Le 24 avril 2013, l’effondrement du Rana Plaza – un immeuble-usine situé dans la capitale du Bangladesh, provoquait la mort de plus de 1100 ouvriers de l’industrie textile. Il n’en aura pas fallu moins pour que le débat sur les dérives de la fast-fashion surgisse enfin dans l’actualité mondiale. Presque dix ans plus tard, s’il est aujourd’hui impossible d’ignorer les tragédies humaines et environnementales qui jalonnent le parcours de fabrication de nos vêtements, le marché de l’industrie textile ne cesse de croître. En marge, certains persistent heureusement à se battre pour ouvrir une autre voie : celle de la mode éthique et durable. C’est le pari qu’ont fait Éloïse Moigno et Thomas Ebélé en lançant en 2013 le label SloWeAre, soucieux d’accompagner le secteur de la mode dans sa transition environnementale et sociale. En septembre 2021, ils décident de s’adresser directement aux consomm’acteurs dans un guide pratique et pédagogique afin de démocratiser la mode éco-responsable et de sensibiliser aux enjeux de l’industrie textile. « La face cachée des étiquettes » se présente ainsi comme un livre ultra-documenté, mais accessible, qui nous permet de faire le tri dans nos connaissances en la matière…mais aussi dans notre dressing !
Il y a près de dix ans, le Rana Plaza s’effondrait au Bangladesh, faisant plus de 2 500 blessés et causant la mort de 1 138 personnes qui travaillaient dans des ateliers de confection pour le compte de grandes marques de mode. Deux ans plus tard, 195 pays inaugurent les Accords de Paris pour lutter contre le réchauffement climatique à l’échelle mondiale. A cette occasion, la Ministre de l’Écologie française, Ségolène Royal, signe une Charte de la mode pour le climat.
Près de 10 ans après la catastrophe du Rana Plaza, rien n’a changé dans le secteur de la mode
Quatre ans après le drame, la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre était promulguée afin de pousser toute entreprise à prévenir les risques et les atteintes graves aux droits humains, à la santé, à la sécurité et à l’environnement. En 2018, de nombreux acteurs de la mode signent enfin la FICCA, la Charte de l’industrie de la mode pour l’action climatique, afin d’atteindre l’absence totale d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. C’est ensuite en 2019 que près d’une centaine de marques de mode s’engagent à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement avec le Fashion Pact. Les choses semblent donc bouger… Vraiment ?
Malgré ces nombreuses démarches plus ou moins fructueuses, les dérives du secteur persistent et s’accumulent : exploitation des enfants, conditions de travail déplorables, atteintes à la santé des ouvriers, manipulation non-protégée de produits toxiques, pollution des eaux, épuisement des ressources, gaspillage, surconsommation… La fast-fashion ne semble pas cesser de faire de nouvelles victimes.
« Dès le début de la pandémie, les grands groupes de fast-fashion ont annoncé un gel des salaires en Asie et le coton du Xinjiang, qui alimente l’industrie du prêt- à-porter, est produit par 1,8 millions d’Ouïghours réduits au travail forcé » illustre ainsi Éloïse Moigno et Thomas Ebélé.
Une lueur d’espoir : l’émergence d’une mode éthique et durable
Face à ce constat inquiétant, ces deux jeunes français lancent en 2016 SloWeAre, une plateforme d’information et un label de confiance pour guider les femmes et les hommes, qui comme eux, ont envie de donner plus de sens à leur achat vestimentaire.
Conscients des enjeux structurels qui animent le secteur, ils proposent aujourd’hui d’accompagner les marques textiles dans leur transition, et d’ainsi authentifier les démarches sincères et véritablement engagées.
Pour ce faire, SloWeAre a développé un référentiel composé de plus de 350 critères répartis en 13 thématiques : chaîne de valeur, approvisionnement, production, distribution, usage circulaire, engagements éco-responsables, pratiques sociales, pratiques environnementales, pratiques économiques, transparence de la marque, mission et culture d’entreprise, et gouvernance.
« Cette analyse méthodologique à 360° permet de vérifier la cohérence éco-responsable de la marque », assurent Éloïse et Thomas.
Un guide pour accompagner les porteurs de transition
Né d’une volonté d’apporter plus de transparence et de lisibilité aux consommateurs, le projet s’est poursuivi par la publication d’un guide pratique pour les aider dans cette démarche :
« De plus en plus de marques surfent sur la tendance éco-responsable, récupérant un discours engagé qui s’adresse à des consommatrices et à des consommateurs de plus en plus conscients des enjeux sociaux et environnementaux. Toutefois, les grandes enseignes manquent de transparence, les actions concrètes sont encore rares, et le risque de greenwashing augmente. Il est donc difficile d’avoir des repères et de comprendre ce qui a un véritable impact positif », expliquent les auteurs de l’ouvrage.
La face cachée des étiquettes parcourt ainsi plusieurs thèmes et réflexions, portant autant sur le cycle de vie d’un vêtement, que la notion de prix juste ou encore sur le décryptage des étiquettes.
Le lecteur y trouvera aussi des conseils d’entretien ou des astuces pour donner une seconde vie à ses vêtements. « Notre mission, chez SloWeAre, est d’encourager les marques à fabriquer de façon plus respectueuse de l’humain et de la planète. La mode éthique ne relève pas uniquement de la responsabilité des marques : des personnes bien informées peuvent agir au quotidien. Nous sommes là pour les accompagner également », soulignent les fondateurs du label indépendant.
Eviter le greenwashing à tout prix
Pour ne pas tomber dans le panneau du greenwashing, bien présent au sein du secteur de la mode, l’ouvrage propose notamment un outil mnémotechnique qui permet d’analyser rapidement le discours des marques et d’y déceler les indices d’une démarche sincère ou non.
Cette méthode appelée GREEN, consiste d’abord à « Gratter le message des marques ». Les auteurs enjoignent ainsi le consommateur à se méfier des expressions telles que « collections responsables », « produit de manière durable » ou « conscious » si elles ne sont pas accompagnées de plus de détails sur la démarche.
Vient ensuite le moment de « Repérer les imprécisions et valider l’argument écologique » : «Les propriétés de certains produits sont exagérément mises en avant pour appuyer la démarche « responsable » de la marque. Par exemple, quand on lit sur les étiquettes « 100% en coton naturel » pour suggérer un coton biologique », relèvent ainsi Thomas et Eloise.
Les auteurs encouragent également à « Évaluer les labels, leur portée et l’exigence de leur cahier des charges ».
Pour terminer, il faudra « Examiner les étiquettes et les différentes informations » qu’elles contiennent avant de « Nécessiter une vraie cohérence ».
« Est-ce que la démarche de la marque vous semble bien réfléchie, globale ? Certes, elle ne peut pas être parfaite, mais la marque doit pouvoir témoigner d’une amélioration dans ses procédés« , concluent les deux pionniers du label.
Conscients de l’urgence de changer notre rapport à la mode et à notre penderie, les fondateurs du label SloWeAre sont ainsi convaincus qu’une information solide et de qualité permettra à de nombreux consommateurs d’initier cette démarche. Et cette transition semble plutôt bien partie, puisqu’en 2019 près de 2 Français sur 3 (65%) affirmaient que l’engagement des marques et des entreprises en matière de développement durable constituait un critère de choix important au moment de leurs achats d’habillement, selon un sondage Ipsos.
Avec leur ouvrage La face cachée des étiquettes, Éloïse Moigno et Thomas Ebélé s’inscrivent sans aucun doute dans cette nouvelle tendance en offrant à chacun le pouvoir de réaliser moins d’achats, mais plus conscients et engagés. De quoi éviter les pièges et tromperies en tout genre dans lesquels les géants de l’industrie textile tentent de nous faire tomber.
L.A.
Pour se procurer le livre La face cachée des étiquettes : https://www.sloweare.com/la-face-cachee-des-etiquettes/