Des stickers « Stop pub ! » tapissent la majorité des boîtes aux lettres et plus de 30% des internautes utilisent un bloqueur de publicités sur Internet, contre 28,7% en 2018. Alors que le gouvernement a rejeté en octobre 2020 la proposition de Loi Evin Climat, dont le but était de réguler et interdire la publicité faisant la promotion des produits les plus polluants, le rôle de la publicité et du marketing dans la crise écologique actuelle fait débat. Alors faut-il interdire la pub, davantage la réguler, ou au contraire s’abstenir au nom d’une liberté de communication des entreprises ? Peut-on réconcilier la publicité avec les impératifs éthiques et écologiques ? Dossier.

Dans le cadre de la coalition #SauverLePrésent, qui a réuni France Culture, Le Parisien, la revue Usbek & Rica et Science & Vie Junior, le podcast « Publicité et transition écologique : changer de pratiques, parce que la planète le vaut bien… » a été diffusé en août 2021 dans le magazine environnement « De Cause à Effet ». On y entend Matthieu Orphelin, député écologiste à la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « climat et résilience » à l’Assemblée Nationale en mars 2021 (qui a été adoptée le 20 juillet de cette même année) :

« 88% des concitoyens pensent que les entreprises incitent à la surconsommation par la publicité. 80% des Français pensent que la pub sur les produits qui émettent le plus de gaz à effet de serre devrait être régulée. 75% sont favorables à la restriction de la pub pour les voitures les plus polluantes. Donc les Français et Françaises savent très bien qu’il faut réguler la publicité, bien que les politiques semblent en retard. »

Déjà en 2020, son discours n’avait déjà pas réussi à convaincre les politiques lorsqu’il présentait son projet de Loi Evin Climat. Si l’ensemble de la loi « climat et résilience » a pour but d’insérer l’écologie dans un grand nombre de domaines (transports, logements, consommation, alimentation…), l’étude de la commission portait sur un sujet plus particulier, mais tout aussi omniprésent dans notre quotidien : la publicité.

Anti-pub ?

« Moi j’assume pleinement l’interdiction des publicités par écrans vidéos numériques comme on en voit de plus en plus tapisser les espaces publiques, qui sont néfastes pour la consommation énergétique, néfastes pour les émissions de gaz à effet de serre, et enfin je me permets d’insister sur ce dernier argument : elle est mauvaise pour nos cerveaux ! »

C’est ce que déclarait Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, le 2 mars 2021 sur France Info.

Le 17 juin 2020, une action anti-pub non violente est menée par un collectif breton. Il dénonce la publicité comme rouage fondamental de l’hyper-consommation, destructrice de l’environnement et des rapports sociaux.

La critique publicitaire ne date pas de ces dernières années, au contraire. Pour Thierry Libaert, professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’Université catholique de Louvain, elle remonte à moins un siècle, mais aujourd’hui elle a changé de forme. Selon lui, on assiste à « quelque chose de totalement nouveau » : « Il y a eu une première étape où la publicité était critiquée parce qu’elle déformait le paysage, nous abêtissait. Plus récemment disons au moment du Grenelle de l’environnement 2006-7 (réunion politique ayant eu lieu en France sous la présidence de Nicolas Sarkozy, dont l’objectif était de prendre des décisions à long terme en matière d’environnement et de développement durable, ndlr), la critique principale portait sur le greenwashing : ces entreprises qui racontent n’importe quoi et survalorisent l’argument environnemental ».

Et il est vrai que le greenwashing, ou « éco-blanchiment » pose encore problème. Méthode de marketing consistant à communiquer auprès du public en utilisant l’argument écologique de manière trompeuse, surfant sur la « mode écolo », le but intrinsèque n’en reste pas moins sombre : faire acheter au consommateur un produit polluant, tout en le réconfortant d’avoir fait une bonne action, parce qu’il aura été fourvoyé. On vous parlait plus tôt de nombreux cas pointés par la Commission européenne.

Où se situe la nouveauté alors ? D’après Thierry Libaert, « Ce qui est nouveau, depuis 2017/8, c’est l’inversion totale du sujet au niveau de la transition écologique. Cela veut dire que la pub n’est plus critiquée sur ses messages mais en tant que telle du point de vue de la transition écologique, la pub en tant que telle est critiquée car sa nature même qui incite à la consommation et l’hyperconsommation ne peut plus cohabiter avec l’urgence climatique. »

Autrement dit, ce n’est plus le contenu de la publicité qui pose problème, mais l’existence même de cette dernière. À ce sujet, la revue Usbek & Rica se demandait si la solution n’était peut-être pas tout simplement de supprimer la pub, complètement. La ville de Grenoble, en France, a relevé le défi en 2014 : « Au total, ce sont 326 panneaux qui ont disparu (27 sucettes, 64 panneaux de 8 m² et 20 colonnes) pour un total de 2 051 m² d’espaces publicitaires en moins, souvent remplacés par des arbres. […] Une décision très facile à prendre, a confié le maire Eric Piolle. » (citation de l’article sur Usbek&Rica)

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La place de la gare à Grenoble, sans panneaux publicitaires. Image provenant de Google Street View, septembre 2020

Un débat qui n’est pas nouveau 

Bertille Toledano, présidente de l’agence de publicité BETC et co-présidente de l’Association des Agences-Conseils en Communication (AACC), s’exprime :

« Bien sûr qu’on sentait monter ce débat. Les régulations sur la publicité c’est pas nouveau, c’est un domaine extrêmement régulé. Sur les médias traditionnels (radio, télévision etc) on a par exemple un message qui nous annonce qu’on va rentrer dans un espace de publicité avant la diffusion de ces dites pubs, et un message de fin d’espace de publicité. Surtout en France, la publicité passe par la ARPP, une autorité de régulation de la publicité. »

Les agences de communication et de publicité pointent du doigt le coupable – selon elles – des abus et de l’exaspération de la population : le digital. Bertille Toledano explique en effet que nombres de pubs interdites sur les médias classiques sont du coup diffusées en masse via le digital, sans moyen de régulation.

Plus on en a et plus on s’en plaint. Aujourd’hui, de très nombreux consommateurs ne cessent de se plaindre du nombre de pubs sur Youtube, première plateforme de vidéos au monde, mais aussi de l’overdose de contenu sponsorisé sur les réseaux sociaux tels qu’Instagram.

« En fait, à travers la pub, on voit bien que c’est une critique beaucoup plus large d’une société de consommation qui est faite, dont on est un des signes extérieurs. » Bertille Toledano.

Rappelons que l’objectif premier de la publicité est la vente. Pour Bertille Toledano, le lien entre le marketing et la transition écologique, qui devient de plus en plus présente dans la société, montre ce hiatus avec la surconsommation.

« Là [dans la transition écologique], on prône plutôt une décroissance, ce mot qui ne fait pas plaisir. » La décroissance, en quelques mots, c’est vivre mieux avec moins. Un mouvement qui se situe à l’inverse du productivisme et de la surconsommation. Là-dessus, l’experte en marketing reprend : « On a passé, depuis les Trente Glorieuses, cinquante ans de croissance d’une société qui était portée par quelque chose qui, en fait, n’a jamais été vu comme quelque chose de positif. La terminologie de société de consommation n’a jamais été perçue par les intellectuels comme une proposition positive. »

Cependant cette société a quand même apporté à une population des choses très positives ; la majorité des gens a pu bénéficier d’un confort de vie plus élevé, se détacher de plein de tâches pénibles et chronophages pour se concentrer sur des activités qui les intéressaient davantage (loisirs, culture). En substance, il y a eu 50 années d’une société de consommation qui ont été porteuses de promesses d’un vrai bonheur.

« Une tourniquette
Pour faire la vinaigrette
Un bel aérateur
Pour bouffer les odeurs
Des draps qui chauffent
Un pistolet à gaufres
Un avion pour deux
Et nous serons heureux »

La complainte du progrès, Boris Vian, 1955. Une remise en cause de la société de consommation dès ses débuts ?

Pour Bertille Toledano, on assiste aujourd’hui à deux événements qui coïncident l’un avec l’autre :
> Les promesses de la société de consommation ont été plus ou moins tenues. C’est-à-dire que la majorité de la population est arrivée à un certain niveau de confort.
> Les gens ont basculé dans l’ordre du mieux consommer plutôt que du plus consommer, alors que le marketing reste très attaché à un imaginaire qui tend vers le toujours plus consommer.

Pour Thierry Libaert, la régulation de la publicité n’est en fait qu’un tout petit aspect dans un plus grand débat global sur le rôle que tient la publicité dans la transition écologique. Pour lui, il faut surtout se pencher sur le message publicitaire : derrière l’incitation à la vente, la publicité nous dit que la consommation nous mène au bonheur. Les deux mots les plus utilisés dans le marketing sont d’ailleurs sans surprise bonheur et plaisir. C’est cette idée que la consommation nous mène à un monde un peu irréel de plaisir permanent.

Ensuite, c’est l’inégalité dans les messages : « Dans un enjeu essentiel, la lutte climatique, combien de consommateur reçoit de messages de sensibilisation, d’éco-geste dans sa vie quotidienne ? Allez peut-être 4 ou 5 par jour. Mais selon une étude, pour la publicité de consommation, on peut être bombardé de 400 à 3000 messages. C’est cette inégalité qui dépasse totalement le sujet de la régression. »

Il précise, en outre, que dans cet imaginaire, la publicité n’est pas la seule responsable. Il faut également y compter l’obsolescence programmée des entreprises, l’imaginaire cinématographique… Le monde de la publicité est souvent perçu comme un reflet d’une société.

Photo de sensibilisation à propos du consumérisme, dans le cadre du Black Friday, par Joy Tyson (source : unsplash)

Un secteur économique énorme

Le secteur de la publicité affiche plus de 30 milliards d’investissements par an, (soit 1,36% du PIB), 65 000 entreprises et 700 000 emplois directs et indirects. Cela représente tout un système économique et les personnes qui travaillent dans les médias le savent très bien. Les consommateurs sont habitués à avoir accès à des choses gratuitement parce qu’elles sont financées par la publicité, et d’ailleurs en général quand un média décide de ne plus faire appel à la publicité et de demander au consommateur le vrai prix de ce qu’il propose, le consommateur a souvent une drôle de surprise. Il s’agit donc d’un vrai monde financier à part entière.

À ceci Bertille Toledano répond : « Ce qu’il faut qu’on comprenne c’est qu’on arrive au bout d’un système de consommation, c’est-à-dire un système qui consiste à produire – trouver des débouchés – et écouler les marchandises. C’est tout ce système là qui est à repenser, et on voit bien aujourd’hui qu’on veut évoluer, mais en douceur, parce qu’il n’existe pas aujourd’hui d’alternative véritable, et il faut donc faire bouger tout le système si on veut y arriver. »

Cependant, c’est peut-être là que la publicité a un rôle positif à jouer, nous dit Bertille Toledano. « Notre rôle c’est d’écouter les « signaux faibles », c’est-à-dire écouter les gens tout simplement, leurs aspirations et comprendre vers quoi on tend pour leur proposer. Et quand on écoute les gens en ce moment on se rend compte que les mentalités ont évolué : les gens aspirent à une meilleure qualité de vie, la part des loisirs est devenue plus importante, on le voit dans le budget des ménages, la part de l’alimentation a diminué… bref. Leur consommation est en train d’évoluer parce que leurs aspirations ont évolué. »

Lors de ses interventions sur le terrain, Bertille Toledano reçoit très souvent les mêmes réponses : à partir du 21 du mois déjà, les grandes surfaces ne vendent plus de protéines animales. « Globalement, même les ménages les plus précaires aspirent à mieux, par exemple en se tournant vers le bio au moins pour les enfants. Aussi, on voit dans la même veine un changement des actions qui remplissent les temps de détente (temps qui ne sont pas voués au travail). On voit par exemple un renouveau complet des promenades dans les parcs, de visites de lieux culturels. On aspire à d’autres biens que les biens de la grande consommation. »

Il y a donc un déplacement de la consommation, dans ce sens d’abord, mais aussi sur un autre aspect, comme le souligne Thierry Libaert :« Les gens ont de plus en plus tendance à se porter non plus sur la valeur d’achat mais sur la valeur d’usage. Ils sont de moins en moins intéressés par le fait de posséder les choses et de plus en plus par l’idée d’en avoir l’utilité. »

Le sentiment se développe de plus en plus chez les nouvelles générations, par exemple davantage intéressées par la mise à disposition de voitures avec des locations très courtes, de l’heure à la journée, pour une utilisation exceptionnelle, plutôt que de posséder un véhicule qui reste la plupart du temps immobile, d’en payer l’assurance toute l’année etc. Et tout cela forme du matériel intéressant pour la publicité, pouvant s’inscrire dans une démarche en accord avec les enjeux climatiques.

Une opération « Anti-Pub de Masse » par le mouvement de désobéissance écologique Extinction Rebellion

Conclusion

Quand on pense à la publicité, on n’a pas forcément une image tout à fait globale. On a tendance à penser à la télévision, aux affiches, à la radio, aux panneaux publicitaires etc. Mais la publicité ce n’est plus ça, ou du moins ce n’est plus que ça : c’est le digital, internet. On entend par là Google, Facebook, Instagram et tous les contenus sponsorisés, les cookies, et les démarches de gestion de données numériques qui vont inonder le consommateur d’une multitude de déclinaisons du même produit dont il n’a même pas vraiment ni le besoin ni l’envie, mais seulement parce qu’il a eu le malheur de liker une publication.

Ainsi quand on parle de « publicité responsable » ce n’est pas de publicité sur la responsabilité écologique, mais bien à propos de la façon dont les responsables privés utilisent leurs supports, et le message qu’ils transmettent. Exemple : quand on voit une pub pour une voiture à la télévision, généralement on voit un homme, jeune, beau, célibataire, qui quand il se gare chez lui provoque la jalousie de son voisin. Imaginez maintenant des publicités qui affichent très clairement le taux de pollution du véhicule, ou bien les mêmes spots, mais avec en fond des images de la couche d’ozone ou même des rappels sur les conditions de fabrication de ces véhicules au tiers-monde.

Il apparaît donc que c’est tout le chantier de ce que la publicité donne à voir qui est en jeu. Il y a nécessité de proposer un nouvel imaginaire qui se détache des fausses promesses de bonheur et de plaisir liées à la surconsommation auxquelles on ne croit plus, et qui s’inscrirait dans l’urgence climatique. Laquelle est de plus en plus présente dans les esprits, comme en témoigne le nombre croissant de personnes souffrant d’éco-anxiété.

– Moro


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