligence, sur le mythe du « Grand méchant Loup ». » peut-on lire dans le témoignage publié par l’ASPAS.
La bande-annonce suscite de vives réactions au sein des revendicateurs présents dans la salle : « des injures affreuses, comme « enculé » ou « fils de pute », alors même que des images d’une enfant en bas-âge tenant sa peluche passent à l’écran, en présence de ses deux parents… » poursuit l’habitante de la vallée de la Roya. Le spectacle est désolant.
Alors que le film Marche avec les loups débute, les beuglements des éleveurs, soutenus par les chasseurs et des jeunes locaux, reprennent de plus belle au point de rendre le visionnage impossible. A ce moment-là, la haine n’est plus tant dirigée vers le loup que vers les touristes présents dans la salle dont la moitié sont des enfants. La spectatrice qui livre son témoignage à l’ASPAS parle d’une xénophobie profonde émanant des revendicateurs : « rentrez chez vous, cassez-vous, fils de pute ; ici, on est chez nous ; on est fiers de notre identité ».
Un jeune homme tente de s’opposer à eux, leur faisant remarquer le traumatisme infligé aux enfants dont les pleurs se mélangent aux vociférations des éleveurs, mais cela ne fait qu’attiser davantage la haine de ce que l’habitante de la Roya qualifie comme une « horde » haineuse. C’est alors qu’arrivent finalement les gendarmes, sans vraiment que leur présence n’apaise les esprits.
« Ce que j’ai vu ce soir-là, au cinéma de Tende, de la part de ces éleveurs, est un acte fasciste. »
L’habitante de la Roya s’indigne du fait que de tels actes soient possibles dans un État de droit : des anti-loup fermés à tout dialogue, « nombreux, haineux, menaçants, injurieux, face à des gens qui, comme moi, avaient juste envie d’aller au cinéma. » Elle raconte ensuite l’entrée dans les lieux du maire de Tende, Jean-Pierre Vassallo, qui prend contre toute attente la défense des individus semant le trouble dans l’ordre public, sous le regard de la Gendarmerie et des agents du parc du Mercantour. Selon elle, tous spéculent sur les raisons motivant la présence des spectateurs à la projection du film. Elle-même déclare simplement aimer la nature « dont le loup et les moutons font partie », précisant que l’objectif de sa venue n’était en aucun cas de se « conforter dans des certitudes anti-pastorales » qu’elle n’a pas. Pour les éleveurs, la simple projection du film est une attaque contre leur patrimoine, justifiant cette volonté de censure dans la violence.
Venue dans le seul but de voir un film de nature, elle repart en fin de compte avec un sentiment pour le moins amer causé par « des éleveurs et des chasseurs, et quelques complices de circonstance » dont le « comportement fasciste » l’aura profondément marquée, n’étant d’ordinaire que « l’apanage que de réels groupes d’intégristes politiques ou religieux. ». L’observatrice déclare n’avoir aucune hostilité à l’encontre des bergers, précisant toutefois que ce soir-là, il n’y en avait pas vraiment au cinéma de Tende en sachant qu’ils « ont bien trop à faire dans les montagnes, pour venir revendiquer ce que leur travail revendique de lui-même. ».
En fin de compte, le loup n’aura fait l’objet des injures des éleveurs qu’un court instant, « pour céder la place à un racisme envers tout ce qui n’est pas de leur territoire et ne se revendique pas de leurs « traditions ». ». La haine du loup se mêle rapidement à des revendications réactionnaires, identitaires d’extrême droite. Ces éleveurs, soutenus à la fois par le maire et « une phalange de chasseurs toujours prêts à assurer leur part de violence et à perpétuer leur vision du monde, ont montré le visage sombre d’une activité qui souffre du loup, certes, mais qui ne lui doit pas son déclin, loin de là. » déclare l’habitante de la vallée de la Roya, achevant ainsi son témoignage.
Le réalisateur porte plainte
Face à cette situation consternante, Jean-Pierre Bailly, producteur du film Marche avec les loups a écrit une lettre adressée au préfet du département Bernard Gonzalez, le 4 août, dans laquelle il s’indigne de la violence de ce groupe d’une quarantaine de supposés éleveurs et de chasseurs « extrêmement agressifs » mais aussi des insultes et menaces proférées par ceux-ci à l’encontre du réalisateur comme du public. La déclaration du maire en faveur des éleveurs, de même que l’inaction atterrante des forces de l’ordre, n’ont également pas manqué de susciter l’indignation du producteur qui parle d’un « acte de censure, soutenu par le maire de la commune qui a mis de l’huile sur le feu ». La presse mainstream, quant à elle, demeure à ce jour silencieuse.
Refusant d’accepter cette situation de non-droit, le réalisateur du film, Jean-Michel Bertrand, a porté plainte. Le producteur espère que les responsables du parc du Mercantour en fassent de même. « Quant à moi, je vais faire en sorte que cela se sache », poursuit Jean-Pierre Bailly, « Ce film cherche principalement à dépassionner le débat autour des loups et le réalisateur a toujours cherché le dialogue. À Tende, cela n’a pas été possible. » Le producteur conclut en demandant au préfet des explications quant à la non-intervention des forces de l’ordre et au comportement partisan du maire de la commune.
L’ASPAS de son côté, ne manque pas de réitérer son soutien pour l’équipe de ce film « dont le propos intelligent vise à justement dépasser le clivage pour ou contre le loup, et prône une cohabitation pacifique entre les éleveurs et le prédateur, basée sur le respect et le dialogue. »
Une polémique qui ne date pas d’hier
Ce n’est pas la première fois que la diffusion de Marche avec les loups suscite des réactions violentes de la part des éleveurs. Le financement même du film n’a pas été chose facile en sachant que certains élus (notamment du département des Hautes-Alpes et de la Région Sud) ont décidé de ne pas le soutenir comme l’indique le producteur, au journal Sciences et Avenir. D’autres, qui ont participé à son financement, n’ont pas souhaité voir leurs noms affichés dans la communication autour du film, en raison de la pression des éleveurs selon Jean-Pierre Bailly. Le réalisateur, quant à lui, aurait reçu trois menaces de mort au cours du tournage. Pourtant, bien qu’étant la cible préférée des anti-loups, il reste ouvert au dialogue et affirme ne pas être en guerre contre les éleveurs ou les bergers. Sans surprise, peu des détracteurs auraient réellement visionné ce film qui à ce jour, a été vu par plus de 200 000 personnes.
– Elena M.