Dans le monde, 9 personne sur 10 respirent un air dont la teneur en polluants excède les limites fixées par l’Organisation des Nations-Unies (OMS). S’il est prouvé depuis longtemps que la pollution atmosphérique entraine des problèmes d’ordre respiratoires ou cardiovasculaire, une équipe de chercheurs français dévoile aujourd’hui une autre dimension au problème de pollution de l’air. Parue dans la revue scientifique The Lancet au début du mois de mars, leur étude démontre pour la première fois que l’exposition à de fortes concentrations de polluants atmosphériques peut accélérer le déclin cognitif et affecter les fonctions mentales des individus, un des symptômes annonciateurs d’une éventuelle future démence. Alors que le nombre de cas de démence devrait tripler au cours des prochaines décennies, la lutte contre la pollution de l’air devient plus que jamais un véritable enjeux de santé publique.
Simples difficultés d’élocution, début d’Alzheimer ou même démence… Voilà ce qui attend peut-être les citoyens qui respirent un air trop pollué, soit environ 9 personnes sur 10 dans le monde selon les données de l’OMS. C’est en tout cas ce que soutient une nouvelle étude publiée dans The Lancet Planetary Health ce jeudi 10 mars qui associe la pollution de l’air à la diminution des performances cognitives. En bref, plus une personne sera exposée à un air pollué, plus ses fonctions mentales seront affectées.
61 000 français passés au crible
C’est l’analyse des données de plus de 61 000 personnes qui a permis aux chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), de l’université de Rennes et de l’Ecole des hautes études en santé publique d’arriver à ces conclusions. Les participants, recrutés aléatoirement sur base des listes de l’Assurance-maladie française, étaient tous âgés de 45 ans ou plus et ont été soumis à une série de tests destinés à mesurer leur capacités cognitives telles que la mémoire, la fluidité de l’expression orale (ou fluence verbale) et les fonctions exécutives, soit la capacités à prendre des décisions.
Après avoir récolté l’ensemble de ces données, les scientifiques ont comparé ces résultats à la lumière de cartes d’expositions qui révèlent la concentration de polluants à travers toute la France, et plus particulièrement de particules fines (PM2,5), de dioxyde d’azote (NO2) et de carbone suie. « Nous nous sommes concentrés sur ces trois polluants car ils sont associés ou issus du trafic automobile, explique Bénédicte Jacquemin, chargée de recherche à l’Inserm et coauteure de l’étude dans les colonnes du Monde.
« Les évidences scientifiques dans tous les domaines de la santé montrent que ces polluants sont probablement les plus nocifs pour la santé ». Et pour cause : les chercheurs observent des baisses de performances allant de 1 à près de 5% selon le taux d’exposition des participants à l’étude.
Nos facultés mentales en danger
L’équipe scientifique, conduite par le docteur Mohammad Javad Zare Sakhvidi, a ainsi observé un lien entre les endroits hautement pollués, notamment les villes, et les participants présentant le plus de difficultés cognitives. Chaque polluant présente également sa spécificité, poursuit Bénédicte Jacquemin, « le dioxyde d’azote et les particules PM2,5 agissant d’avantage sur la fluence verbale, tandis que le carbone suie a un plus grand impact sur les fonctions exécutives ». Toutes les associations significatives exposition-cognition sont quant à elles linéaires et monotones dès un faible niveau d’exposition.
Au vue de l’urbanisation croissante – qui est souvent associée à une exposition à des concentrations plus élevées de pollution de l’air extérieur à cause des véhicules plus nombreux notamment – et le vieillissement de la population, les scientifiques se disent inquiets quant aux effets neurodégénératifs de la pollution de l’air. Selon le rapport mondial Alzheimer de 2019, le nombre de cas de démence devrait tripler au cours des prochaines décennies, atteignant déjà plus de 50 millions de personnes dans le monde, et le fardeau économique sous-jacent de cette maladie devrait atteindre environ 2 billions de dollars américains d’ici 2030.
Lutter sans relâche contre la pollution atmosphérique
Mais d’après l’équipe de chercheurs français et d’autres études, il existe un espoir : « outre les facteurs de risque non modifiables (par exemple, l’âge et les facteurs génétiques), plusieurs facteurs de risque modifiables sont reconnus pour prévenir ou retarder le déclin cognitif et jusqu’à 40% des cas de démence ».
Dans le cadre de la malade d’Alzheimer par exemple, le processus neurodégénrétif est susceptible de commencer des décennies avant l’apparition des premiers symptômes cliniques. Il existe ainsi potentiellement une large période de temps pour prévenir ou ralentir l’apparition de ces troubles d’ordre cognitifs. Plusieurs facteurs de risque peuvent donc être évités : une alimentation malsaine ou un mode de vie stressant et sédentaire par exemple, mais aussi l’exposition à une pollution de l’air importante.
Qu’il s’agisse des nuages de pollution qui planent au-dessus des villes ou de la fumée qui pénètre dans les habitations, la pollution atmosphérique constitue une menace majeure pour la santé et le climat. L’OMS estime ainsi qu’environ 7 millions de personnes dans le monde meurent prématurément chaque année à cause de la double pollution atmosphérique ambiante et domestique.
Si ces décès dus aux accidents vasculaires cérébraux, aux maladies cardiaques, aux bronchopneumopathies chroniques obstructives, aux cancers du poumon et aux infections respiratoires aiguës sont depuis longtemps associés à ce phénomène, d’autres causes de mortalité, comme les démences et autres maladies neurodégénératives, présentent aujourd’hui un lien majeur avec la pollution de l’air que nous respirons chaque jour. « Cela souligne la nécessité de poursuivre les efforts pour réduire l’exposition à la pollution atmosphérique », conclut l’équipe de chercheurs.
L.A.
Photo de couverture @Jacek Dylag/Unsplash