Des chercheurs de l’Université d’Australie Occidentale ont récemment annoncé avoir découvert la plus grande plante connue de la planète dans la baie des requins, située à environ 800km de la ville de Perth. L’étude publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B[1] révèle que cette plante n’est autre qu’une Posidonia australis, algue marine commune au large des côtes australiennes, et s’étend sur l’équivalent d’environs 20 000 stades de rugby. Vielle de 4 500 ans, ce vestige écologique a en partie survécu aux évènements climatiques extrêmes de ces dernières années, mais pourrait malheureusement périr si la température globale des océans continue à augmenter. Cette découverte nous rappelle l’importance de nos écosystèmes et l’urgence de les protéger contre les effets du changement climatique.
Dans la baie des requins, patrimoine écologique au large de la côte ouest australienne, des scientifiques ont récemment fait une découverte surprenante qui nous révèle une fois de plus les richesses insoupçonnées du monde naturel. Alors en quête d’étudier les différentes plantes présentes dans une immense prairie marine de la baie, l’empreinte génétique des échantillons prélevés a révélé que l’ensemble de l’herbier marin était en réalité constitué d’un unique spécimen.
Poussant comme une pelouse, la Posidonia australis, ou ruban de Poséidon, s’étend généralement à un rythme pouvant atteindre jusqu’à 35 cm2 par an. Dès lors, couvrant pas moins de 200 km2, soit environ trois fois la taille de l’île de Manhattan, cette algue, aujourd’hui considérée comme étant la plus grande plante de la planète, serait vieille d’environ 4500 ans.
Située dans un environnement unique, très peu perturbé par les activités humaines et largement protégé des houles océaniques, cette plante a longtemps bénéficié d’un environnement favorable à son développement :
« Pourtant sujette à de grande variation de températures et de salinités, ainsi qu’à un taux de luminosité extrêmement élevé, elle semble particulièrement résiliente face à ces conditions habituellement stressantes pour la plupart des plantes »[1], s’est réjouie Elizabeth Sinclair, l’une des auteures de l’étude annonçant cette découverte.
Une génétique particulière
La résilience de la P. australis pourrait potentiellement résider dans son empreinte génétique. Contrairement à de nombreux organismes qui se reproduisent pas voie sexuée, d’autres utilisent des techniques de clonage. Ainsi, organisme polyploïde, cette plante marine possède le double du nombre classique de chromosomes.
« Les organismes diploïdes, comme vous et moi, n’héritent que de la moitié du génome de leurs parents, alors que cette algue en possède la totalité. Nous pensons dès lors que posséder l’ensemble des gènes qui l’ont aidé à survivre dans son environnement actuel , ainsi que ceux qui pourraient l’aider à s’y adapter, lui ont donné un avantage pour survivre aux conditions variables de la baie des requins »[2], explique le Dr. Sinclair.
En effet, certaines zones ont un taux de salinité deux fois plus élevé qu’ailleurs dans la baie, et dans l’ensemble de cette dernière, on peut enregistrer des variations de température allant de 15 à 30° C.
Pour le Dr Martin Breed, écologiste à l’Université Flinders, cette résilience est au contraire une véritable énigme. En effet, « Les plantes qui n’ont pas de sexe ont tendance à avoir une diversité génétique réduite, ce dont elles ont généralement besoin pour faire face aux changements climatiques »[3], a-t-il déclaré. Il ajoute toutefois que la plante a développé des mutations génétiques très subtiles en fonction de l’endroit où elle poussait, ce qui pourrait donc expliquer son extrême longévité.
Concernant l’espérance de vie de cette herbe marine, des études génétiques sur d’autres espèces similaires ont révélé que ces plantes pouvaient effectivement vivre entre 2000 et 100 000 ans. « Les plantes du type de la P. australis ont un modèle de croissance polyvalent qui contribue cette longue durée de vie. Elles peuvent se développer vers des parcelles riches en nutriments, se déplacer vers des zones propices à leur croissance , et ainsi s’éloigner des régions stressantes »[4], a expliqué Kathryn McMahon, professeure à l’université Edith Cowan et spécialiste des herbiers marins.
Hélas, le changement climatique pourrait menacer l’avenir de ce trésor écologique.
Un rôle écosystémique fondamental
Les herbes marines sont des plantes qui forment de véritables prairies marines dans les zones peu profondes le long des côtes. Ces dernières sont de véritables alliées dans la lutte contre le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité en offrant des services écosystémiques essentiels[5]. Ainsi :
- Elles servent d’habitat et de nurserie, et représentent une source de nourriture pour une grande variétés d’espèces marines ;
- protègent les côtes en absorbant l’énergie houlomotrice, soit l’énergie des vagues ;
- Participent à la production d’oxygène ; et surtout
- Constituent de véritables puits de carbone.
En effet, bien qu’occupant seulement 0.2% des fonds marins, les prairies marines représentent 10% de la capacité de stockage du carbone par nos océans, et peuvent capturer 15 fois pus de carbone de l’atmosphère et jusqu’à 35 fois plus rapidement que les forêts tropicales[6].
Toutefois, l’impact du changement climatique, l’urbanisation, le développement des activités humaines dans les zones côtières, et la dégradation de la qualité de l’eau due à la pollution d’origine anthropique accélèrent le déclin des herbiers marins, avec des pertes enregistrées similaires à celles des récifs coralliens et des forêts tropicales.
Dans la baie des requins, l’extrême vague de chaleur marine qui a touché l’Australie de 2010 à 2011 a par exemple endommagé environ 36% de la pairie de P. australis :
« Ces dommages sont susceptibles d’avoir libéré dans l’atmosphère une grande partie du carbone qui y était enfermé. Par ailleurs, la baie abrite une mégafaune exceptionnelle telle que des dugongs, des tortues, des dauphins et des milliers d’espèces de poissons. Une fois que l’herbe marine disparait, l’ensemble de la biodiversité d’un niveau trophique supérieur est impactée, et donc menacée » rappelle Jane Edgeloe, doctorante et auteure principale de l’étude.
Alors que 159 pays signataires de l’accord de Paris abritent des prairies marines sur leurs côtes, le développement de politiques ambitieuses de protection et de restauration de ces écosystèmes marins paraît fondamental pour lutter contre les effets du réchauffement climatique.
– W.D.
[1] Turnbull, T.,” World’s biggest plant discovered off Australian coast” in BBC News, 1 juin 2022, disponible sur: https://www.bbc.co.uk/news/world-australia-61655327
[2] Ashworth, J., “The world’s largest plant is an Australian seagrass clone” in Natural History Musuem News, 1 juin 2022, disponible sur: https://www.nhm.ac.uk/discover/news/2022/june/worlds-largest-plant-australian-seagrass-clone.html
[3] Readfearn, G. “Scientists discover biggest plant on Earth off Western Australian Coast” in The Guardian, 1 juin 2022, disponible sur: https://www.theguardian.com/environment/2022/jun/01/what-the-hell-australian-scientists-discover-biggest-plant-on-earth-off-wa-coast?CMP=fb_gu&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1654063547
[4] Ibid., https://www.theguardian.com/environment/2022/jun/01/what-the-hell-australian-scientists-discover-biggest-plant-on-earth-off-wa-coast?CMP=fb_gu&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#Echobox=1654063547
[5] WFF, Planting Hope :Seagrass, disponible sur : https://www.wwf.org.uk/what-we-do/planting-hope-how-seagrass-can-tackle-climate-change ; The Wildlife Trusts, Natural solutions to the climate crisis – Super seagrass, disponible sur: https://www.wildlifetrusts.org/natural-solutions-climate-change/seagrass
[6] UNEP, Seagrass – secret weapon in the fight against global heating, 1 novembre 2019, disponible sur: https://www.unep.org/news-and-stories/story/seagrass-secret-weapon-fight-against-global-heating
[1] Edgeloe, A., Extensive polyploid clonality was a successful strategy for seagrass to expand into a newly submerged environment, Proceedings of the Royal Society B, 1 juin 2022, disponible sur: https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rspb.2022.0538