Alors que les citoyens vivent de plus en plus difficilement les mesures de confinement, de nombreux animaux vivent au quotidien une restriction de liberté encore plus totale. La captivité dans les zoos est ainsi dénoncée par de nombreuses associations qui militent pour le bien-être animal. Face à cette opposition, les parcs animaliers n’hésitent plus à porter plainte contre ce qu’ils considèrent comme des « campagnes de dénigrement ». C’est ainsi que la justice belge a condamné Jean-Michel Stasse, président et fondateur de l’association Wolf Eyes, à des dédommagement et astreintes de plus de 200 000 euros ! Ce défenseur de la cause animale est également poursuivi pénalement, et risquerait la prison pour ses actions militantes. Explications.
En août 2018, une vidéo fait le buzz sur les réseaux sociaux. En pleine période de canicule, elle expose la souffrance des ours polaires du Monde Sauvage d’Aywaille, un zoo bien connu de la province de Liège, en Belgique. Sous un soleil de plomb, ces animaux du grand nord longe inlassablement le petit bassin, arpentant sans cesse leur banquise de béton, répétant les mêmes mouvements pathologiques. Une scène malheureusement répandue dans de nombreux zoos à travers le monde, où des animaux subissent un climat auquel ils sont inadaptés, retenus dans des enclos souvent trop petits en dépit des soins apportés.
« Les trois ours polaires font les cent pas dans un enclos sans aucune ombre, déplorait Jean-Michel Stasse, fondateur de l’association Wolf Eyes dans La Meuse, un journal local. Ils ne vont même pas nager dans leur bassin car l’eau est trop chaude. Les gardiens les arrosent ou leur donnent de la nourriture dans des glaçons mais c’est nettement insuffisant. Ce sont des animaux qui, au maximum, connaissent des températures de dix degrés dans leur milieu naturel. Leur situation est catastrophique et je l’ai dénoncée au ministre Carlo Di Antonio (ndlr : l’ancien ministre wallon du bien-être animal). » Le lanceur d’alerte ne savait pas ce qui l’attendait…
L’argument de la conservation des espèces
A l’époque, les exploitants avaient réagi en dénonçant vivement ces déclarations. « S’ils avaient trop chaud au soleil, ils ne sortiraient pas de leur refuge dont les portes restent ouvertes. Et pourtant, ils sortent. Les gardiens passent quatre ou cinq fois par jour avec des lances d’arrosage et bien souvent, ils ne viennent pas en profiter » déclarait ainsi Ronald Renson, responsable du Monde Sauvage d’Aywaille, qui insistait sur les capacités d’adaptation exceptionnelles des ours polaires. L’exploitant met également en évidence l’appartenance du zoo à l’association internationale EAZA, qui exige de ses membres certaines conditions de détention animale.
L’argument de la conservation des espèces est bien évidemment lui aussi invoqué. Il s’agit d’un argument classique opposé aux partisans de la lutte contre la détention animale. Ces derniers avancent de leur côté que la seule politique de conservation des espèces qui soit efficace et respectueuse du bien-être animal passe par la protection de leur habitat naturel. Peu convaincu par les déclarations du zoo, Jean-Michel Stasse a lancé une pétition en ligne adressée au ministre, demandant de s’assurer du bien-être des ours. Elle a rapidement atteint plus de 100 000 signatures, et son combat a été rejoint par deux soutiens de poids.
Un combat élargi à plusieurs zoos belges
Rémi Gaillard a en effet exprimé sa solidarité avec cette cause, touchant ainsi des millions de personnes, tout comme la fondation Brigitte Bardot qui a également interpellé les autorités pour leur demander d’interdire tout simplement la détention des ours polaires en Belgique, ces animaux n’étant pas fait pour vivre sous ces latitudes. Entre-temps, une équipe de l’Unité Wallonne du Bien-être animal (UBEA) a été envoyée sur place. Les experts auraient constaté l’absence de comportement anormaux et la bonne santé des ours, notant que toutes les normes légales étaient respectées. Le rapport concluait ainsi qu’ « il n’y a rien d’alarmant et aucune raison d’intervenir », comme l’indique le journal La Meuse.
Ces conclusions qui contredisent les témoignages vidéos n’ont pas découragé Jean-Michel Stasse, qui dénonce un rapport trompeur d’un organisme trop indulgent. Son association a donc produit une autre étude sur les ours polaires, qui insiste sur le danger représenté par leurs conditions de captivité. Ce combat a pris une nouvelle dimension avec le projet « Terre du froid » de Pairi Daiza, un autre parc animalier bien connu en Wallonie. Le zoo a également accueilli des ours polaires au mois de mars de cette année, malgré une nouvelle pétition de Wolf Eyes et une manifestation organisée devant le parc. Sur les réseaux sociaux, Jean-Michel Stasse dénonce également régulièrement le traitement infligé aux grands mammifères (tigres, ours bruns ou encore pumas) dans un troisième zoo belge, celui de Bouillon, aux enclos jugés trop réduits. Les ours blancs étant très populaires, ils attirent surtout énormément de touristes.
Des zoos qui réclament un dédommagement
Face à cette opposition sans relâche, les exploitants ont décidé de saisir la justice pour s’attaquer au lanceur d’alerte. Après une première procédure judiciaire en juillet 2019 qui avait conclu que cette contestation relevait de la simple liberté d’expression, le tribunal de première instance de Liège vient de rendre son verdict. Il condamne Jean-Michel Stasse au règlement d’un dédommagement de 10 000 euros au Monde Sauvage d’Aywaille, en compensation du préjudice subi par le zoo suite aux nombreuses publications dénigrantes sur les réseaux sociaux.
Celles-ci auraient occasionné une perte de chiffres d’affaires pour le parc animalier, qui réclamait à ce titre 25 000 euros de dédommagement. Jean-Michel Stasse a également été condamné à épingler une publication reprenant le jugement sur la page Facebook de l’association pendant 90 jours. Le président de Wolf Eyes et son avocat ont déjà exprimé leur volonté de faire appel du jugement, estimant que cette opposition aux zoos s’inscrit dans la liberté d’expression.
La provenance des rhinocéros remise en question
Mais Pairi Daiza a également décidé de poursuivre Jean-Michel Stasse en justice. En cause, des publications jugées mensongères par le parc animalier. Il s’agit notamment des liens mis en évidence entre Eric Domb, dirigeant du zoo, et Philippe Vastapane, un chasseur de trophées et entrepreneur qui possèdent plusieurs fermes de chasse et d’élevage en Afrique du Sud. Si Jean-Michel Stasse affirme n’avoir jamais précisé la provenance des rhinocéros, Eric Domb l’accuse de calomnie pour avoir sous-entendu qu’ils viendraient d’une ferme de chasse, alors qu’ils proviennent selon lui d’une ferme d’élevage consacrée aux espèces menacées.
Les deux exploitations appartiennent toutefois à Philippe Vastapane, dont l’amitié avec le patron de Pairi Daiza semble avérée, ce qui laisse suggérer aux détracteurs du zoo une certaine perméabilité entre les fermes. Quoiqu’il en soit, plusieurs jugements en référé du tribunal civil de Mons au cours de l’année 2019 ont condamné Jean-Michel Stasse à supprimer les publications en question, sous peine d’astreintes conséquentes. Malgré un nettoyage de la page Facebook de Wolf Eyes, Pairi Daiza a décidé de faire acter le non-respect des jugements et a exigé le paiement des astreintes. Au final, Jean-Michel Stasse sera condamné à payer 216 700 euros. Une somme délirante qui vise à détruire la vie privée du lanceur d’alerte et donc ses activités militantes.
Le même dossier sera également jugé devant le tribunal pénal de Mons en février, et le président de Wolf Eyes indique risquer la prison. « Ils essayent par tous les moyens de me faire taire et de me faire renoncer à cette noble cause qu’est la lutte anti-zoo », résume Jean-Michel Stasse, qui fait également état d’autres pressions au niveau privé. Si l’objet de ces jugements, rappelons-le, n’est pas le bien-fondé ou non de la détention d’animaux sauvages loin de leur contexte naturel de vie, la justice belge a donc décidé de condamner la libre contestation et les critiques répétées à l’encontre des zoos de la part d’un fervent défenseur de la cause animale, pour qui une vie en captivité n’est tout simplement pas une vie digne pour les animaux sauvages.