La fin de la déforestation occupe désormais une place centrale dans la lutte contre le réchauffement climatique. Et c’est une bonne nouvelle. Cependant, les écosystèmes marins, qui sont prépondérant sur notre planète, jouent également un rôle indispensable dans la capture du dioxyde de carbone. Selon une étude dirigée par Ralph Chami, directeur adjoint du Fonds Monétaire International (FMI), les baleines pourraient ainsi être de puissants alliés dans le combat climatique. En effet, leur déjection fécale participe directement au développement et à la croissance du phytoplancton, essentiel à la production d’oxygène et à la capture du gaz carbonique. Par ailleurs, se nourrissant principalement de ces petits organismes marins, la baleine stocke d’immenses quantités de CO2 tout au long de sa vie. Hélas, les cétacés n’ont pas été épargnés par le développement des activités humaines. Sur fond de crise climatique, il est donc urgent d’adopter des mesures de protection et conservation de ces mammifères marins. Immersion.

Le consensus scientifique et politique est quasi unanime, nous devons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 pour réduire drastiquement les effets du réchauffement climatique qui menacent nos écosystèmes, la biodiversité et l’avenir de l’humanité. Alors que de nombreuses solutions techniques sont actuellement étudiées et développées pour réduire notre empreinte carbone, il existe déjà des procédés naturels moins complexes et peu coûteux qui permettraient de capturer et séquestrer de grandes quantités de carbone.

Les forêts, poumons verts de notre planète, en captant le carbone pour émettre de l’oxygène, réduisent considérablement les quantités de CO2 relâchées dans l’atmosphère. Ainsi, lors de la COP26 à Glasgow, les chefs d’États se sont notamment engagés à mettre un terme à la déforestation d’ici 2030 [1]. Cependant, les forêts ne sont pas les seuls écosystèmes capables de participer à la capture naturelle du gaz carbonique. Selon Françoise Gail, directrice de recherche au CNRS, les océans absorbent plus de 30% des émissions de dioxyde de carbone dues aux activités humaines [2].

De la même manière que le font les arbres, les phytoplanctons, grâce à la photosynthèse, absorbent le CO2 pour le transformer ensuite en oxygène. Nutriments essentiels des baleines, le développement de ces organismes végétaux microscopiques dépend également intrinsèquement de la survie de ces géants marins. Dès lors, dans une étude menée par le FMI, en collaboration avec l’ONG Great Whale Conservancy, l’institution internationale propose une stratégie simple, peu coûteuse et essentiellement « no-tech » pour capturer un maximum de carbone de l’atmosphère : préserver et (re)augmenter les populations mondiales de baleines.

 

Les baleines, de véritables pompes à carbone

Ces dernières années, les biologistes marins ont constaté que les baleines ont une incidence particulièrement positive sur la croissance et la production de phytoplancton. D’abord, les excréments de baleines, riches en fer et en azote, jouent un rôle indispensable dans leur développement.

Ensuite, lorsqu’elles remontent à la surface pour se nourrir, par leur mouvement vertical, les baleines transportent avec elles ces minéraux à l’air libre et participent directement à la croissance du phytoplancton, essentiel pour la production globale d’oxygène et la capture du dioxyde de carbone.

De plus, animaux migrateurs parcourant des milliers de kilomètres chaque année, les baleines fertilisent de manière significatives tous les océans du globe.

Avec environ 84 000 individus, la baleine à bosse n’est aujourd’hui plus considérée comme étant en danger par l’UICN (https://www.iucnredlist.org/fr/species/13006/50362794) – Pixabay

Selon les scientifiques, auteurs de l’étude mandatée par le FMI, « ces organismes microscopiques fournissent au moins 50% de l’oxygène de la planète, et absorbent environ 37 milliards de CO2, soit 40% du gaz carbonique présent dans notre atmosphère. Pour mettre les choses en perspectives, cela équivaut à la quantité de CO2 capturée par 1700 milliards d’arbres, soit l’équivalent de la capture de CO2 par quatre forêts amazoniennes »[3].

Enfin, le rôle essentiel des baleines dans la capture et séquestration du carbone ne se limite pas à la fertilisation du phytoplancton dans nos océans. Se nourrissant essentiellement de ces petits organismes marins, les baleines accumulent de grandes quantités de carbone dans leurs corps tout au long de leur vie. À cet égard, l’étude révèle également que lorsqu’une baleine meurt, elle piège en moyenne 33 tonnes de CO2, séquestrant ainsi le carbone pendant plusieurs siècles dans les profondeurs des océans. À titre de comparaison, un arbre capture en moyenne 20kg de CO2 par an.

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Selon les auteurs de l’étude, « s’il on permettait aux populations de cétacés de revenir à leur effectif d’avant la chasse à la baleine, soit 4 à 5 millions d’individu contre un peu plus de 1,3 millions actuellement, cela pourrait augmenter considérablement la quantité de phytoplancton dans les océans et le carbone qu’elles capturent chaque année.

Par ailleurs, même une augmentation de 1% de la production globale de phytoplancton permettrait de capturer des centaines de millions de tonnes de CO2 supplémentaires par an »[4]. Dès lors, force est de constater le rôle indispensable des baleines dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Une augmentation timide des populations de baleine

Au cours des deux siècles derniers, la chasse industrielle à la baleine aurait décimé entre 66% et 90% de la population totale des cétacés à travers les mers et océans[5]. Alors que 12 des 13 grandes baleines sont inscrites à l’annexe I de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et flore sauvage menacées d’extinction (CITES), le Japon, la Norvège et l’Islande continuent de chasser les géants marins. À cet égard, l’Islande a récemment annoncé que cette pratique sera complètement interdite d’ici 2024.

Plus alarmant, en plus de la disparition des cétacés, une étude suggère qu’au 20e siècle :

70 millions de tonnes de CO2 ont été relâchées dans l’atmosphère par les pays qui pratiquaient la chasse à la baleine.

Aujourd’hui, quatre espèces de baleines et 18 sous-espèces sont considérées comme étant en danger critique d’extinction, et 11 autres espèces sont classées comme étant en danger sur la liste rouge de l’UICN[6].

Bien qu’en 2018 un rapport de l’UICN constatait une augmentation générale des populations de baleines, les activités maritimes humaines menacent encore la vie et l’intégrité des cétacés. Outre les risques liés aux collisions avec les navires, la pollution plastique et sonore, on enregistre chaque année près de 160 pertes dues aux enchevêtrements dans les filets de pêches « fantômes », filets abandonnés par les pêcheurs et laissés à la dérive dans les océans, véritable piège mortel pour les animaux marins.

Enfin, les baleines sont également gravement menacées par l’acidification des océans et l’épuisement de leurs ressources alimentaires. Françoise Gail rappelle que l’augmentation des quantités de CO2 absorbées par les océans est directement responsable de leur acidification, phénomène lui-même responsable de la diminution de leur capacité à absorber le dioxyde de carbone et de la dégradation des écosystèmes marins[7].

Plus grand mammifère sur terre, les populations de baleines bleues ne comptent actuellement plus que 5000 à 15000 individus. L’espèce est considérée comme étant en danger par l’UICN (https://www.iucnredlist.org/species/2477/156923585) – Pixabay

Convaincre de sauver les baleines…

Afin de sensibiliser les différents acteurs économiques sur les enjeux de la conservation des baleines, le FMI a estimé, compte tenu de leur rôle dans la capture du carbone, l’augmentation des stocks de poissons et le développement des activités écotouristiques, que la valeur économique des services écosystémiques rendus par chaque individu s’élève à plus de 2 millions de dollars, soit plus de 1000 milliards de dollars si l’on tient compte de l’ensemble des populations actuelles de cétacés.

En effet, le processus naturel de séquestration de carbone par les baleines permettrait d’éviter les risques et coûts liés au développement des technologies de capture de CO2 actuelles.

Par ailleurs, une protection effective des baleines permettrait également d’assurer le maintien et la préservation des écosystèmes marins, eux aussi indispensables pour la survie de nombreuses communautés à travers le monde. Ainsi, selon l’organisation internationale, il est urgent d’intégrer la sauvegarde de ces mammifères marins dans les objectifs des accords de Paris, et renforcer les mesures existantes de protections des cétacés afin d’assurer la croissance des populations de baleine[8].

Baleine à bosse – Flickr

Cependant, il est également urgent de s’écarter du modèle capitaliste, responsable de la marchandisation de ces géants marins, qui voit dans la conservation de ces espèces un intérêt pour la seule valeur financière de leurs services écosystémiques. Les baleines ne sont pas qu’un mode naturel de capture de CO2. Elles ont une valeur intrinsèque propre et devraient également jouir du droit à la vie et au respect de leur intégrité physique et morale. Pour venir à bout de la crise écologique, il est essentiel d’adopter une approche holistique de notre place dans l’univers, qui implique de vivre dans les limites du monde naturel, et reconnaitre enfin que notre survie dépend inconditionnellement de la survie des écosystèmes et de la biodiversité.

– W.D.

 

[1] Gouvernement de la République française, Les décisions clés de la « COP 26 » contre le réchauffement climatique, 16 novembre 2021, disponible sur : https://www.gouvernement.fr/les-decisions-cles-de-la-cop-26-contre-le-rechauffement-climatique

[2] Valo, M., « L’océan absorbe 30% des émissions de CO2 dues aux activités humaines » in Le Monde, 7 juin 2015, disponible sur : https://www.lemonde.fr/climat/article/2015/06/08/l-ocean-absorbe-30-des-emissions-de-co2-dues-aux-activites-humaines_4649587_1652612.html

[3] Chami, R., et al., Nature’s Solution to Climate Change, Finance & Development, décembre 2019, Vol. 56, N° 4, disponible sur : https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2019/12/natures-solution-to-climate-change-chami.htm

[4] Ibid., https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2019/12/natures-solution-to-climate-change-chami.htm

[5] Libéré, L.D., « Réchauffement climatique : les baleines sont des aspirateurs de dioxyde de carbone » in Le Dauphiné, 3 mai 2021, disponible sur : https://www.ledauphine.com/environnement/2021/05/03/rechauffement-climatique-les-baleines-sont-des-aspirateurs-de-dioxyde-de-carbone

[6] Environment Justice Foundation, Our Bleu Beating Heart: blue carbon solutions in the fight against the climate crisis, 26 juillet 2021, disponible sur: https://ejfoundation.org/resources/downloads/EJF-Blue-Carbon-Brief_Global-2021-final.pdf

[7] X., « COP 26: les baleines peuvent-elles sauver le climat ? » in TV5 Monde, 6 novembre 2021, disponible sur : https://information.tv5monde.com/info/cop26-les-baleines-peuvent-elles-sauver-le-climat-431319

[8] Ibid., https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2019/12/natures-solution-to-climate-change-chami.htm

 

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