Alors qu’ils jouent un rôle essentiel pour la préservation et le maintien des écosystèmes marins, les activités humaines ont décimé une majeure partie des populations de requins à travers le monde. Aujourd’hui, 60% des espèces de requins sont en danger d’extinction, avec le risque de bouleverser l’équilibre de la santé de nos océans. Face à ce bilan alarmant, une initiative citoyenne européenne exhorte la Commission européenne d’interdire le commerce des ailerons de requins sur le territoire de l’Union Européenne. Alors que nous épuisons déjà l’ensemble des populations de poissons et que l’ensemble des océans meurt à grands pas, il est urgent d’agir avant qu’il ne soit trop tard…

Depuis le début des années 1950 et l’essor du modèle de consommation auquel nous participons actuellement, les activités humaines, telles que le développement du transport maritime et la surpêche, ont causé la disparition de pas moins de 89% des populations de grands poissons présents dans les océans du monde (thon, espadons, requins et raies).

En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les prises globales ont plus que quadruplé, atteignant désormais plus de 90 millions de tonnes par an, sans compter les dizaines de millions de tonnes pêchées illégalement ou non déclarées[1].

Parmi les victimes de la surpêche, 60% des espèces de requins sont actuellement gravement menacées ou en danger d’extinction, selon la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. Présents depuis plus de 400 millions d’années dans tous les océans de la planète, les requins ont façonné les écosystèmes marins et directement influencé le comportement de nombreuses espèces aquatiques[2].

Alors qu’Hollywood nous les a longtemps présentés comme des monstres marins mangeurs d’homme et assoiffés de sang dans l’imaginaire collectif, les seigneurs des profondeurs sont aujourd’hui gravement menacés par la pêche excessive et les caprices culinaires du seul véritable insatiable, l’homo sapiens sapiens.

Requin à pointe blanche – Flickr

Or, situés au sommet de la chaîne alimentaire, la disparition de ces régulateurs naturels de la biodiversité marine causerait de graves conséquences irréversibles pour le futur des écosystèmes marins et des océans.

 

Des techniques de pêche écocidaires

Le développement du commerce des ailerons de requin est devenu ces dernières années l’une des principales menaces pour de nombreuses espèces de requins. Ingrédient principal de la soupe aux ailerons, ce mets très prisé est particulièrement apprécié en Asie où il est considéré comme un symbole de prospérité et de richesse.

Selon l’espèce de requin, la valeur des ailerons peut atteindre des sommes astronomiques. À titre d’exemple, les ailerons du requin longimane ont une valeur d’environ 600€/kg sur le marché et peuvent être dégustés dans certains restaurants pour la modique somme de 400€ le bol de soupe [3]. Toutefois, l’envers du décor est loin d’inspirer respect et prospérité.

Ailerons de requins, marché de Binh Thay (Hô Chi Minh-Ville, Vietnam) – Flickr

La pêche aux ailerons, ou « shark finning », consiste à couper tous les ailerons des requins vivants, et à les rejeter immédiatement après leur capture dans les océans. Ne devant pas transporter les carcasses, cette technique permet aux pêcheurs d’embarquer de grandes quantités d’ailerons et de générer d’importants revenus. Malheureusement, une fois mutilés, les requins, pleinement conscients, sont ensuite incapables de nager, et dès lors condamnés à une mort lente et douloureuse.

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Enfin, les captures « accidentelles et involontaires » d’espèces non ciblées constituent également une grave menace pour les espèces de requins. Ainsi, bien qu’elles ne soient pas initialement ciblées, de nombreuses espèces de requins, protégées ou non, sont régulièrement victimes de l’utilisation massive de techniques de pêche non sélectives, telles que la pêche à la palangre, le chalut de fond ou la pêche au filet maillant. Dans un tel cas de figure, le commerce de la chair des espèces protégées devient alors conforme à la réglementation européenne, et permet notamment d’alimenter l’industrie cosmétique et de la mode.

Comme l’explique Lamya Essmlali, présidente de Sea Shepherd, « aujourd’hui il est complètement légal de se rendre sur des zones dans lesquelles évoluent des espèces strictement protégées et d’y déployer des filets de pêche non sélectif, dont on sait qu’ils vont capturer des espèces protégées et interdites de capture. Mais tout cela passe sous le coup de la capture accidentelle, qui ne peut pas être démontrée autrement que par les dires du pêcheurs concerné » [4].

Campagne « Stop Finning » Sea Shepherd

Depuis les années quatre-vingt, le commerce légal de la viande de requin est responsable à lui seul de la mort d’environ 100 millions d’individus par année, dont 73 millions pour la production de la soupe d’ailerons en Asie[5]. Ce nombre saisissant peut atteindre jusqu’à 273 millions de requins si l’on tient compte de la pêche illégale et non documentée[6].

 

Vers l’interdiction du commerce d’ailerons en Europe ?

Bien que l’on retrouve très peu de soupe d’ailerons sur les menus européens, l’Union Européenne figure parmi les plus gros exportateurs d’ailerons de requins et capture chaque année des millions d’individus.

Pour autant qu’il ne s’agisse pas de l’une des 12 espèces de requins protégées par la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), le commerce de requins est parfaitement légal dans la législation européenne. Depuis 2013, une disposition européenne interdit toutefois le shark finning, et oblige désormais les pêcheurs à conserver et débarquer l’entièreté de la carcasse du requin pour être commercialisée, afin de pouvoir identifier l’espèce capturée.

Ailerons de requins – Flickr

Hélas, comme l’indique les auteurs de la campagne Stop Finning EU : « il est malheureusement souvent impossible d’identifier si les ailerons font l’objet d’un commerce. Dans de nombreux pays du monde, dont l’UE, rien n’indique si un chargement contient des parties traitées ou non traitées du requin.

Il est donc particulièrement difficile de savoir quelles parties du poisson sont transportées vers quelles destinations. Par ailleurs, les chiffres de contrôles constituent eux aussi une zone de flou. Pour la flotte palangrière espagnole, l’un des principaux producteurs européens d’ailerons bruts, on enregistre un taux d’observateurs indépendants de 1 à 3% à bords des navires de pêche. On peut donc rarement confirmer avec certitude si les requins capturés sont effectivement débarqués, comme l’exige la réglementation européenne »[7].

Dès lors, acteur majeur de l’exploitation des requins, et constituant une zone de transit importante dans le commerce mondial des ailerons, l’organisation Sea Shephard a présenté en 2020 une initiative citoyenne européenne pour stopper le commerce des ailerons dans l’UE, ainsi que l’importation, l’exportation et le transit des nageoires qui ne sont pas naturellement attachées au corps du requin. Après deux longues années de campagne, l’initiative a récolté pas moins de 1 200 000 de signatures, obligeant désormais la Commission européenne à se prononcer sur le contenu de l’initiative citoyenne[8].

Bien qu’elle ne soit pas tenue de répondre favorablement à ces revendications, la Commission dispose désormais de l’opportunité d’introduire une réglementation ambitieuse en faveur de la protection de ces animaux, essentiels à la préservation des écosystèmes marins dont nous dépendons intrinsèquement.

 

L’État d’Hawaï montre l’exemple

Depuis le 1er janvier 2022, il est désormais illégal de pratiquer toutes formes de pêche aux requins dans l’État d’Hawaï. En cas de prises accidentelles, le pêcheur aura l’obligation de relâcher l’individu le plus rapidement possible, en prenant soin de ne pas le blesser. Cette interdiction vise l’ensemble des espèces de requins présentes dans les eaux hawaïennes, et toute infraction pourra être punie d’une amende allant de 500 à 10 000 dollars par requin blessé ou tué[9].

Groupe de grands requins-marteaux – Flickr

Avec cette nouvelle réglementation, Hawaï se place en leader dans la conservation du seigneur des profondeurs et devient le premier État américain à introduire une mesure de protection visant l’ensemble des espèces de requins. Comme l’a déclaré Brian Neilson, membre du département des ressources aquatiques du gouvernement hawaïen, « notre département est bien conscient de l’importance des requins pour maintenir des écosystèmes marins sains. Nous reconnaissons également leur importance pour les pratiques culturelles et les croyances hawaïennes autochtones »[10].

Il ne reste plus qu’à espérer que l’UE suive ce bel exemple et favorise enfin la protection de la biodiversité et de l’environnement au détriment du profit et des pratiques commerciales et économiques écocidaires.

– W.D.

Photo de couverture @SeaShepherd

[1] Greenberg, P., « Les ravages de la surpêche : il n’est pas trop tard pour réagir » in GEO, 24 janvier 2022, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/les-ravages-de-la-surpeche-il-nest-pas-trop-tard-pour-reagir-208037

[2] WWF, Requins – Seigneurs des profondeurs, disponibles sur : https://www.wwf.fr/especes-prioritaires/requins

[3] Stop finning, La pêche aux ailerons, disponible sur : https://www.stop-finning-eu.org/fr/la-peche-aux-ailerons/index.html

[4] Gurdjian, C., « Le commerce d’ailerons de requins, une pratique légale qui rapporte gros » in GEO, 1 février 2022, disponible sur : https://www.geo.fr/environnement/le-commerce-dailerons-de-requins-une-pratique-legale-qui-rapporte-gros-208197

[5] WildAid, New WildAid campaign urges Thailand to say no to shark fin at weddings, 14 novembre 2018, disponible sur: https://wildaid.org/pong-nawat-says-no-to-shark-fin-at-weddings/

[6] IUCN SSC, Frequently Asked Questions: Sharks, Rays, and chimaeras, disponible sur: http://www.iucnssg.org/faqs.html

[7] Stop Finning EU, La pêche aux requins en Europe, disponible sur : https://www.stop-finning-eu.org/fr/la-peche-aux-requins-en-europe/index.html

[8] Union Européenne, ­­Initiative citoyenne européenne « Stop Finning – Stop the trade », 31 janvier 2022, disponible sur : https://eci.ec.europa.eu/012/public/#/screen/home/disabled

[9] State of Hawaii – Division of Aquatic Resources, Shark fishing ban goes into effect January 1, disponible sur: https://dlnr.hawaii.gov/dar/announcements/shark-fishing-ban-goes-into-effect-january-1/?fbclid=IwAR1w6Vp6cPY_OSnghhIyOB-wOhTHq_d6chA6NBT4Eu8harG0yOJ2RjBG25U

[10] Guinot, L., « Hawaï interdit définitivement la pêche aux requins pour préserver l’équilibre des écosystèmes marins » in Demotivateur, 28 janvier 2022, disponible sur : https://www.demotivateur.fr/environnement/hawai-devient-le-premier-etat-americain-a-interdire-la-peche-aux-requins-27838

 

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