Laurent Dennemont est un réunionnais expatrié à Bruxelles avec sa femme et ses deux enfants, et il a une manière bien à lui de profiter de ses vacances sur l’île dont il est originaire : là où d’autres se seraient adonnés au farniente sur les plages de sable blanc – ou noir –, lui a tout simplement passé ses vacances à…ramasser des ordures dans la bonne humeur !
L’initiative pourrait paraître pour le moins surprenante. Certains diront même qu’il s’agit là d’une démarche absurde pour un vacancier. Pas pour Laurent Dennemont qui a passé ses vacances à ramasser les déchets sur les plages réunionnaises. L’homme souligne que « l’Île intense » se doit d’être préservée, car beaucoup trop de zones naturelles, notamment les plages, subissent une présence importante, voire prolifique, de déchets. Le « semi-touriste » a ainsi déclaré la guerre aux débris de plastique divers et variés et autres mégots de cigarettes… Pour lui, il faut promouvoir les actions de ramassage et ne pas hésiter à partager sur les réseaux sociaux la récolte de chaque tournée : le but étant de rallier un maximum de partisans à sa cause : « […] on se retrousse les manches, on empoigne son seau et on ramasse les déchets sur la plage! Sur que cela ne nous empêchera pas d’être ensevelis sous une montagne de déchets, mais au moins on aura des plages propres pour nos enfants et les touristes et la conscience tranquille du devoir accompli. »
Ainsi, Laurent Dennemont a décidé d’agir et de sensibiliser à la fois habitants et touristes : en effet, grâce au récit de son entreprise relaté sur la toile, l’homme a su valoriser et mettre en avant sa démarche écocitoyenne à large échelle derrière le tag #cleanthebeach : « Parce que La Réunion est une île magnifique qui mérite d’être propre, il appartient à chacun de la préserver et de la nettoyer. Aussi je propose de lancer la campagne #cleanthebeach et #cleanLareunion où chacun poste les photos des déchets récupérés au fil de sa balade, en bord de mer ou en montagne… ».
L’ex réunionnais corrobore ainsi l’idée que les internautes doivent eux aussi se sentir plus responsables quant à la protection de ces milieux qui, d’une part contribuent au charme et à l’éclat de l’île et, d’autre part, assurent un avenir plus serein à sa faune et sa flore : « […] cela permettait aussi de sauver nos tortues et nos oiseaux marins ! En effet, ceux-ci ingèrent régulièrement des petits bouts de plastiques et autres déchets, qui leur bouchent les voies respiratoires et/ou le tube digestif… Résultat, ils meurent étouffés ou de faim. Alors si on peu leur éviter cela, c’est plutôt sympa ! ». Laurent encourage d’autant plus ses lecteurs : pour lui, chacun se doit de participer au nettoyage de l’île, ne serait-ce que par un simple partage du tag #cleanthebeach sur les réseaux sociaux.
Photo : Tortue tortue victime de la pollution aux plastiques et autopsiée à Kélonia, observatoire des tortues marines situé à Saint-Leu dans l’Ouest de l’île
Aussi, cet expatrié est parfaitement conscient des effets bénéfiques que cette « part de colibri » (cf. Pierre Rahbi) peut apporter à la Réunion. Il profite d’ailleurs du « coup de projecteur » porté sur l’Île en juillet dernier à la suite des débris du boeing 777 (vol MH370 entre Kuala Lumpur et Pékin) retrouvés sur la côte Est : pour lui, il faut pouvoir être d’autant plus en mesure d’agir au moment même où le monde a les yeux tournés vers ces côtes. Laurent Dennemont affirme en toute lucidité que si les pièces d’un avion disparu en mer peuvent s’y retrouver, il faut ainsi pouvoir se figurer l’effet que peuvent avoir les tonnes de plastiques et autres polluants dispersés par l’homme en personne.
Mais la problématique ne s’arrête pas aux déchets vomis par les mers. Il faut, selon lui, prendre part à cette problématique plus large qui est celle gestion des déchets : « Sur ce territoire insulaire de 2.512 km2, soumis à une croissance démographique forte, les prévisions estiment à plus de 1 million le nombre d’habitants à l’horizon 2030. Chaque réunionnais produisant 666.3 kilos de déchets ménagers par an. Il faut savoir que tous ces déchets sont actuellement enfouis au cœur de 2 décharges géantes (Centres d’Enfouissement Techniques) déjà en sur-saturation et arrivant respectivement à échéance d’exploitation en décembre 2015 et décembre 2017… Soit demain. Mais comment en est-on arrivé là et que pouvons-nous faire à l’échelle individuelle ? J’ai donc pris le parti de m’en amuser et de faire ma part (du colibri) en ramassant, à chaque sortie plage, les déchets anthropiques trouvés sur la plage. Et je ne suis jamais revenu bredouille! Je me suis ensuite demandé que faire de tous ces déchets… Alors je les ai recyclés. Tout simplement. En m’amusant. »
Et c’est avec clarté que le blogueur identifie la clé du problème : il faut être capable de réutiliser, de recycler et – en premier lieu – de conscientiser cela par un acte citoyen de ramassage. Nous pouvons ajouter à cette liste les méthodes de production qui sont tout de même à l’origine de l’ensemble de la chaine de vie d’un produit. Ainsi, Laurent tente d’ouvrir son lecteur à une perspective temporelle plus vaste et se pose la question du « comment en est-on arrivés là ? ». Aussi faut-il, selon lui, être en mesure de se questionner sur les comportements, tant des politiciens que des habitants et/ou des touristes. Il ne s’agit pas de désigner un coupable unique, puisque – Laurent Dennemont en est parfaitement conscient – les facteurs sont multiples. L’essentiel est donc, certes, de pouvoir se questionner sur les origines de ce malaise, mais de pouvoir avant tout en cerner ses conséquences directes sur l’environnement, et l’action des filières de recyclage :
« Depuis plus de 30 ans, différents plans de prévention et de gestion des déchets se sont succédés, affichant à chaque fois de pieux objectifs jamais atteints. Désintérêt de la population pour cette problématique ? Sujet brûlant de type « patate chaude » que se transmettent les politiciens locaux de mandat en mandat ? Ou attentisme collectif coupable et fataliste face à ces dommages collatéraux, conséquences inéluctables de notre société de consommation, moteur de notre croissance et de notre course au progrès ? Certainement un peu de tout cela en même temps… […] Mais plutôt que de pointer du doigt les éventuels responsables, posons nous la question de l’état des filières spécifiques de recyclage et de traitement des déchets à La Réunion. Quels sont les freins à leur développement et à la multiplication des entreprises du secteur ? Quels sont les incitants ? Comment sont organisées les collectes de déchets dangereux, les filières spécifiques de DEEE (Déchet d’équipement électrique et électronique), de pneus usagés, de matériaux de construction, d’huiles usagées, de plastiques, de papiers, etc. ? N’est-il pas possible d’encourager un peu plus les filières de recyclage, des ressourceries capables à la fois de recycler certaines matières tout en pourvoyant du travail ? »
Bien que ces questions restent à notre échelle sans réponse définitive, il préconise de réagir au plus vite, et ne plus laisser la situation s’aggraver. En effet, d’autres problèmes sanitaires viennent s’entremêler de près ou de loin à cette question de la gestion des déchets. Pour lui, « les conséquences en matière de santé publique et d’environnement ne sont peut être pas encore suffisamment visibles, mais certains signes ne trompent pas :
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La crise du chikungunya : Les multiples décharges sauvages à La Réunion favorisent les eaux stagnantes et par conséquence les foyers de prolifération des moustiques, vecteurs de la maladie.
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La crise du saturnisme : cette maladie, conséquence directe d’une exposition élevée au plomb a été détectée en 2009 dans un quartier du Port. Des analyses de l’Agence de Santé de l’Océan Indien (A.R.S.) ont démontré une contamination élevée des sols en plomb. Nombre d’enfants du quartier présentaient des taux plomb anormaux et des mesures ont du être prises pour sécuriser les lieux et les personnes y vivant.
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La « crise requin » : même si les causes ne sont pas officiellement définies et circonscrites, il est probable que le facteur « déchets rejetés à la mer » et modification de l’environnement joue un rôle significatif dans la multiplication des attaques de squales ces dernières années. »
Il faut savoir que Laurent Dennemont n’est pas un précurseur en la matière, et qu’une association, Band Cochon, s’était déjà donné pour mission de ramasser les immondices signalées çà et là par tout un chacun via des captures photos : après avoir baissé les bras face à trop de laxisme et un grand sentiment de découragement, ces « traqueurs » semblent avoir repris dernièrement du service. Ce réseau ouvre lui aussi la voie à toute une série de réflexions quant à l’impact d’une prise de conscience collective. Notons que la Surfrider Foundation et les équipes de la Réserve marine de la Réunion organisent elles aussi des actions régulières de ramassage de déchets.
Enfin, c’est avec prudence que Laurent Dennemont évoque l’évolution des consciences et des comportements de certains réunionnais. Mais ces considérations, bien que subjectives et basées sur son propre vécu, sont néanmoins non dépourvues de bon sens : « Je ne rentrerais pas dans une analyse socio-historique des réunionnais dans leur relation aux déchets, mais en deux mots, s’il était encore possible de jeter une série de déchets biodégradables dans la ravine dans les années 50, ce comportement n’est plus tolérable de nos jours, simplement parce la composition des déchets est différente et qu’elle est constituée essentiellement de plastiques et autres matières qui se décomposent en plusieurs centaines, voir milliers d’années. C’est à ce niveau que l’éducation et la prévention des déchets doivent être efficientes. »
Enfin, son appel lancé sur les réseaux est aussi une manière de contester les médias locaux qui sont restés bien silencieux à la suite d’une commission d’enquête publique sur la gestion des déchets et les mesures élaborées par le département en faveur du développement durable… Si la nature est le terreau d’une vie harmonieuse en société, pourquoi peine-t-on à prendre les mesures nécessaires et courageuses pour la préserver ?
Sources : laurentdennemont.blogspot.be / museesreunion.re / reunionnaisdumonde.com / ars.ocean-indien.sante.fr / clicanoo.re / Photographies des déchets : Laurent Dennemont