Le rapport 2016 de l’ONG Human Rights Watch, spécialisée dans la défense des Droits de l’Homme, condamne fermement le virage sécuritaire que prend l’Union Européenne. Restreindre les droits humains pour lutter contre le terrorisme serait la réponse la moins adaptée à la tentative des terroristes d’ébranler les institutions. Au contraire, cette politique remplirait les objectifs des groupes terroristes.
Le terrorisme, par définition, est l’emploi de la terreur à des fins politiques, religieuses ou idéologiques. En effet, les terroristes du 13 novembre 2015 n’avaient pas pour ambition de tuer chaque femme, chaque enfant et chaque homme de France, mais d’instaurer un climat de terreur par un acte sanglant et une extrême violence gratuite. Une terreur assez forte pour diviser les nations et créer un contexte qui leur est favorable. Inévitable, cette terreur s’est naturellement propagée dans les esprits, mais également, dans les sphères politiques qui devraient pourtant faire preuve de plus de retenue. L’afflux simultané de réfugiés fuyant l’horreur syrienne, parsemé d’amalgames et de faits divers, a gonflé ces peurs. Nombre de pays n’ont ainsi pas hésité à céder à la terreur en s’attaquer aux libertés individuelles tout en prétextant lutter contre elle. C’est ce non sens qui est aujourd’hui dénoncé par le dernier rapport annuel de l’organisme Human Rights Watch.
Un recul inquiétant et généralisé
Les 659 pages du document passent en revue près de 90 pays dans leur orientation politique au cours de l’année 2015. Le bilan a de quoi inquiéter les défenseurs des libertés et des droits humains déjà si souvent bafoués. En pratique, ce sont des figures politiques qui se replient « à droite » et dont les décisions virent au sécuritarisme. Nombre de minorités, d’associations et de militants vont faire indirectement les frais de ces dérives au nom de la sécurité. Partout à travers le monde, les gouvernements les plus autoritaires, autant que ceux démocratiques, ont entamé contre des militants et des organisations ce que l’ONG nomme « la plus intense vague de répression de ces dernières années« .
L’organisme constate également que ces atteintes répétées au droit à la vie privée ne renforcent pas de manière manifeste la lutte contre le terrorisme. Ainsi, le rapport souligne que pour nombre d’attentats perpétrés dernièrement en Europe, les auteurs étaient déjà connus des autorités. Ceci signifie donc que le problème ne se trouve pas dans le manque d’informations détenues par les gouvernements ou un trop plein de liberté des citoyens. « Cela laisse à penser que ce qui est nécessaire n’est pas un surcroît de données de masse mais une plus grande capacité à suivre des pistes ciblées » relève Human Rights Watch.
Le cas du Danemark constitue également un basculement symbolique au niveau Européen. Le groupe juge la récente réforme du pays, obligeant les policiers à confisquer les effets personnels de valeurs détenus par les migrants, « méprisable » et « purement vindicative », les demandeurs d’asile fuyant eux-mêmes la terreur. « Ces reculs [des droits humains] menacent les droits de tous, sans pour autant mener clairement à une meilleure protection des citoyens. » a exprimé Kenneth Roth, directeur exécutif Human Rights Watch. Et pour cause, en recourant à cette marginalisation légalisée de populations désabusées, le Danemark ne risque-t-il pas d’engendrer des frustrations inutiles tout en faisant des réfugiés les boucs émissaires d’un terrorisme qu’ils fuient ?
Europe, Asie, Amériques, aucune région épargnée
Par ailleurs, la stigmatisation des immigrés et des minorités apparait comme un très mauvais calcul à long terme. En effet, HRW note que les terroristes puisent leurs recrues dans l’animosité générée par la division et les conflits communautaires. Engendrer de la stigmatisation est donc une réponse contre-productive et passablement génératrice de ressentiments chez certains individus. L’Europe est également pointée du doigt dans sa gestion de la crise des migrants en méditerranée. Là encore, plutôt que d’abandonner les individus à leur sort, une gestion organisée et ordonnée de l’afflux aurait non seulement permis d’éviter des vies perdues en mer tout en permettant aux services d’immigration de réaliser des contrôles et donc de réduire les risques en matière de sécurité.
Mais l’occident ne fut pas seul à s’abandonner au sécuritarisme en 2015. D’autres grandes puissances économiques comme la Russie et la Chine ont allègrement porté atteinte aux libertés. Le gouvernement Russe aurait notamment opéré la dissolution de groupes critiques de son gouvernement alors que la Chine faisait emprisonner des avocats et militants des Droits de l’Homme. Des actes qui n’avaient pourtant plus été constatés depuis longtemps, précise Human Rights Watch. La Turquie s’est, à son tour, tristement fait remarquer par une répression systématique ciblant, outre les Kurdes, des opposants politiques, militants, magistrats et médias critiques à l’égard du gouvernement Erdogan. Une fuite en avant qui risque de se perpétuer en 2016 alors que deux journalistes d’un journal d’opposition risquent la prison à vie.
Une note positive
De ce sombre tableau, l’ONG note tout de même quelques évolutions positives en 2015. Les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (LGBT) ont fait « un pas de géant » vers l’égalité même si ceux-ci restent très marginalisés et réprimés dans de nombreux pays. Il est désormais possible pour deux personnes de même sexe de se marier en Irlande, aux USA et au Mexique. Dans le même temps, l’homosexualité fut dépénalisée au Mozambique. Malgré ces quelques apports, les Droits de l’Homme semblent plus que jamais reculer à l’échelle mondiale pour le plus grand bonheur des mouvements réactionnaires et d’extrême droite qui, quand ils ne sont pas déjà au pouvoir, gagnent du terrain de manière inquiétante, puisant leur pouvoir dans la confusion et la peur généralisée.
« La sagesse inscrite dans le droit international relatif aux droits humains donne la direction indispensable aux gouvernements qui cherchent à assurer la sécurité de leur nation et à servir leur peuple le plus efficacement possible », conclue Kenneth Roth. « C’est à nos risques et périls que nous l’abandonnons. »
Sources : hrw.org / lalibre.be / euronews.com / Image à la une : Zalmaï pour Human Rights Watch / Illustration : Nawak