Qui n’a jamais vu ces images d’avions-cargos délivrant des denrées alimentaires à l’autre bout du monde ? Les aides aux pays en voie de développement ou frappés d’une famine ont longtemps été distribuées sous forme de nourriture. Et pourtant, cette technique qui semble élémentaire, l’argent n’étant pas comestible, entraine de nombreux effets locaux négatifs. Depuis 2011, quelques ONG ont fait le pari de distribuer directement de l’argent aux familles somaliennes plutôt que de recourir aux traditionnelles distributions de nourriture. Aujourd’hui, le World Food Program distribue 70% de son aide de cette manière. L’argent liquide serait-il plus efficace dans la lutte contre la faim ?
Les limites de la distribution alimentaire conventionnelle
En 2011, alors que la corne de l’Afrique connaît une crise alimentaire d’envergure, quelques associations décident de distribuer de l’argent en Somalie, tandis que le Programme Alimentaire Mondial (World Food Program) ne distribue alors que de la nourriture. De nombreux problèmes en lien avec la distribution sont rapidement observés : les vivres sont souvent réquisitionnés par des gangs armés ou des pirates, et connaissent parfois même le sort funeste de pourrir sous des bâches à cause de barrages routiers. En effet, on sait aujourd’hui que le manque de ressource, et donc les tentatives de les réquisitionner, est une cause du développement de groupes violents.
Les familles affamées doivent quant à elles marcher pendant des jours à travers le désert pour atteindre les points de distribution, à tel point qu’il n’est pas rare de trouver en Somalie les corps sans vie d’enfants sur une route tristement rebaptisée « la route de la mort ». Face à ces constats alarmants, il fallait tôt ou tard reconsidérer la distribution de l’aide.
Mobilité, sécurité : les atouts du liquide
7 ans plus tard, plus de 70% de l’aide du PAM en Somalie se fait en espèces, la plus grande partie étant distribuée par téléphone mobile. Plus de 50 autres organismes de bienfaisance distribuent également de l’argent : chaque mois, les familles touchées par l’extrême pauvreté reçoivent une somme de subsistance qu’elles peuvent dépenser comme elles le souhaitent : lait, médicaments, nourriture ou frais de scolarité. Les ONG se sont adaptées : il y a six ans, les distributions monétaires ne représentaient que 5% du budget de l’aide humanitaire de l’UE. Aujourd’hui, elles en constituent plus d’un tiers. L’évolution est rapide et manifeste.
Mais pourquoi un tel succès pour la monnaie ? L’argent liquide présente de nombreux avantages par rapport à l’aide alimentaire directe. Tout d’abord, il est moins visible, donc moins susceptible d’être volé. Par ailleurs, le fait que ces montants soient échangés par téléphone permet aux familles de rester libres de leurs mouvements et de leurs choix de consommation. Le PAM a indiqué qu’il avait distribué 134 millions de dollars directement aux familles somaliennes pour les dépenser dans des magasins locaux l’année dernière. De quoi booster le développement de l’économie locale avec des conséquences indirectes positives (infrastructures, multiplication des services, échanges entre particuliers,…), à l’image d’un revenu de base alternatif.
L’argent est aussi plus efficient que les sacs de nourriture : en Somalie, l’aide monétaire fait en sorte que 80 cents par dollar aillent directement à la famille, au lieu de 60 cents avec l’aide alimentaire — des chiffres exprimés par Calum McLean, expert en aide humanitaire auprès de l’Union européenne. Au niveau de la logistique également, les choses sont grandement facilitées : la plus grande partie du coût initial réside dans la mise en place de la base de données et du système informatique sécurisé de distribution. Les montants et le nombre de bénéficiaires peuvent ensuite être facilement ajustés en fonction du niveau de besoin ou de financement, et les différentes organisations décident des modalités dans lesquelles cet argent peut être dépensé : partout, ou seulement dans certains magasins, par exemple.
Une solution pas adaptée pour tout le monde
Cependant, la distribution monétaire directe peut-elle fonctionner partout ? Au Soudan du Sud, où la famine a frappé brièvement deux comtés l’année dernière, la guerre civile a paralysé les marchés, forçant les agences humanitaires à apporter de la nourriture par avion et par camion dans une situation d’extrême urgence (l’économie locale étant à l’arrêt). D’autre part, envoyer une masse monétaire soudaine dans des zones touchées par des tremblements de terre ferait grimper les prix sous l’effet de l’offre et de la demande. A contrario, en cas de sécheresse, où les moyens de subsistance sont rares mais les infrastructures sont intactes, les transferts monétaires sont idéaux, disent les experts.
La logique est très simple : s’il n’y a pas d’eau potable disponible ou de services de santé disponibles, alors les populations en besoin ne peuvent pas dépenser de l’argent pour acheter de l’eau ou des médicaments… La réussite de la distribution monétaire dépend donc grandement des infrastructures existantes et vivres disponibles localement, et de la nature des catastrophes. Mieux comprendre ces mécanismes économiques pourrait aider les gouvernements et ONG à adapter l’acheminement de l’aide le plus efficacement possible.
Aujourd’hui, en dépit du diktat des marchés qui croient que la « main invisible » règlera la situation toute seule (en sacrifiant quelques millions d’individus au passage), la plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’une aide financière plus importante, adaptée aux besoins, permettrait de sauver davantage de vies. C’est en tout cas ce qu’a conclu un document d’information de 2016 du Congressional Research Service.
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