Hawaï est devenu une véritable zone expérimentale à ciel ouvert pour Monsanto et d’autres géants de l’agrochimie. Grand gagnant du prix “Meilleur Documentaire Environnemental” au Festival du Film Irvin 2018, le documentaire Poisoning Paradise réalisé par Pierce et Keely Shaye Bosnan expose ce que le touriste moyen ne verra pas en visitant l’île idyllique d’Hawaï. À quelques pas des plages de sable blanc, les autochtones sont cernés par des expérimentations en plein air de pesticides sur du maïs transgénique. Ce film nous dévoile un combat opposant les compagnies de l’agroalimentaire et de l’agrochimie à des habitants qui veulent préserver leurs écoles, familles et santé du danger que ces industries font penser sur eux.
Un film poignant sur les îles paradisiaques d’Hawaï
Pierce Brosnan (l’ex-007) et Keely Shaye Brosnan sont des locaux de Kauai, une île de l’archipel d’Hawaï surnommée “Le Jardin” de par son authenticité : c’est en effet la moins développée commercialement parlant alors que cascades, routes panoramiques et plus de 60 plages y façonnent un paysage idyllique. Un véritable coin de paradis, en apparence préservé, mais qui se voit peu à peu empoisonné. En effet, dans cet espace reculé, des multinationales viennent tester un florilège de pesticides en pleine nature avant leur commercialisation dans le monde entier. C’est devant la prolifération des expérimentations chimiques et des traitements aux pesticides sur l’île que le couple a voulu exposer cette réalité dans son documentaire : Poisoning Paradise. Objectif : ouvrir les yeux des voyageurs occidentaux qui ignorent le plus souvent ce qui se déroule sur ces îles, loin des villas et grandes plages touristiques.
L’association américaine Earthjustice, qui lutte pour la protection de l’environnement, a déclaré lors de la présentation du documentaire au Festival de Malibu : “Hawaï a tranquillement subi une révolution agricole par laquelle les entreprises agrochimiques traitent les îles de l’archipel comme des champs d’essai de pesticides pour les cultures génétiquement modifiées. Mais les communautés locales s’y opposent et se battent.” En résumé, Hawaï serait devenu un champ d’expérimentation géant pour de nombreux pesticides. Inévitablement, les populations en deviennent les cobayes malgré eux.
Des nuages chimiques à proximité des écoles
Le but du documentaire est donc d’éveiller les consciences et de sensibiliser les gouvernements, surtout occidentaux, sur la situation à Hawaï afin d’effectuer un vrai changement à la source et faire pression sur ces multinationales toutes puissantes. “Nous avons pris de l’ampleur partout dans le comté, et je vais aider ce mouvement (de “protestation”, n.d.l.r) à se construire” a déclaré ainsi Keely Shaye. En effet, Hawaï semble devenu un microcosme exacerbé d’une problématique désormais mondiale.
Poisoning Paradise se penche donc sur cette faune et flore extrêmement riche et variée que portent les îles d’Hawaï. Celles-ci sont pourtant devenues, au cours des dernières décennies, un lieu de prédilection pour les grandes entreprises agrochimiques, à l’image de Monsanto, pour tester et développer de nouveaux types de plantes génétiquement modifiées et graines OGM. Mais les expériences ne s’arrêtent pas à la production et dissémination sur l’île de ces organismes, puisque ces mêmes acteurs de l’industrie agroalimentaire testent ensuite la résistance de leurs plantes modifiées face à plusieurs types de cocktails pétrochimiques, qu’ils pulvérisent ainsi dans l’air 250 à 300 jours par an, 10 à 16 fois par jour. Une partie de ces nuages chimiques se laissent porter par les vents à proximité des écoles, des résidences, des hôpitaux et des rivages protégés ou écologiquement sensibles.
« Ce qui se passe sur notre île n’est qu’un microcosme de ce qui se passe dans le reste du monde. »
Une expérimentation perpétuelle à ciel ouvert
Hawaï est une des 8 îles principales de l’État américain d’Hawaï. “Big Island” de son surnom, abrite un écosystème rare et extrêmement riche. Pendant plus d’un siècle, l’île a vécu de la production de sucre de canne, avant de s’enrichir grâce au tourisme. Mais aujourd’hui, l’agriculture et l’exportation de ses produits est en pleine expansion sur l’île : noix de macadamia, papaye, fleurs, légumes, café… Un véritable choix de maître pour développer le secteur de l’agrochimie.
C’est ainsi que Hawaï a été utilisé comme un véritable terrain d’essai pour de nouveaux produits chimiques destinés aux plantations. D’après le documentaire, plusieurs grandes entreprises agrochimiques, comme Monsanto, se sont installées sur l’île en achetant des fermes locales autrefois utilisées pour produire de la canne à sucre et des ananas. Les tests de DDT (un insecticide) sur les cultures dès les années 50 ont entraîné la contamination des eaux et de la terre dans plusieurs communes. À partir des années 60, de vastes zones de végétation ont ainsi subi les tests de “l’agent Orange”, un herbicide hautement toxique responsable d’une véritable catastrophe humanitaire pendant la guerre du Vietnam. À chaque époque, la nature d’Hawaï et sa population vont ainsi subir leur lot de tests.
“Il y a eu des cas documentés de pulvérisations de pesticides transportées par les brises sur les terrains d’école, les enfants tombaient malades et devaient être hospitalisés. Ils ne pouvaient même pas être traités correctement par les soignants, car les entreprises chimiques refusent de divulguer quels produits chimiques ils utilisent.” témoigne un expert. D’après le documentaire, des études ont déjà démontré que ces substances chimiques étaient responsables d’une gestation plus courte chez les femmes enceintes, avec des bébés au poids de naissance plus faible, une baisse du Q.I et différents problèmes respiratoires.
Mais le documentaire nous fait également découvrir une population en résistance. Des activistes locaux luttent pour défendre les îles de Hawaï et tentent de combattre la corruption politique, les intimidations corporatives et la dissimulation systématique des produits utilisés par l’industrie agrochimique. “Les entreprises achètent généreusement les politiciens locaux et étatiques. Par conséquent, aucune réglementation n’a jamais été adoptée par l’État. Il n’y a même pas de zones “protégées” ou “barrières” à côté des écoles.” explique l’un d’eux.
L’un des environnements les plus toxiques de toute l’agriculture américaine
Ainsi, des études analytiques ont identifié le “latrazine” – un puissant herbicide – comme l’un des produits chimiques les plus nocifs sur le marché, connu notamment pour avoir un impact sur l’architecture du cerveau en développement. Et il est diffusé à côté d’écoles, et donc d’enfants. Pour Keely Shaye Brosnan, qui a grandi à Oahu et se sent très concernée par cette problématique, le seul moyen de faire bouger les choses, c’est de s’attaquer au principal revenu de Hawaï : le tourisme. “Il n’a qu’une centaine d’emplois créés par l’industrie agricole OGM, sa contribution globale à l’économie de l’État n’est qu’une goutte d’eau comparée au seau que rapporte le tourisme : une industrie de 15 milliards de dollars par an !”, explique-t-elle. “Par conséquent, la seule chose qui pourrait finalement motiver l’État à faire quelque chose, c’est si l’utilisation de ces pesticides menace le tourisme.” En effet, qui voudrait visiter une région en sachant que les géants de l’agrochimie y testent des produits chimiques dont certains sont dangereux ?
Faire contrepoids dans la balance
Alors que le film de Keely Shaye et Pierce Brosnan a fait le tour des festivals de documentaires, celui-ci est actuellement diffusé au Festival du film et forum international sur les droits humains de Genève jusqu’au 18 mars 2018, la réalisatrice salue le courage de toutes les personnes qui ont prêté leurs voix au documentaire. “Les entreprises chimiques disent qu’elles doivent faire cette recherche pour pouvoir «nourrir le monde», mais elles ne font que nourrir leur propre portefeuille. Aucune des entreprises chimiques n’accepterait d’être interviewée.”
“Beaucoup de personnes interviewées dans le film ont été très courageuses et ont parlé à leurs risques et périls.”
« Comme le dit le Dr Sylvia Earle dans le film, ces expériences devraient être faites dans des systèmes fermés comme des serres scellées, pas à découvert », a déclaré Keely Shaye lors d’une interview. « Nous devons exiger des informations du registre national des anomalies congénitales. » insiste-t-il.
Alors comment s’en sortir ? Pour Keely Shaye, la seule solution qui s’offre à nous, c’est de “voter avec son portefeuille”, notamment en boycottant tous les produits Monsanto et les fruits et légumes obtenus de manière générale par des cultures OGM, et de privilégier le bio en magasin. Face au manque d’intervention des gouvernements, rendant toute évolution structurelle difficile voire impossible, le photographe Mathieu Asselin – qui nous a dévoilé l’été dernier les dégâts de Monsanto au Vietnam avec une série de photos effrayantes – nous confiait : “en tant que consommateurs, on a un pouvoir incroyable que l’on n’utilise pas. C’est celui de dire : vos produits, je n’en veux plus chez moi. Ils pourraient s’effondrer du jour au lendemain. Le véritable pouvoir, c’est celui des consommateurs, plus que les journalistes ou les photographes.”
Photographie : Keely Shaye Brosnan et Pierce Brosnan présents pour la projection du film ‘Poisoning Paradise’ en 2017 à Honolulu.
Moro
Sources : Poisoning Paradise.com / The Malibu Times / Mr Mondialisation / Le FIFDH 2018
Article gratuit, rédigé de manière 100% indépendante, sans subvention ni partenaires privés. Soutenez-nous aujourd’hui par un petit café. ?