La controverse à propos de la privatisation d’Aéroport de Paris a mis en lumière, entre autres, les importants enjeux financiers en cause. Car le secteur aérien ne connaît pas la crise. Au contraire, tant au niveau national qu’international, le nombre de vols et de passagers ne cesse d’augmenter, décuplant les nuisances locales et globales. Un décalage total avec l’urgence écologique.
En 2013, le nombre de passagers aériens avait franchi la barre symbolique des trois milliards sur l’ensemble des liaisons mondiales. Quatre ans plus tard, en 2017, c’est la barre des 4 milliards qui était dépassée. Un milliard de plus en 48 mois. La fuite en avant est manifeste. Quand bien même la croissance du secteur a ralenti en 2018 par rapport aux années précédentes, le nombre d’avions qui sillonnent le ciel ne cesse de progresser d’année en année de manière spectaculaire. Et ce n’est pas fini : les experts du secteur misent sur une importante augmentation du trafic au cours de la décennie à venir. Les chiffres et les principales tendances plaident en leur faveur.
Or, selon le Réseau Action Climat, « l’aviation est, de tous les modes de transport, le plus émetteur de gaz à effet de serre. Le transport aérien émet 14 à 40 fois plus de CO2 que le train par km parcouru et personne transportée. Un vol aller-retour Paris-Pékin émet 1 239 kg d’émissions de CO2 par passager, soit l’équivalent des émissions d’une famille pour se chauffer pendant un an en France. » N’oublions pas que le fret aérien est lui aussi en hausse : 4,5 % pour l’année 2018.
Une bonne partie de la croissance mondiale est entretenue par les marchés émergents où croissance démographique, économique et multiplication des métropoles ne cessent d’alimenter le phénomène. À titre d’exemple, la Chine vient d’acheter 300 avions à Airbus. Mais il serait réducteur de rester obnubilé par ce qui se passe en Asie ou de l’Afrique. Avec une hausse du trafic de passager qui dépasse régulièrement les 8 %, la France n’est en effet pas en reste. Faut-il s’étonner que l’Aéroport de Roissy envisage de construire un nouveau terminal d’ici 2028 afin de pouvoir accueillir 40 millions de voyageurs supplémentaires par an, en plus des 70 millions qui transitent d’ores et déjà par ce lieu chaque année ? Avec un nombre de voyageurs qui a presque triplé entre 2003 et 2018, l’adaptation des infrastructures s’impose. L’écologie attendra.
Défi écologique de l’impossible
Mais qu’en est-il des conséquences sur le climat ? Les émissions de gaz à effet de serre provoquées par l’aviation ont fait l’objet de longs débats. Car si l’aviation est responsable de 2 à 3 % des émissions globales de gaz à effet de serre, le secteur est source de bon nombre d’autres rejets qui participent aux pollutions globales et à la hausse des températures moyennes. Il s’agit notamment des émissions d’oxydes d’azote (NOx), qui accroissent l’effet de serre, ainsi que des traînées de condensation. Ces secondes joueraient un rôle aussi important que les émissions de gaz à effet de serre elles-mêmes.
Au total, l’aviation pourrait être « responsable de 4 % du « forçage radiatif anthropogénique », c’est-à-dire du déséquilibre d’origine humaine entre l’énergie entrante et sortante dans l’atmosphère terrestre », note Le Monde. Enfin, si le nombre de vols explose, c’est parce que le secteur du tourisme low-cost est lui aussi en hausse. Or ce dernier est responsable au total de 8 % des émissions de gaz à effet de serre. Ainsi, il existe une forte synergie entre ces deux phénomènes, qui s’alimentent entre eux. Il est donc très difficile de pointer du doigt un secteur sans en faire tomber d’autres avec lui, les activités humaines étant interconnectées.
Cette situation ne doit bien évidemment pas occulter le fait que l’aviation reste paradoxalement bien loin derrière les pollutions provoquées par les voitures. Si l’on s’intéresse au secteur des transports dans sa globalité en France, les voyages en avion représentent moins de 5 % des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle du pays, contre 53,2 % pour le trafic routier des particuliers. Soit un rapport de 10. Mais avec la croissance vertigineuse du secteur de l’aviation, certains s’affolent déjà : « Si on ne les réduit pas (et que tous les autres secteurs réduisent sérieusement les leurs), dans trente ans, environ la moitié de l’énergie mondiale ne servira qu’à des touristes qui partent en avion ! », analyse auprès d’ « Usbek & Rica » Laurent Castaignède, ingénieur centralien et fondateur du bureau d’études BCO2 ingénierie.
Pas de solution miracle : la décroissance ou l’effondrement
À ce défi, les principales organisations de représentants du secteur misent sur les gains d’efficacité. C’est à dire, le mythe de la fuite en avant technologique. L’Association internationale du transport aérien s’est engagée à une amélioration annuelle de 2 % de l’efficacité par an. Mais quand bien même les techniques devraient s’améliorer, face à une augmentation constante des vols, cet objectif ne permet pas de faire baisser les émissions qui ne cessent de progresser. Les promesses mirobolantes, parsemées de green-washing, ne suffisent pas face à la réalité des faits. L’effet rebond ou paradoxe de Jevons tranche définitivement le débat et se résume comme ceci : l’économie énergétique générée par une nouvelle efficacité technologique est généralement surpassée par l’augmentation totale des consommations dans un système économique de croissance.
Alors que faire ? Certains appellent à taxer plus fermement le secteur afin de décourager ce mode de transport. Mais alors que le tourisme représente 10 % du PIB mondial, qui osera entraver l’aviation au risque de menacer les emplois qui vont avec ? Par ailleurs, étant donné que l’accès à l’avion s’est fortement démocratisé ces dernières années à la faveur d’une baisse des prix des billets, la mesure pourrait s’avérer extrêmement impopulaire, à l’image de la hausse de la taxe sur le prix des carburants. En Suède, ce sont donc les consommateurs eux-mêmes qui ont pris les devants : par « honte de prendre l’avion » face aux conséquences environnementales, certains boycottent ce mode de transport au profit du train. Mais il serait certainement tout aussi utopique de croire que cette attitude puisse se transformer en mouvement de masse capable d’inverser la tendance. De toute évidence, l’aviation a encore de beaux jours devant elle, du moins tant que le pétrole coule à flots.
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