Fleuron du modèle français, la sécurité sociale semble pourtant déranger une petite minorité de la population, attachée aux intérêts bourgeois. Depuis sa création, elle est sans cesse blâmée par la droite de l’échiquier politique. Et il ne fait nul doute que certains rêveraient de la voir disparaître.

Si les critiques sur le système français fusent régulièrement du côté des plus riches, arguant qu’il « coûterait trop cher », et que la France serait « trop généreuse » ou qu’elle « vivrait au-dessus de ses moyens », il reste compliqué pour les néolibéraux d’attaquer frontalement et publiquement la sécurité sociale. Il faut dire que 88 % des Français s’y disent fortement attachés.

Le bien commun des travailleurs

Née en 1945 des aspirations du Conseil national de la résistance, la sécurité sociale est ensuite modelée et consolidée en grande partie par un ministre du travail communiste, Ambroize Croizat. Sous son impulsion, toutes les formes d’assurance sociale antérieures sont fusionnées dans une seule caisse qui sera financée par les cotisations des employés et du patronat.

Mais la véritable révolution, et ce qui fait que la sécurité sociale originelle était profondément anticapitaliste, réside dans la gestion de celle-ci. En effet, grâce au ministre du PCF, elle reposait non pas sur l’État, mais bien sur les actifs eux-mêmes.

Ainsi, l’assurance maladie, les allocations familiales, les retraites et la couverture des accidents du travail étaient alors regroupées au sein du régime général de sécurité sociale, lui-même régi par des conseils d’administration composés à 75 % de représentants des salariés (le reste par les dirigeants d’entreprise). Il s’agissait donc d’un véritable processus de socialisation d’une partie des revenus du travail. Et cette part était immense puisqu’elle représentait à l’époque pas moins d’un tiers des rémunérations du pays.

LES MEMBRES DU BUREAU DU C.N.R. LIBERATION DE PARIS – AOUT 1944. Wikimedia

Une lente désagrégation

Évidemment, dans une nation aussi imprégnée par le capitalisme, cet îlot du bien commun qu’est la sécurité sociale a constamment été attaqué. Et même si elle perdure encore aujourd’hui, elle a malgré tout subi de multiples réformes au fil des ans et fait l’objet de nombreuses critiques de la part des gouvernements néolibéraux successifs.

Dès le début, l’élite financière a d’ailleurs mis des bâtons dans les roues du système. Les négociations étaient âpres et pour la bourgeoisie, il était hors de question de laisser autant de pouvoir aux mains des classes populaires.

De ce fait, contrairement à ce que prévoyait le projet initial, les caisses primaires de sécurité sociale (maladie et vieillesse) ont été séparées des allocations familiales (CAF), et ce afin de réduire la force de frappe du peuple qui les détenait. La CAF, à l’inverse des autres caisses, était d’ailleurs gérée de manière paritaire (soit 50 % aux syndicats et 50 % au patronat). Une façon pour la bourgeoisie de garder la main sur la moitié des prestations de la sécurité sociale puisqu’il existait toujours un syndicat favorable au patronat ce qui permettait de conserver la majorité.

L’ombre de l’État capitaliste

Même s’il était beaucoup moins présent qu’habituellement, au départ, l’État n’était tout de même pas en reste, puisque c’est lui qui fixait malgré tout le taux des cotisations et le montant des prestations. Dès les premières années, il avait d’ailleurs imposé un contrôle financier et une mise sous tutelle des caisses déficitaires.

Mené par la droite, le gouvernement s’est ensuite employé d’année en année à saboter petit à petit ce régime. En 1950, sous la pression des entreprises, il a par exemple tenté de le rendre impopulaire en gelant le taux de cotisation pendant toute une décennie, à tel point que les assurés touchaient des remboursements inférieurs à leurs charges de santé.

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Dans le même temps, les pensions de retraite restaient encore très faibles alors que l’exécutif n’hésitait pas à rediriger les fonds destinés à la vieillesse pour ses dépenses courantes. Cerise sur ce gâteau empoisonné, en 1967, les ordonnances Jeanneney ont instauré la parité des représentants dans les caisses primaires de sécurité sociale. Ainsi, le patronat s’est octroyé 50 % des sièges et la certitude de reprendre les choses en main grâce à des syndicats favorables à leurs aspirations.

L’arnaque de la CSG

Et depuis les années 80 et la vague néolibérale qui s’est emparée du monde entier, la sécurité sociale française a subi de multiples assauts. On a d’abord vu l’apparition de la CSG qui ouvrait la porte à un financement d’une partie du système par l’impôt et non plus par la cotisation (un processus déjà engagé dans les années 70, mais de manière plus anecdotique).

Au départ, cet impôt ne devait financer qu’une petite partie du budget du système, mais déjà à cette époque, le Premier ministre libéral Michel Rocard martelait que : les cotisations sociales « pèsent sur le coût du travail, et donc sur l’emploi. »

Une ritournelle que l’on entend sans cesse depuis plus de trente pour justifier toutes les attaques contre le système français. Pourtant, de fait, à l’inverse des cotisations, la CSG a surtout l’avantage de faire peser le financement de la sécurité sociale bien plus sur les travailleurs que sur le patronat.

Faire payer les travailleurs et leur retirer le pouvoir

Bien conscients de tout cela, les libéraux n’ont eu de cesse de faire augmenter la part de la CSG dans l’alimentation des caisses. Ainsi, alors que son taux était d’à peine 1,1 % en 1990, il dépasse aujourd’hui les 9 % pour tous travailleurs de France.

En outre, le système de sécurité sociale était financé à hauteur de 3,4 % par les taxes (dont la CSG) en 1990. En 2017, ce taux avait bondi à 24,2 %. Et l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron a encore accéléré ce processus : notamment par le biais de l’augmentation de la part de la CSG qui finançait seulement 12 % de la sécurité sociale. Aujourd’hui, cette part a dépassé les 20 % pour l’unique CSG. Le projet initial, où les cotisations devaient approvisionner le système, paraît donc déjà bien loin.

De plus, ce transvasement a alimenté le fameux poncif libéral sur la France qui serait « championne du monde des impôts ». Une rhétorique douteuse, dont le but n’est autre que de baisser les prélèvements sur les plus fortunés du pays (alors qu’ils sont pourtant les premiers bénéficiaires d’exonérations sociales). Pour couronner le tout, ce processus permet également d’anéantir le poids des travailleurs et de leurs représentants dans la gestion du budget de la sécurité sociale.

La vague néolibérale emporte tout

Mais l’apparition de la CSG est loin d’avoir été la seule attaque à l’encontre de notre système. En 1996, Alain Juppé a, lui aussi, porté un coup fatal à la démocratie sociale avec la création de la loi de financement de la sécurité sociale. À partir de cette date, le budget de la sécu sera fixé, non plus par les travailleurs, mais par l’État. Dès lors, ce montant ne sera plus déterminé en fonction des besoins (qui sont grandissants avec le vieillissement de la population), mais part une logique d’entreprise où l’austérité et la « rentabilité » sont de mises.

Les soi-disant déficits, eux-mêmes organisés par les réductions des dépenses, à l’image du fameux « trou de la sécu », font ainsi office d’excuses à longueur d’année aux politiciens libéraux pour baisser encore et encore nos recettes et annihiler nos services publics.

Dans cette veine, on a bien sûr connu plusieurs attaques contre notre système de retraite. C’était d’abord le cas en 2010 lors du report de l’âge à 62 ans, et encore plus en 2023, où le départ à 64 ans a été imposé à grand renfort de mensonges, mais surtout d’une flopée de 49.3, possibles uniquement grâce à la loi de financement de la sécurité sociale, précédemment citée.

Dans le domaine de la santé, les citoyens, mais aussi les soignants, ont connu de multiples déconvenues. Au fil des ans, on a vu ainsi bon nombre de médicaments être moins remboursés (voire plus du tout), à l’instar des honoraires médicaux sur lesquels les mutuelles prennent une plus grande part. Les instaurations du forfait hospitalier ou de franchises sur les médicaments (qui viennent récemment d’être doublées) sont également des attaques notables contre le système. Et ce, sans parler de l’effondrement de l’hôpital public, qui est, rappelons-le, essentiellement financé par la sécurité sociale.

Photo de Owen Beard sur Unsplash

Criminaliser les pauvres pour enrichir les plus riches

Évidemment, les branches du système qui restent les plus faciles à attaquer pour l’État demeurent sans doute, d’une part, celles des allocations familiales, et d’autre part, celles du chômage. Et ce pour une raison simple : elles ne sont perçues que par une portion plus restreinte de la population : celle des plus précaires.

La tâche est plus aisée puisque ces citoyens sont sans cesse pointés du doigt et utilisés comme boucs émissaires pour justifier toutes les actions contre le peuple des gouvernements néolibéraux successifs. Ainsi, les aides aux logements, l’assurance chômage, l’aide médicale d’état, ou encore le RSA ont tous été menacés.

Les techniques d’hier sont encore celles d’aujourd’hui

Dans tous les cas, ces assauts n’ont qu’un seul but : désengager l’État pour favoriser les privatisations et l’enrichissement des compagnies privées. Et ils sont encore fortement à l’œuvre à l’heure actuelle.

Combien de fois a-t-on entendu le gouvernement Macron verser des larmes de crocodile sur la dette, le budget de la nation ou les aides sociales qui coûteraient un « pognon de dingue » ? À traiter constamment la France comme une entreprise, ils ont sans doute fini par oublier qu’un service public existait justement pour rendre service, et non pas pour faire du profit. Ces lamentations sont d’ailleurs d’autant plus risibles que leurs auteurs ont eux-mêmes créé des déficits en faisant sans cesse des cadeaux aux plus riches, notamment en détricotant la sécurité sociale.

Nouvelle cure d’austérité à l’œuvre

Très récemment encore, une énième cure d’austérité a été annoncée par Bercy. Bruno Le Maire a ainsi décrété vouloir mettre en place un énième plan de restriction budgétaire de 10 milliards d’euros pour 2024. Dans la foulée, il a cependant juré que la sécurité sociale ne serait pas touchée.

Retournant sa veste plus vite que son ombre, le ministre était pourtant de retour dans les médias moins d’une dizaine de jours plus tard pour évoquer un autre projet d’économie pour 2025, cette fois-ci de 20 milliards. Et malgré ses promesses, les aides sociales, la santé ou même l’assurance chômage pourraient être visées.

Toute honte bue, il affirmait également qu’il fallait en finir « une bonne fois pour toutes » avec le « mirage de la gratuité universelle ». Dans un sophisme aussi classique que consternant, il a encore essayé de faire croire aux gens que notre système reposerait sur une pseudo-générosité de l’État qui s’occuperait des citoyens.

C’est évidemment oublier (bien volontairement) que ce système est financé par les Français eux-mêmes et qu’il est basé sur la solidarité. Et non sur la bonne volonté d’une entité paternaliste qui aurait à charge de contrôler ses enfants. Il s’agit au contraire d’un pouvoir gouvernemental confisqué par une minorité qui s’est chargé de reprendre aux travailleurs le droit de décider d’une part conséquente des revenus des richesses produites dans le pays.

Résister ou disparaître

On l’aura compris, si le peuple ne réagit pas, la sécurité sociale subira à terme le même sort que tant d’autres institutions du pays balayées par le capitalisme débridé. Une privatisation galopante ne pourra nous mener qu’à un système à l’américaine où la santé et le troisième âge ne seraient plus que des secteurs aux mains de grands groupes.

Une perspective dans laquelle les plus riches pourraient s’en sortir sans trop de dommage (bien qu’une structure privée coûte dans tous les cas plus cher qu’une publique), tandis que les plus précaires ne pourront plus se soigner et seront contraints de travailler jusqu’à la mort dans des conditions de pauvreté extrême.

Construire la sécu de demain

À l’inverse, si l’on veut préserver les secteurs de la santé, de la famille et du grand âge des griffes du néolibéralisme prédateur, il devient indispensable de consolider la sécurité sociale sur la base d’une gestion démocratique.

Il s’agirait là de l’un des piliers de notre hôpital public, qui permettrait de retirer une partie de la valeur produite par les travailleurs du marché capitaliste. Un objectif qui passe néanmoins par plusieurs décisions fortes, comme la suppression des mutuelles de santé, véritables ennemies du système, amenées à être remplacées par un remboursement total de tous les frais médicaux, y compris dentaires, par l’assurance maladie.

De même, la Constitution pourrait être réécrite par le peuple sans pouvoir être modifiée par la suite par une autre voix que le référendum. Une mesure qui permettrait de graver dans le marbre certains principes de la sécurité sociale et de sa gestion.  Un processus qui pourrait même s’élargir à des branches supplémentaires de la société. On peut ici particulièrement penser à la retraite à 60 ans ou à certaines allocations. Des verrous qui semblent totalement indispensables lorsque l’on constate les actions de certains gouvernements libéraux dès lors qu’ils accèdent au pouvoir.

– Simon Verdière


Photo de couverture de MART PRODUCTION. Pexels

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