Beau, bon et élevé au rang de super-aliment, l’avocat a tout pour plaire et ne manque pas d’être surmédiatisé. En quelques années, il est devenu le chouchou des réseaux sociaux et des menus prônant le « manger sain ». Mais l’explosion de sa production – pour répondre à cette demande des consommateurs – n’est pas sans conséquence : à des milliers de kilomètres, la région du Michoacán au Mexique étouffe sous les avocatiers. Problèmes de santé, pollution, crime organisé, la ruée vers ce nouvel or vert provoque des dommages irréversibles.
Un « super aliment » dont le monde entier raffole
En scrollant votre fil d’actualité Facebook ou Instagram, vous l’avez sûrement remarqué : l’avocat a envahi notre quotidien. D’abord dans les assiettes bien sûr, mais aussi en imprimé sur des chaussettes ou des t-shirts, dans des illustrations d’humour, dans les émissions télé,… Au-delà de ses qualités nutritives réelles (vitamines, nutriments, bonnes graisses) il est aussi esthétique. Cette popularité a fait grimper sa consommation en flèche si bien qu’en 30 ans seulement, les plantations d’avocatier dans le Michoacán, au Mexique, sont passées de 31 000 à 118 000 hectares. Le marché représenterait 17 000 millions de pesos annuels, soit un peu plus de 760 millions d’euros. L’avocat est désormais surnommé l’or vert du Mexique. Le pays en est le premier producteur mondial, et la vaste majorité des cultures se situent dans la région montagneuse du Michoacán. L’espèce la plus répandue, la Hass, a été créée par un agriculteur américain dans les années 1920 et fait désormais prospérer la région.
Le Mexique est la terre historique de l’avocat. Cultivé et consommé bien longtemps avant la colonisation, son nom est le dérivé du mot « ahuacalt » en nahuatl, la langue préhispanique la plus parlée au Mexique. Cela veut dire « testicule », car la forme du fruit lui aurait conféré des vertus aphrodisiaques. La commercialisation de l’avocat à grande échelle n’a commencé que dans les années 1960, et a explosé dans les années 1970. La culture sauvage ne s’est imposée qu’à partir des années 2000, pour répondre à la demande mondiale : plus de la moitié des productions sont exportées. Au classement des plus grands importateurs d’avocats, la France obtient la seconde place, juste après les États-Unis, mais devant le Japon. Face à l’engouement planétaire, les 19 000 producteurs mexicains et les 46 entreprises exportatrices se sont rassemblés en 2013 pour fonder « Avocados from Mexico ». Fort de leur alliance, ils ont diffusé deux ans plus tard un spot publicitaire à 1 million de dollars durant le Super Bowl, un des évènements sportifs les plus visionnés aux États-Unis. Depuis, l’avocat n’aura jamais été aussi populaire à travers le monde entier.
Pollution, problèmes de santé et cartels de la drogue
Le revers de la médaille n’a cependant pas tardé à se faire sentir. La production d’avocat à grande échelle demande énormément d’eau, ce qui a fait baisser le niveau des rivières, reculer les zones humides et tarir des nappes phréatiques tout en augmentant la température de la région. Par ailleurs, les propriétaires d’exploitations n’hésitent pas à utiliser des produits agrochimiques synthétiques pour protéger leurs récoltes, dont certains sont hautement toxiques et parfois mêmes interdites au Mexique. Le seul mot d’ordre : la productivité.
Ces pesticides pénètrent dans les nappes phréatiques et les ruisseaux qui alimentent en eaux la faune sauvage ainsi que les habitants. Le chercheur Alberto Gomez Tagle a démontré le lien entre les pesticides utilisés et des maladies observées chez l’homme. En quelques années, les problèmes de santé se sont diffusés chez les populations locales ; problèmes de foie, de reins, maladies respiratoires et digestives, etc. Les maladies fœtales sont également moins rares, et les enfants naissent plus fréquemment avec des malformations.
Afin de remplacer la forêt primaire par des avocatiers, la déforestation ravage cette zone montagneuse. Elle s’élève à 2,5 % par an, selon l’ONG environnementale GIRA, et l’Institut national de recherches en foresterie agricole et agraire rapporte que ce serait entre 600 et 1 000 hectares qui seraient perdus chaque année. Une déforestation qui n’est pas sans conséquence car elle détruit l’habitat naturel de coyotes, de pumas, d’oiseaux rares et d’une foule d’espèces locales. La forêt du Michoacán est aussi un des lieux de migration annuelle des papillons monarques. Certaines espèces endémiques de pins sont même en danger d’extinction.
Enfin, l’argent facile généré par le commerce des avocats attire des pratiques illégales et la convoitise du crime organisé. Légalement, au Michoacán, il est interdit de convertir des terrains de forêts en zone d’agriculture. Cependant, la loi autorise de le faire si les arbres sont coupés à la hache ou s’ils ont été incendiés. En 2009, plusieurs incendies géants ont détruit 12 500 hectares de forêts. L’année d’après, la zone a été recouverte de 8 000 hectares d’avocatiers. En 2016, les incendies ont dévasté 9 % de la surface forestière du Michoacán avec une issue similaire. Une pratique également observée en Asie pour le commerce d’huile de palme. Les cartels de la drogue déforestent et rackettent les habitants, qui s’organisent péniblement pour se défendre, parfois même par une riposte armée. Sans effet sur le commerce des avocats qui se porte toujours aussi bien.
Limiter la consommation d’avocats
Face à la déforestation, à la pollution et au crime organisé, les autorités cherchent à limiter les possibilités de convertir les terrains de forêt en plantation. Des programmes d’urgence de développement économique et de renforcement de la surveillance. Une police spéciale a même été créée pour capturer les cultivateurs illégaux d’avocatiers. Plus de cent personnes ont été arrêtées à ce jour, et des centaines d’hectares ont été de nouveau dédiés à la forêt. Pour apporter leur support, des habitants organisés en milices d’autodéfense ont intégré les « corps de défense ruraux » du gouvernement. Néanmoins, ceci ne remet pas en cause l’industrie polluante en elle-même qui jouit d’une liberté quasi totale, et un nouvel accord commercial avec la Chine risque de perturber ces fragiles avancées. Le gouvernement mexicain mise désormais sur les terres cultivables de ses autres États, risquant de reproduire ailleurs les drames du Michoacán.
Pour les consommateurs français, il est possible de se procurer des avocats biologiques ayant la mention « Commerce équitable », qui limite le développement des cultures illégales en garantissant des conditions de travail décentes et une rémunération juste. Chacun peut aussi décider de baisser sa consommation d’avocats, en mangeant des fruits et légumes plus locaux, ayant tout autant de bénéfices nutritifs. Mais l’augmentation constante de la demande en avocats semble témoigner que le monde n’est pas encore prêt à lâcher cette mode.