La sécurité sociale telle que nous la connaissons en France ou en Belgique est-elle un bien commun sur le point d’être éradiqué ? Face aux multiples attaques néo-libérales sous prétexte d’austérité et de compétitivité, trois acteurs belges du milieu de la santé ont lancé une pétition pour inscrire le dispositif au patrimoine mondial de l’UNESCO. Explications avec Simon Vandamme, salarié au sein de la mutualité belge Solidaris qui est à l’origine de cette démarche pour le moins originale.

Mr Mondialisation : Pourquoi défendre le système de Sécurité sociale belge et en quoi se distingue-t-il ?

Simon Vandamme : Ce que nous souhaitons défendre c’est l’idéal social qu’il représente, et qui se retrouve dans d’autres systèmes de Sécurité sociale. Ce que nous mettons en avant c’est sa philosophie plus que son fonctionnement administratif.

Son modèle de fonctionnement solidaire qui veut que chacun cotise selon ses moyens et reçoive selon ses besoins est aujourd’hui le seul à garantir l’égalité entre les bien portants et les malades, les plus jeunes et les plus vieux, les plus pauvres et les plus riches.

Défendre ce système de répartition solidaire nous semble indispensable, en Belgique, mais pas seulement. Si d’autres pays souhaitent rejoindre la cause, on sera ravi de ne pas être seul. La Sécurité sociale, symboliquement, c’est bien plus qu’un système, c’est un véritable choix de société.

En filigrane c’est la question que soulève notre démarche : dans quel monde souhaitons nous vivre ?

La Sécurité sociale qu’elle soit Belge ou qu’elle vienne d’ailleurs, se distingue par ce qu’elle représente : une force populaire, un intrus dans les parlements, un citoyen chez les dirigeants, l’agneau dans la meute de loup.

C’est sans doute ce qui fait qu’aujourd’hui on assiste perplexe à la déconstruction progressive de ce modèle de direction solidaire, qui a toujours été le vilain petit canard des institutions politiques. Pierre Bourdieu rappelait que « L’histoire sociale enseigne qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer », entendons ici, que politique et sociale ne font pas bon ménage, et que le mouvement social est nécessaire pour faire vivre la solidarité à l’échelle d’un état.

Mr Mondialisation : Ce modèle est donc menacé aujourd’hui ?

Simon Vandamme : Malheureusement ce système est de plus en plus menacé… Pas seulement en Belgique d’ailleurs. La plupart des pays ayant adopté un système de Solidarité actif comme celui de la Sécu, voient aujourd’hui la force de ces systèmes s’effriter au profit d’une marchandisation grandissante. Regardez ce qu’il s’est passé outre-atlantique après l’élection de M. Trump… Combien de temps aura-t-il fallu pour démanteler l’Obama Care ? Il ne faut pas oublier que la Sécurité sociale est une construction populaire, issue de la classe ouvrière, ce n’est pas la classe la mieux représentée au niveau des états ces dernières années. On sauve facilement des banques ou des grandes entreprises en péril, pas la Sécu.

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La liste des menaces est longue, mais nous pouvons citer trois points qui pèsent lourd :

1. Toujours plus d’austérité :
Pour faire face aux diverses « crises économiques », les gouvernements successifs ont mis en place à des degrés divers des politiques d’austérité attaquant directement la Sécu et son mode de financement. L’État, cherchant à faire des économies va piocher dans un bien commun qui appartient à tous.

2. Toujours plus de compétitivité :
Aujourd’hui, la plupart des gouvernements européens sont favorables à la diminution des cotisations patronales, un des principaux canaux de financement de la Sécu. Quitte à oublier que ces prétendues « charges sociales » sont avant tout un salaire brut qu’il faudrait donc réduire pour rendre les entreprises plus compétitives…

3. Toujours plus de privatisation :
Sous couvert du mythe d’une économie néolibérale qui verrait les marchés s’autoréguler par l’introduction de la concurrence, l’État social perd de son importance au profit d’une volonté assumée de redistribuer les responsabilités de la Sécurité sociale à des groupes d’assurance privées, et par définition : pas accessible à tous.

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Ambroise Croizat l’un des fondateurs de la Sécurité sociale en France, nous prévenait déjà alors que ce système sortait tout juste de terre : « Ne parlez pas d’acquis sociaux, parlez de conquis sociaux, parce que le patronat ne désarme jamais ». C’est dire si ce système du peuple a dû s’imposer aux forceps, chez nous comme ailleurs.

À l’heure actuelle, la Sécurité sociale est menacée – menacée par certains dirigeants qui voudraient substituer ce modèle basé sur la solidarité au profit d’assurances privées (dans les soins de santé, dans les pensions…). Elle est aussi remise en question par une société de plus en plus digitale, synonyme d’autres organisations du travail et de nouvelles formes de précarisation. Avec cette action, nous ouvrons donc le débat car pour nous la Sécurité sociale participe pleinement à la cohésion sociale et au vivre ensemble.

Aujourd’hui il y a encore énormément de questions qui hantent notre civilisation moderne : Comment allons nous gérer la « crise des migrants » ? Comment arriver enfin à une égalité des sexes ? Comment consommer mieux ? Comment préserver notre environnement ? Comment sortir d’une justice à deux vitesses ? Comment mieux repartir les richesses ? Comment endiguer la pollution ? Quelles nouvelles énergies pour demain ? Peut-on nourrir toute la planète ?

Il existe pourtant une construction humaine, qui est parvenue au sommet de l’État et qui avait pour ambition de nous offrir la possibilité de répondre sereinement à ces questions, en s’assurant d’abord, de répondre à nos droits les plus fondamentaux et en garantissant l’accès à la santé pour tous, la possibilité de prendre du temps pour soi (avec les retraites et les congés payés), l’aide aux familles (avec les allocations familiales), la garantie d’une vie décente quelle que soit notre situation (avec le chômage).

Oublier cette évidence, c’est prendre le risque de devoir à nouveau se poser des questions auxquelles nous avions finalement trouvé une réponse.

Mr Mondialisation : Quels objectifs poursuivez-vous en voulant faire reconnaître la sécurité sociale belge devant l’UNESCO ?

Simon Vandamme : Entreprendre une démarche de reconnaissance de la Sécurité sociale comme patrimoine immatériel de l’UNESCO, c’est avant tout se lancer un défi d’avenir : celui de se souvenir de nos luttes passées, de porter avec fierté notre héritage philosophique, pour s’offrir le droit de rêver à un monde qui continuera d’avancer en prenant en compte les besoins de tous, en se mettant au service du groupe, de la communauté, et non de l’individu.

La Sécurité sociale, en tant qu’institution, celle qui a pu voir le jour avec le pacte social, est le symbole de cette reconnaissance de la solidarité au niveau étatique. Dans une société ou la valeur principale est monétaire, ce n’est pas anodin du tout. C’est en signant le pacte social, en donnant un nom et un statut administratif à nos pratiques solidaires, que ces dernières sont devenues légitimes, légales : officiellement constitutives de notre civilisation.

La Sécurité sociale est alors devenue l’emprunte laissée par le peuple dans la prise en main et la construction de son propre avenir.

En portant la candidature de la Sécurité sociale à l’UNESCO, c’est cela que nous souhaitons voir reconnu et préservé : la légitimité de la solidarité, le statut légal que lui offre l’appellation Sécurité sociale, la reconnaissance de son rôle actif dans notre civilisation. Cette candidature porte en elle les motivations de nos pères qui avaient pour ambition d’améliorer leur avenir. En proposant de voir la Sécurité sociale reconnue, ce que nous souhaitons, c’est que nous puissions à nouveau regarder vers l’horizon, et mettre la main sur notre avenir, parce que c’est finalement ce que symbolise la Sécurité sociale : notre moyen d’agir sur notre avenir.

L’UNESCO, c’est aussi un coup de projecteur sur la Sécu, montrer que l’on a des moyens d’agir, qu’elle compte pour tout le monde. Dans l’idéal, ce n’est pas seulement le système Belge qu’on aimerait voir reconnu, mais tous les systèmes de Sécurité sociale, parce que ces systèmes représentent une philosophie et convergent vers un même idéal : celui d’une société plus juste et plus égalitaire.

Solidarity


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