BD, spectacle, radio… Guillaume Meurice est décidément multi-casquettes. Rencontre avec celui qui se définit lui-même comme un « clown » et qui tente, par le rire et la culture sous toutes ses formes, de faire réfléchir.

Guillaume Meurice aime interpeller, pousser le débat et faire réfléchir, mais toujours avec le sourire et le recul qui vont bien. Tandis qu’il sillonne actuellement la France avec son spectacle Vers l’infini… mais pas au-delà, il est également au rendez-vous tous les dimanches chez Radio Nova, et distille rire et réflexion pour petits et grands dans de nouvelles BD.

Avec lui, nous avons tenté de faire le tour de sa riche actualité. Et de constater que l’humour reste une arme démocratique efficace face aux tentatives de censure réactionnaires.

Auteur, scénariste, chroniqueur... Guillaume Meurice ne chôme pas, pour notre plus grand plaisir ! © Magali R
Auteur, scénariste, chroniqueur… Guillaume Meurice ne chôme pas, pour notre plus grand plaisir ! © Magali R

Mr Mondialisation : Ton actualité littéraire est chargée, avec la sortie ces dernières semaines de plusieurs BD, notamment La Contre-révolte sans précédent. Ici, les punaises de lit prennent le pouvoir, au détriment des humains… Il y aurait donc pire que nous ?

Guillaume Meurice : « Oui, et c’est la première info de la BD, à savoir qu’il ne faut pas confier tant de pouvoir à si peu de personnes, humaines ou non (rires). A priori, c’est quelque chose qu’on sait déjà, avec la Ve République… Ici, face à la dictature du Chef Titi, une question se pose : faut-il s’allier avec ses ennemis pour combattre un ennemi commun ?

Cela ouvre à des débats entre les animaux qui se montrent plus ou moins lâches, plus ou moins radicaux, etc. Évidemment, ça donne aussi pas mal de situations cocasses. Écrire cette suite de La Révolte sans précédent et re-travailler avec Sandrine (Deloffre, NDLR) a encore été un bonheur pour moi. Elle est toujours aussi drôle, on a vraiment énormément ri. » 

La Contre-révolte sans précédent, tome 2 des aventures de la MEUTE ©MW
La Contre-révolte sans précédent, tome 2 des aventures de la MEUTE ©MW

Mr Mondialisation : À la fin de l’histoire, le pouvoir tombe dans les mains de Chat GPT… Le troisième tome va donc mener la révolte face à l’IA ?

Guillaume Meurice : « Effectivement, on y parlera de l’IA, et ça s’appellera La Révolte avec précédent – oui, la maison d’édition va nous détester avec nos titres ! (rires) On est déjà en train de travailler dessus. L’IA ayant pris le contrôle du monde, animaux et humains vivent sous terre. Ça devient très compliqué… Le contexte sera assez sombre, mais heureusement, sans spoiler, nos héros s’en sortent toujours. Notamment grâce à Jean-Louis, le renard pas si malin que ça, mais qui subit beaucoup de pression. Car il est sensé l’être ! » 

Mr Mondialisation : Tu viens également de sortir Loumi et l’odyssée du poisson pané. Une façon de dénoncer l’absurdité d’un système agroalimentaire dans lequel nous sommes empêtrés, d’un bout à l’autre de la chaîne ?

Guillaume Meurice : « Je souhaite informer au-delà de dénoncer. Loumi est une BD jeunesse, accessible dès la pré-adolescence. On y parle d’une jeune fille qui se demande ce qu’il y a dans son poisson pané. En vacances chez son oncle qui, lui, ne se pose pas trop de questions, elle remonte tout le fil de la fabrication de son fameux poisson. On a vraiment essayé de distiller des informations techniques, comme lorsqu’elle rencontre des pêcheurs. Là, elle découvre la taille des filets et l’absurdité du système de pêche à grande échelle. Un véritable massacre organisé !

Loumi et l'Odyssée du poisson pané, une BD pour réfléchir sur ce que l'on met dans nos assiettes © Delcourt
Loumi et l’Odyssée du poisson pané, une BD pour réfléchir sur ce que l’on met dans nos assiettes © Delcourt

Le but, c’est que les lecteurs apprennent et se posent des questions tout en rigolant. On pousse également à aller plus loin, en donnant des pistes aux plus jeunes pour faire des exposés via une liste d’associations, de documentaires ou de livres. C’est une aventure qui reste ludique, et que les enseignants peuvent utiliser en classe. Loumi, ça peut être un premier pas vers ce qui se passe dans l’océan, dont on parle trop peu. Personne ne sait ce qui s’y passe vraiment : c’est loin, c’est sous terre, c’est souvent en-dehors des eaux internationales… Ce qui laisse beaucoup de place pour y faire n’importe quoi. » 

Mr Mondialisation : En parallèle, avec de nombreux autres auteurs et dessinateurs, tu as décidé de boycotter le prochain salon d’Angoulême, en janvier. Un boycott qui prend de l’ampleur…

Guillaume Meurice : « Oui, car la gestion y est devenue calamiteuse et opaque. Le festival appartient à des gens qui ne font pas du tout de BD. C’est devenu un énorme business, le Disneyland de la BD… Sans compter les affaires glauques, comme une victime de viol qu’on a essayé de faire taire : tout est fait pour que la confiance disparaisse vis-à-vis des organisateurs.

Le boycott s’organise pour alerter, car c’est le plus gros festival de BD en France. Il mérite une gestion plus saine et horizontale, par gens qui travaillent dans le milieu de la culture. Alors, à notre échelle, on essaie simplement d’être là pour éveiller les consciences. » 

Mr Mondialisation : L’émission La Dernière, que tu co-animes sur Radio Nova, est-elle une tribune 100% libre pour toi ?

Guillaume Meurice : « Oui, je suis libre et ne rencontre pas de censure. Mais j’aurais pu dire pareil du temps de France Inter avant d’être licencié, donc il faut toujours rester prudent (rires) ! Malheureusement, nous sommes souvent virés pour les mêmes raisons que celles qui nous ont ouvert les portes…

Dans le cas présent, j’ai quand même quelques garanties de la part de Matthieu Pigasse, le propriétaire ! Il se marre en nous écoutant et ne nous embête pas. On est plutôt sur la même longueur d’ondes en terme de valeurs. Et l’émission cartonne, donc c’est difficile de venir nous faire des reproches. » 

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« j’aime dire qu’il n’y a pas de liberté, que des preuves de liberté. Dans l’état actuel des choses, nous les avons. »

Mr Mondialisation : Quelques mots sur la « polémique » liée aux propos récents de Pierre-Emmanuel Barré ?

Guillaume Meurice : « Évidemment, il a tout mon soutien ! Cette histoire, c’est encore une offensive de la droite qui veut censurer l’humour. La réponse de Radio Nova (ndlr : « Préserver la liberté de ceux qui font rire, c’est protéger la santé de notre démocratie. ») est parfaite, selon moi. »

L'équipe de « La Dernière » au complet ©Mister Fifou
L’équipe de « La Dernière » au complet ©Mister Fifou

Mr Mondialisation : Depuis toutes ces années que tu incarnes la « gauche-écolo-bobo », vois-tu une évolution dans les critiques ? Sens-tu l’opinion adverse plus nombreuse, plus « déchaînée » ?

Guillaume Meurice : « Oui, mais je fais preuve d’un gros biais d’optimisme à ce sujet ! En réalité, j’associe cette montée de la haine au fait qu’ils savent qu’ils vont perdre. Ils sont en panique. Mais restons prudents : un système dominant qui panique peut devenir dangereux. Alors il faut tenir, s’accrocher, ne pas se résigner. Quoi qu’il arrive, on se fait traiter de tout quand on défend les droits humains.

« Au fond, quand tu regardes Cnews, tu ne vois que des gens qui chouinent, qui ont peur de tout… Je compare ça à une bête blessée, coincée au fond d’un ravin. » 

Comparer notre situation actuelle avec celle des années 1930 me semble assez valide. Il y a quelques mois, nous avons reçu le sociologue Vincent Tiberj dans La Dernière : il y expliquait que la France n’est pas de plus en plus de droite, mais que c’est le cas des médias. Or, les médias ont le pouvoir, car ils ont l’argent. Et donc, ils défendent le pouvoir en place.

Mais du côté de l’opinion, par exemple, le mariage pour tous est plus ancré dans les mœurs qu’on ne le croit et il y a aujourd’hui peu de chances qu’il soit remis en cause. En réalité, le plus gros transfert d’électorat, ce n’est pas de la gauche vers la droite, mais ce sont les gens qui arrêtent de voter. Notre vision globale de la société est déformée par les médias. » 

Mr Mondialisation : Si demain, tu croises quelqu’un qui te dit qu’il veut voter RN aux prochaines élections, que répondrais-tu ? 

Guillaume Meurice : « Alors je serais ravi, car aller discuter avec des gens qui ne sont pas d’accord avec moi, c’est ma passion (rires) ! J’aime sincèrement discuter avec gens qui votent à droite, je serais hyper chaud pour échanger et essayer de comprendre leur intérêt personnel. Parce que voter RN quand on s’appelle Bernard Arnault, ça peut s’entendre, mais quand on est smicard, je ne comprends pas. Je pense que nous n’avons rien à perdre à discuter avec des gens qui ne pensent pas comme nous – tant que ça ne dépasse pas le seuil de l’insulte, évidemment. » 

Mr Mondialisation : Tu seras aux Prud’hommes le 10 décembre face à Radio France, qui t’a évincé en 2023 de France Inter. Quel espoir portes-tu face à cette confrontation à venir ?

Guillaume Meurice : « J’ai juste espoir que la justice se positionne. J’ai été viré pour « faute grave » : Radio France va devoir se justifier, car moi, je ne vois pas de faute grave. S’il n’y avait pas eu de polémique sur Cnews, on n’en serait sûrement pas là. Ce procès va s’avérer très intéressant pour mesurer la liberté d’expression actuelle, et peut créer une jurisprudence… dans le bon ou le mauvais sens. Personnellement, je n’en attends rien. Je n’ai surtout pas demandé à être réintégré chez France Inter, et ai été très clair sur ce point (rires) ! » 

Le spectacle « Vers l'infini... mais pas au-delà » est en tournée dans toute la France © Antoine Charlier
Le spectacle « Vers l’infini… mais pas au-delà » est en tournée dans toute la France © Antoine Charlier

Mr Mondialisation : En parallèle de toute cette actualité, tu es actuellement en tournée avec Éric Lagadec pour le spectacle Vers l’infini… mais pas au-delà. Peux-tu nous expliquer le concept ?

Guillaume Meurice : « C’est un spectacle qui se base sur une citation d’Einstein. On se demande quel est le « plus grand infini » entre l’univers et la connerie humaine… Avec Éric, on s’amuse à faire une compétition pour savoir qui gagne. Bon, j’ai de bons atouts en terme de conneries (rires) ! C’est un spectacle où on se marre en apprenant des trucs, qui est actuellement en tournée et qui fonctionne bien. Éric est astrophysicien ET marrant, donc c’est vraiment cool. » 

Mr Mondialisation : Ce sera le mot de la fin : y a-t-il une question à laquelle tu as toujours rêvé répondre, mais qu’aucun média ne t’a jamais posée ?

Guillaume Meurice : « Oh, sympa comme question. Je crois qu’on ne m’a jamais demandé si j’étais heureux. La réponse est oui ! Je m’amuse, fais plein de petits métiers sympa… Je suis un peu le Schtroumpf farceur. Être payé pour faire ce qu’on aime, c’est quand même super chouette. J’aurais du mal à me plaindre. » 

– Entretien réalisé par Marie Waclaw


Source image d’en-tête : ©Magali R

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