De plus en plus de projets industriels sont justifiés au nom de la transition écologique, souvent pilotés par de grandes entreprises en quête de rentabilité. Sous couvert de produire de l’énergie « verte », des territoires sont bétonnés, déboisés, transformés sans véritable concertation. Dans les Hautes-Alpes, une forêt est aujourd’hui menacée par l’installation d’un parc photovoltaïque. Face à cela, un collectif local se mobilise pour défendre le vivant et repenser la transition énergétique autrement.
À la Roche-des-Arnauds, dans les Hautes-Alpes, une forêt vivante est en sursis. Ciblée par un projet photovoltaïque industriel porté par la société Valorem, cette parcelle boisée – peuplée d’espèces protégées pourrait être rasée au nom d’une transition énergétique mal pensée.
Ainsi, l’association locale Les Sérigons Terre Vivante se bat pour défendre ce lieu, en interrogeant les logiques d’aménagement imposées sans réelle concertation, et en rappelant que les énergies renouvelables ne doivent pas servir de prétexte à artificialiser encore davantage les milieux naturels. Ici, des artistes, des voisins, des amoureux du vivant qui refusent de voir leur territoire livré au plus offrant. Entretien avec Laure de Swarte, membre de cette association à la croisée de l’écologie populaire et de la création artistique.
Mr Mondialisation : Laure, qui êtes-vous ?
Laure de Swarte : « Je suis musicienne, artiste et professeure de piano en école de musique. Je fais aussi partie d’une compagnie qui fait du spectacle vivant T’es rien sans la terre, qui sensibilise à l’environnement, et récemment aux questions liées aux handicaps et aux migrations. J’ai eu la chance de connaître l’association Les Sérigons terre vivante via les événements artistiques prévus pour préserver la forêt de Serigons.»

Mr Mondialisation : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la naissance du projet, son contexte et ses aboutissements ?
Laure de Swarte : « Avec mon conjoint, Robert qui fait également partie de l’association, nous sommes arrivés dans la région en 2018. En 2019, la société Valorem, société française spécialisée dans les installations de production d’énergie renouvelable, a démarché la mairie de la petite commune de La-Roche-des-Arnauds, qui compte 1800 habitants.
La proposition d’implanter du photovoltaïque sur 7 hectares et de verser en contrepartie 20 000 euros chaque année à la commune a d’emblée séduit le maire. Attention, ici, il n’y a aucun jugement, les maires font leur travail du mieux qu’ils le peuvent, à l’ancienne, sans forcément avoir une grosse culture environnementale. Nous ne sommes pas un cas isolé, et dans la balance biodiversité versus énergie, ils doivent se dire “Ohh ça va ramener de l’argent et c’est écolo, c’est super.«
De notre point de vue, c’est une forme d’abus de confiance de la part des promoteurs, car les petites communes donnent facilement leur accord à des projets comme celui-ci ; un peu comme les agriculteurs à qui l’on propose d’installer sur leur parcelle du photovoltaïque, qui peuvent être amenés à penser “ça va me rapporter plus que de cultiver mes salades”. Malheureusement, cela a des conséquences désastreuses pour l’agriculture vivrière.
À l’époque, lorsque nous avons eu vent du projet, le projet avait ses défenseurs et ses opposants. Certains avançaient qu’il s’agissait de jeunes pins, sans grande valeur environnementale, que ce n’était pas une grosse perte, mais cette forêt est un trésor pour l’avenir.
J’ai rallié le collectif créé à l’époque plutôt pour le côté culturel, en proposant de soutenir leurs actions par des évènements musicaux. Puis notre petit groupe a souhaité transformer le collectif en association pour avoir plus de poids : c’est comme ça qu’est né Les Sérigons Terre Vivante.
En creusant le sujet, nous avons pris conscience de nombreuses défaillances et du non-respect de certaines règles en vigueur, notamment le fait que la commune n’ait pas fait de concertations avant le lancement du projet. Ajoutons à cela le fait que l’entreprise Valorem n’ait pas suffisamment cherché d’alternatives – ce qui est exigé dans le cadre d’une installation comme celle-ci, et a balayé d’office nos propositions d’étudier un projet sur une surface non naturelle.

Tout cela a pourtant été souligné lors de l’enquête publique de 2022 sur la modification du PLU, et confirmé par l’avis de l’Autorité environnementale, bien que cet espace naturel devait être transformé en zone à urbaniser avant d’entamer l’installation des panneaux. L’enquêteur public a mentionné que ce n’était pas l’espace idéal pour ce genre de projets et a émis des réserves, d’autant plus qu’un autre parc avait été construit à 3 km. Il y a un argument massue pour les entreprises à la recherche de la meilleure rentabilité possible :
Cela coûte beaucoup moins cher de déboiser une forêt pour y implanter les panneaux photovoltaïques que de les installer sur des toits, sur un parking, ou une friche, d’où leur fâcheuse tendance de chercher ce genre d’espaces.
Suite à notre mobilisation, Valorem a dû refaire une étude d’impact, et ont dû proposer une compensation à la hauteur du préjudice écologique : la création d’une réserve intégrale dans une autre partie de la forêt communale. »
Mr Mondialisation : Pourquoi du photovoltaïque ici ?
Laure de Swarte : « Sur le département, il y a énormément d’espaces naturels, de soleil et un temps plutôt froid, ce qui est parfait pour les projets de photovoltaïques. Par conséquent, il est petit à petit grappillé par ce genre de projets montés à la va-vite.
Rien n’est pensé sur le moyen long terme, et on fait toujours au moins cher pour les entreprises. Ajoutons à cela la pression qu’exerce l’État sur les collectivités avec un objectif de multiplier par 10 les panneaux photovoltaïque d’ici 2030, et on obtient ce résultat.

Il est tellement plus facile pour un promoteur de déboiser une zone naturelle que de contacter chaque propriétaire de maisons individuelles ou de centres commerciaux… Or, nous sommes pour une énergie propre et pour le photovoltaïque, mais mieux pensés et surtout pas au détriment des espaces naturels. Notre devise est la suivante :
On préfère les chants d’oiseaux aux champs de panneaux.
Ici, dans les Hautes-alpes, la population augmente d’1 % par an et la consommation d’énergie d’1,5 %. Ces implantations permettent donc plutôt aux gens de consommer plus alors que l’enjeu est ailleurs : aidons les gens à réfléchir à consommer moins d’énergie avant de développer le parc énergétique sans trop réfléchir aux impacts. Nous sommes néanmoins conscients que la sobriété ne suffira pas, car il faudra rapidement électrifier nos usages, si l’on veut atteindre la neutralité carbone. »
Mr Mondialisation : Y a-t-il des espèces particulièrement menacées dans cette forêt ?
Laure de Swarte : « L’impact global est qualifié de “modéré à important”. A minima, le grand rhinolophe, une chauve souris protégé, l’écureuil roux et peut-être la salamandre tachetée, bien qu’on en ait vue qu’une fois avec la LPO – sont menacés. Côté faune, il y a l’astragale d’autriche. Ces animaux ont leur importance dans la préservation de la forêt.

Nous avons tendance à nous focaliser sur les espèces menacées, alors qu’il y a aussi toute la faune habituelle, comme les blaireaux, les renards et les oiseaux qui ont toute légitimité à vivre ici même s’ils sont en plus grand nombre. Seules 8 demi-journées d’observations ont été faites par le bureau d’études chargé de l’étude d’impact, ce qui ne permet pas d’avoir une vraie visibilité. Il y a probablement plus d’espèces qu’on ne le croit à protéger. »
Mr Mondialisation : Pourquoi cette implication dans le projet ? Qu’est-ce qui vous a poussé vers celui-ci et pas un autre ?
Laure de Swarte : « Le déclencheur, ça a été de se dire : “mais on marche sur la tête”, le non-sens politique dans ce type de choix… On a été directement confronté au fait que ces décisions soient prises de façon économique et de se dire que là, on a la possibilité de s’engager pour essayer d’empêcher ces décisions rapides mal pensées et destructives.
Ce qui nous a fait rager aussi, c’est que ces espaces sont protégés par la loi montagne, par exemple, mais pour chacune de ces lois environnementales, il y a des dérogations qui sont systématiquement accordées. Or si des lois existent, ce n’est pas pour qu’on y déroge pour des raisons financières. »
Mr Mondialisation : Votre voie a-t-elle été entendue par les collectivités concernées ?
Laure de Swarte : « Au niveau de la mairie, pas du tout ! Ce sont deux visions qui s’affrontent : un homme de 80 ans avec une vision à l’ancienne de patriarche ; et la nôtre, qui est davantage dans une logique de préservation. C’est vraiment de la méconnaissance totale des enjeux écologiques et on ne peut pas lui en vouloir.
En ce moment se déroule une deuxième enquête publique, avec plus de 150 participations qui s’opposent à ce projet à partir du recueil des informations citoyennes. En dernier lieu, ce sera au préfet de décider. »
Mr Mondialisation : est-ce que vous avez bon espoir que ce projet tombe à l’eau ?
Laure de Swarte : « Nous n’avons pas été entendus par la mairie, mais nous avons travaillé avec la clinique juridique de l’Université de Grenoble qui nous a donné d’importants arguments légaux pour attaquer la décision du Préfet s’il venait à y être favorable.
Nous avons aussi relevé comme risque et incohérence le fait que les arbres soient de véritables puits de carbone. Si on déboisait pour y implanter des panneaux qui chauffent jusqu’à 80 degrés – la zone peut devenir chaude et sèche et augmente les risques d’incendies. De la même manière, les risques d’inondation sont aussi amplifiés, car un tiers du parc est prévu en zone inondable.
Évidemment, aucun de ces arguments n’a été entendu par la mairie. Pourtant la forêt protège actuellement des zones habitées et l’on sait qu’avec le changement climatique, les modélisations actuelles des débits de crue ne sont plus fiables.
Ceci dit, entre la pression sociale de notre mobilisation, celle des quelques articles de presse et quelques sursauts sur les réseaux sociaux, associés aux zones de flou juridique… Nous avons pléthor d’arguments pour inciter le préfet à ne pas valider ce projet. Notre association, accompagnée par la SAPN / FNE n’hésitera pas à aller au tribunal administratif si l’autorisation est donnée par la préfecture.
En tout cas s’ils commencent à déboiser, on appellera les écureuils des Soulèvements de la Terre. »
Mr Mondialisation : Vous êtes vous inspirés d’autres luttes locales pour défendre Serigons ?
Laure de Swarte : « Pas tant que ça bizarrement, à part Amilure, qui est assez proche sur le combat et le lieu. [ndlr : AMILURE, s’est battu contre un projet de 600 hectares de photovoltaïques implantés. Le tribunal administratif de Marseille a interdit à l’entreprise de terminer ses travaux, car ils n’avaient pas cherché de lieu alternatif.] C’est très inspirant et encourageant de travailler avec cette association. C’est grâce à elle qu’il y a eu ces démarches administratives, même si la montagne a été défigurée.
Avec le collectif, on a une conscience environnementale et des valeurs, mais on n’est pas dans les réseaux militants. Autour de nous, ce n’est pas forcément des gens qui sont militants de longue date, mais le sont devenus. C’est ça qui est fait la beauté de cette association. Ce projet nous a semblé tellement absurde, à contre-courant des problématiques de notre époque que ça nous a amené à nous engager. »
Mr Mondialisation : Pour nos lecteurs, comment pourrait-on vous aider ?
Laure de Swarte : « Vous pouvez faire un don sur notre cagnotte HelloAsso et y adhérer à partir d’un euro. Lorsque l’on fait des balades artistiques, des vides greniers, etc, l’argent est récolté pour financer notre communication et nos actions.
Le 27 septembre dernier, nous avons fait une balade artistique, avec des acrobates, des musiciens, et nous avons récolté 400 euros en tout. »

Mr Mondialisation : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans une lutte locale ?
Laure de Swarte : « D’abord, je pense qu’il faut être très patient parce que c’est un combat de longue haleine. Aussi, il ne faut pas négliger les réseaux au sens large du terme, que ce soit le réseau presse, les autres associations du même type et les réseaux sociaux.
Il faut faire du liens : nous l’avons fait avec d’autres associations comme la Société Alpine de Protection de la Nature (SAPN), qui est affiliée à la France Nature Environnement (FNE), Négawatt, qui travaille sur un modèle énergétique environnemental, pour réfléchir et proposer aux institutions un modèle plus durable. On travaille aussi avec la LPO qui nous aide à identifier les espèces à défendre.
Enfin, il faut garder espoir, car on peut vite être découragé, mais petit à petit, on est repéré, on est connu et le projet avance. C’est à la portée de tout le monde : à part Robert, mon conjoint, personne n’était spécialement connaisseur, pourtant l’association a rapidement pris de l’ampleur.
Il n’y a pas besoin d’être un grand spécialiste pour s’investir.
Enfin, même pour les problématiques d’écoanxiété, la meilleure thérapie reste l’action, ce n’est pas nécessaire d’aller sauver le monde à grande échelle, et il est plus simple de s’investir sur un projet local. »
– Maureen Damman















