Depuis quelque mois, les réseaux sociaux sont inondés de dropshipping chinois : cette méthode de e-commerces éphémères qui consiste à revendre au prix fort des produits low-cost, le plus fréquemment via un faux marketing prétendument éco-responsable, artisanal, voire caritatif… Les gadgets, obsolescents et polluants, sont en réalité directement expédiés depuis des sites chinois comme Aliexpress ou Wish, où ils sont disponibles pour quelques centimes. Et il ne faudra pas compter sur une quelconque plus-value ou un service après-vente : le dropshipper, sans stock, se contente majoritairement de rediriger les commandes et s’éclipsera juste avant les remontées négatives pour recréer rapidement un autre site sous un autre nom. Mais si le phénomène séduisait tout un pan de la Start-up Nation il y a peu, ce pseudo-eldorado du business commence à saturer, se révélant de moins en moins fructueux. Certains ne sont toutefois pas décidés à lâcher leur bout de gras : insatiables, ils optent désormais pour une reconversion en « formateur dropshipping ». Ces certifications fixées à des milliers d’euros sont vendues sur les mêmes principes que le dropshipping : chronomètres, injonctions, marketing agressif et promotions miracles. A un argument prêt : la gratuité. Une proposition étonnante…assurée par nul autre que l’État Français. Enquête.
C’est de notoriété publique dans le secteur commercial : quand une tendance marchande se tarit, ses adeptes tentent, avant disparition ou transformation totale de la niche, de grappiller les moindres pécules supplémentaires que celle-ci aurait à offrir. À ce stade, un des moyens d’en tirer le maximum avant essoufflement est de se tourner vers la « formation » de ceux qui rêveraient à leur tour de vider les poches de leurs concitoyens.
Rien de tel qu’un système de profit pyramidal, où d’anciens dropshippers ciblent leurs homologues néophytes. En effet, le temps que les derniers arrivés en dropshipping se rendent compte que le filon est en train de s’épuiser, une brèche s’ouvre pour d’autres initiés : la possibilité de vendre très cher des stages, certifications, bons plans, astuces et conseils qui donneront aux bouts-de-file la sensation d’optimiser leurs chances de générer du bénéfice facilement (sur le dos des clients désinformés) et de bien mener leur barque…Et quelle barque !
Dropshipping et formations en dropshipping : même combat
Ici, la barque en question se nomme « dropshipping« . On vous expliquait déjà, dans un récent dossier, son émergence et les problématiques sous-tendues par sa pratique qui – légale pour l’instant – relève trop souvent de la fraude. Parmi nos inquiétudes, outre l’arnaque financière et l’abus de confiance des internautes : la diffusion d’un greenwashing massif et décomplexé qui invisibilise les vrais artisans, la démocratisation impunie d’un marketing mensonger et agressif (pop-up, décomptes, injonctions, fausses promotions, vagues de publicités sponsorisées, avis factices ou filtrés…), la consolidation ad vitam aeternam de notre modèle productiviste mortifère et de ses conséquences pour la planète, ainsi que le manque de regard juridique sur ce sbire du consumérisme laissé, pour le moment, en roue libre.
Si le répéter peut servir la sensibilisation d’intérêt public, si débusquer quotidiennement les arnaques peut permettre à certain.e.s de ne pas se faire avoir et si partager quelques conseils pour s’en prémunir peut aider au boycott, l’autre dimension de ce marché qu’est la vente de formation doit aussi appeler notre attention. Au-delà de populariser le dropshipping auprès de novices et d’ainsi fournir le marché en nouveaux arrivants, ces stages pourraient potentiellement l’inscrire dans les mœurs.
La perspective est d’autant plus concrète et alarmante que ces tutoriels, fixés sans régulation à plusieurs milliers d’euros, peuvent être financés par l’État lui-même. Oui, la collectivité finance la propagation du dropshipping en ce moment, sans aucune régulation. De quoi parer d’une forme de crédibilité une démarche hautement pernicieuse et profondément délétère, pour nos rapports marchands, les commerces fiables et l’environnement.
Se former à la fraude commerciale grâce à l’État ?
Certains sites de formations vous diront qu’il n’est pas possible d’être financé par l’État. L’accompagnement, vendu « 1497 euros », devra vous être imputé personnellement. Sauf, bien sûr, en ce moment : grâce à une promotion exceptionnelle qui promet d’offrir les frais d’inscriptions. Comment ? En les remplaçant, en fin de compte, par un abonnement… Pour diffuser l’art de « séduire vos clients avec des textes et des descriptions produits qui vont réellement les hypnotiser« , ceux-ci n’hésitent pas à afficher des comptes à rebours ou à faire apparaître des onglets bruyants dont les slogans confinent à la vente forcée : « Je veux réellement réussir » ou « Non merci, je préfère stagner et perdre du temps« . Comme pour le dropshipping, il faut à nouveau imaginer, en face, un public parfois jeune, désinformé ou à la recherche effrénée d’un mode de vie promu depuis des dizaines d’années par le capitalisme : vivre libre, riche et voyager de manière permanente. Ces cibles pensent trouver dans ces formations une solution de reconversion et d’accomplissement financier facile.
Cette impression est ainsi d’autant plus confirmée par la mention « financé par l’État » dont jouissent d’autres sites. Car quoiqu’en disent certains concurrents, des formateurs ont bel et bien réussi à entrer dans les listes du CPF et de Pôle Emploi et, donc, à faire financer leurs formations à des formes agressives de dropshipping.
Le CPF ? C’est ce compte personnel de formation pour lequel un dispositif de financement public cotise chaque fois que vous travaillez (dans le secteur privé). Par exemple, pour un an de salariat à temps plein, votre compte est crédité de 24 heures par l’Etat. Le cumul de ces heures est ensuite convertible en euros. Euros que vous pourrez utiliser pour vous former auprès d’une sélection d’établissements « éligibles ». Et dans cette liste figurent très clairement des formations en dropshipping.
Pôle Emploi également impliqué
Mais ce n’est pas tout : vous pouvez aussi bénéficier de formations via Pôle Emploi. Pour vaincre le chômage, quoi de mieux qu’une reconversion en dropshipping ? Pôle Emploi peut vous rediriger vers quelques-uns de leurs partenaires et, même, faire le pont. Un véritable apporteur d’affaires !
Le problème sous-jacent à cette quasi-incitation au dropshipping réside notamment dans les critères généraux d’éligibilité de ces structures. En effet, c’est uniquement la loi du marché de l’emploi qui décide de la pertinence des candidatures. En d’autres termes, il suffit que ces formations servent la sacro-sainte relance de l’économie et, au passage, aident à faire baisser la courbe du chômage, pour gagner leur grade au sein de l’institution ! Et pour l’instant, le dropshipping est considéré par défaut comme un bon élève selon l’établissement public qui lui affiche un taux de retour à l’emploi plutôt satisfaisant. Il n’en faudra pas plus pour en convaincre certains de se lancer…
À la question de savoir pourquoi le web francophone est inondé de fausses boutiques revendant des produits chinois de 10 à 100 fois le prix réel, il faut regarder du côté des institutions publiques qui offrent de la légitimité à ce business mortifère pour l’économie locale comme pour l’environnement. Le phénomène étant peu étudié, voire carrément ignoré, il reste difficile de mesurer combien d’emplois réels sont détruits par le dropshipping chinois chaque année en France.
Conclusion : le dropshipping est-il en train de disparaître ou de renaître ?
Heureusement, si l’affiliation à Pôle Emploi ou au CPF représente un atout de taille pour les formateurs en dropshipping et, par voie de conséquence, pour le dropshipping en général, ces stages sont de plus en plus collectivement dénoncés et ne jouissent plus des mêmes ferveurs qu’à leurs débuts. Les autorités – souffrant parfois d’un gap de générations – ne peuvent plus ignorer aujourd’hui la problématique. Toutefois, il est difficile de mesurer à l’heure actuelle le véritable succès de ces offres, notamment via les structures et administrations publiques. Un point dangereusement flou qui s’ajoute à l’absence de cadre législatif clair sur la question spécifique du dropshipping, dont les premières victimes sont : nos rapports humains, nos perspectives en tant que société, les tentatives de contre-modèles plus écologiques et éthiques en développement, les véritables métiers de la création et de l’artisanat et notre écosystème.
En résumé, à force de laisser courir cette quasi-fraude systématisée, ne risquons-nous pas de finir piégés dans un paradigme tristement polarisé avec, d’un côté du globe, toute la fabrication industrielle de nos produits et, de l’autre, des spéculations permanentes sur ces mêmes produits, dans un business-monde virtuel, déconnecté des savoir-faire, quoiqu’appliqué à se servir de cette image pour vendre, toujours plus fort, toujours plus de vide. En tuant les derniers artisans, les commerces de proximité, les petits indépendants et entrepreneurs français, ce business prédateur sous perfusion d’État nous prive de nos dernières chances de relever la barre devant la crise écologique. Contre cette potentialité dystopique, refusons le dropshipping et ce qui l’alimente.
Un des moyens de se protéger, en tant que consommateur, est de faire appel à une application de détection des dropshippings : comme Captain Drop. Une autre est de favoriser le plus possible les commerces de proximité, éthiques et fiables. Enfin, il est de notre responsabilité à tous d’alerter les responsables politiques et décideurs afin qu’un cadre légal soit enfin appliqué au dropshipping de manière à limiter ses dérives et le nombre de ses victimes.
S.H.
Disclaimer : La communauté des dropshippers estime – pour se défendre – qu’il existerait un « bon dropshipping » et les autres. Malheureusement, en dépit de nos recherches, nous n’avons pas trouvé un seul exemple concret de e-boutique modérée lors de notre enquête. L’écrasante majorité fait de la simple revente chinoise en explosant les prix et en mentant sur l’origine des produits. Par ailleurs, la fraude à la TVA dans le domaine est astronomique. 98% des vendeurs ne seraient tout simplement pas déclarés à la TVA. Nous ne considérons évidemment pas ici le localshipping (livraison directe via des producteurs locaux) comme faisant partie de cette communauté. Le dropshipping popularisé se fonde systématiquement sur le souhait de générer des profits importants en peu de temps en parasitant un autre vendeur déjà existant dont les produits sont déjà disponibles aux consommateurs. C’est l’enrobage, le mensonge et la perfidie du modèle fondé sur la manipulation du consommateur qui constituent le plus souvent la fraude.