C’est une théorie tout-à-fait sérieuse. Et si le GIEC privilégiait toujours les scénarios les moins pessimistes, aux dépens d’autres évolutions possibles du climat, plus inquiétantes encore que celles qui sont d’ordinaires mises en avant ? C’est la thèse développée par le Think Tank Break Through, qui publiait en août un rapport critique quant à la manière dont l’organisme intergouvernemental établit ses principales projections en « minimisant », estiment-il, les risques du changement climatique.
Cela n’aura échappé à personne : alors que jusqu’à très récemment, les conférences sur le climat et les débats d’experts envisageaient une hausse des températures moyennes globales comprises entre 1,5 et 2° par rapport à l’ère pré-industrielle, d’autres scénarios, bien plus pessimistes, sont désormais évoqués dans le débat public.
Ainsi, il est de plus plus fréquent que des experts envisagent une hausse des températures bien plus importante, de l’ordre de 5° d’ici la fin du siècle. Ors, rien que dans le cas d’une hausse de 3°, de nombreuses parties du globe deviendraient invivables car trop arides, alors que d’autres seraient submergées par les eaux. Au regard des actions (ou plutôt de l’inaction) prises par les gouvernements, ces scénarios jugés pessimistes le sont-ils vraiment ? Le rapport de GIEC serait-il la partie visible d’un iceberg fonçant droit sur notre civilisation ?
Des scénarios du « moindre drame »
Ces scénarios sont mis en lumière par les phénomènes météorologiques désastreux à répétition (sécheresse, feux, inondations) que nous avons connus ces dernières années. La situation globale aurait-elle était sous-estimée par le GIEC ? Oui, répondent David Spratt et Ian Dunlop, auteurs du rapport « What lies beneath ». Selon eux, le problème ne réside pas dans le manque de données, mais plutôt dans la méthode utilisée par le GIEC alors que son mode de travail consiste à avancer par consensus et que les rapports sont influencés par l’agenda politique (la COP21 de Paris a poussé les scientifiques à étudier le scénario + 1,5° à la demande des politiques).
Selon Hans Joachim Schellnhuber, fondateur de l’Institut de recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique et auteur de la préface du rapport, le cœur du problème réside dans la tendance du GIEC à réfléchir en termes de probabilités, alors que cela aboutit à des résultats absurdes. Aujourd’hui, la probabilité d’un scénario correspond en effet à « refaire la révolution industrielle et les émissions de gaz à effet de serre qu’elle a provoquées une dizaine de fois, en commençant toujours par le système terrestre dans son état pré-industriel de 1750 ». Il faut « calculer ensuite le résultat moyen de cette expérience planétaire en termes d’élévation moyenne de la température de surface, de productivité biologique globale, de nombre total de réfugiés climatiques et d’autres variables encore ». Or, ne devrions nous pas engager des politiques en fonction des hypothèses les plus pessimistes (le risque le plus fatal à éviter) et non en fonction d’un scénario moyen qui n’a que bien peu de signification concrète ?
Les modèles climatiques ainsi que les scénarios d’émissions de gaz à effet de serre et les changements provoqués sont au centre de l’important travail du GIEC, « mais ils sont souvent trop conservateurs et sous-estiment les impacts futurs », argumentent les deux auteurs. Selon eux, trouver un consensus à partir de données scientifiques aboutit inévitablement à sous-estimer les risques. Dans le même temps, de nombreuses données, comme les points de basculement* (ou « tipping points » dans le jargon) ne sont que très peu présents dans les travaux du GIEC, justement parce qu’il est difficile de les intégrer dans des calculs de probabilité.
Le changement climatique comme « risque existentiel »
Aujourd’hui, ce sont pourtant les conclusions du GIEC qui servent de base à la communauté internationale – encore faudrait-il que les recommandations soient suivies et transformées en actes. Mais quoi qu’il en soit, il se pourrait bien que les changements à venir soient bien plus dramatiques que ce qui est envisagé aujourd’hui. « L’humanité sera bientôt confrontée à l’obligation de choisir entre prendre des mesures sans précédent ou admettre qu’il est trop tard et en porter les conséquences », écrit d’ailleurs Hans Joachim Schellnhuber dans la préface.
Autrement dit, alors que les êtres humains n’ont jamais vécu dans un environnement dans lequel les températures et la concentration des gaz à effet de serre sont aussi aussi élevées qu’aujourd’hui, les futurs possibles ont bien plus d’importance que les scénarios probables pour établir des politiques cohérentes et éviter le pire. Voilà en substance les conclusions étonnantes du Think Tank Break Through. Les responsables vont-ils en prendre de la graine ?
*Les points de basculement sont des phénomènes comme la fonte des glaces qui peuvent entrainer de nouveaux bouleversements (en l’occurrence, avec la fonte des glaces, l’albédo de la terre diminue, ce qui provoque un nouveau réchauffement).
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