Alors que les intrants agricoles de synthèse font couler beaucoup d’encre dans le débat public, le cadmium semble s’infiltrer en silence dans nos assiettes. Métal lourd cancérigène, omniprésent dans notre environnement et surtout dans notre alimentation, il contamine les individus depuis des dizaines d’années sans que les réglementations en vigueur ne parviennent à faire réduire significativement ses dommages sanitaires pourtant dramatiques. Explications.
Le cadmium (Cd), ce métal blanc-bleuâtre, mou et très malléable, est utilisé dans de nombreux procédés industriels, comme la fabrication d’accumulateurs électriques, la production de pigments, les écrans de télévision ou encore la photographie. Dans le secteur agricole, il se retrouve également comme composant des engrais phosphatés, favorisant le développement des racines, la croissance de la plante, la production de graines et la maturation des fruits.
Le Cadmium s’infiltre dans toute la chaine alimentaire
À cause de ses propriétés physico-chimiques – d’ailleurs proches de celles du calcium – le cadmium est capable de traverser les barrières biologiques et de s’accumuler dans les tissus vivants. D’abord présent dans les racines des végétaux cultivés, il se retrouve ainsi rapidement dans les produits alimentaires proposés dans les rayons de nos supermarchés puis assimilés par notre organisme.
C’est ains que souligne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dans une note dédiée au sujet en septembre 2019 :
« Le cadmium est un élément trace métallique très répandu dans l’environnement à l’état naturel et en raison de l’activité humaine, notamment agricole et industrielle. Il pénètre facilement dans les végétaux par leurs racines et entre ainsi dans la chaîne alimentaire »
Cancers, ostéoporose,… Les risque pour la santé sont multiples !
Également présent dans la fumée de cigarette sous forme de très fines particules d’oxyde de cadmium, le métal est reconnu toxique pour l’humain et pour l’environnement à plusieurs égards. « Reconnu cancérogène, mutagène et toxique pour la reproduction, le cadmium entraîne chez [l’humain] des atteintes rénales et une fragilité osseuse lors d’une exposition prolongée, notamment par voie orale via l’alimentation et l’eau de boisson », explique encore l’agence française de sécurité sanitaire.
À cela s’ajoute également un rôle de perturbateur endocrinien majeur, responsable selon certaines études de l’accroissement des cancers hormono-dépendants, tels que le cancer de la prostate, des seins ou de l’endomètre.
Malgré ces risques sanitaires importants, il est bien difficile d’éradiquer le cadmium de son organisme. Et pour cause, un grand nombre d’aliments du quotidien en contient : « les denrées alimentaires représentent la source principale d’exposition au cadmium pour les non-fumeurs », souligne cette fois-ci l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa), qui détaille :
« les céréales et les produits céréaliers, les légumes, les fruits secs et légumes secs, les pommes de terre et autres féculents ainsi que la viande et les produits à base de viande contribuent le plus à l’exposition humaine ».
Un toxique présent dans chaque rayon de notre supermarché (ou presque)
Des teneurs élevées ont également été enregistrées dans d’autres produits alimentaires, comme les algues, le poisson et les fruits de mer, les compléments alimentaires, les champignons ou le chocolat. Consommés à moindre proportion, ces aliments ne constituent toutefois pas le même niveau de risque que ceux précédemment énumérés.
Finalement, les groupes de population le plus à risque sont évidemment les fumeurs, mais également les fumeurs passifs, de même que les végétariens – qui consomment des quantités relativement élevées de produits alimentaires contentant du cadmium (certains fruits secs, céréales, graines oléagineuses et légumes secs) – et les enfants, car ils ingèrent proportionnellement plus de nourriture par rapport à leur poids qu’une personne adulte. La concentration du métal risque ainsi d’être plus élevée.
Près de 95% des enfants contaminés au cadmium
C’est ce qu’a d’ailleurs récemment constaté une étude belge, portant sur un peu plus de 600 enfants wallons, âgés de trois à onze ans et habitant autant en zone urbaine qu’à la campagne. Pilotée par l’Institut scientifique du Service Public (ISSeP), l’analyse révèle que le cadmium est présent dans l’urine de plus de 95% des enfants testés.
Dans certains cas, la concentration détectée dépasse le seuil critique de santé recommandé. « On a observé des niveaux plus élevés que lors d’une précédente étude, menée à l’échelle belge », explique Aline Jacques, chercheuse à l’ISSeP, à la RTBF. « Il a des effets sur les reins et les os. Il peut provoquer une insuffisance rénale et des atteintes osseuses comme de l’ostéoporose ».
Pourtant, la présence du cadmium dans notre organisme et la connaissance de ces effets néfastes ne sont pas nouvelles. En 2018, le journal Le Monde lançait l’alerte sur la dangerosité de ce métal et questionnait la posture politique de la France, qui se montrait particulièrement discrète sur la question lorsque celle-ci s’imposait sur la scène européenne.
Une règlementation insuffisante
Comme le glyphosate, son utilisation reste plébiscitée par de nombreux acteurs du secteur agricole, qui soulignent son rôle essentiel dans la productivité agricole des pays européens.
L'#agriculture intensive responsable de l'augmentation de l'imprégnation au cadmium (cancérogène) des adultes et des enfants. https://t.co/DLvS41VTWC pic.twitter.com/WHafWwYVfk
— EcoloSolidaire (@Juste2T) July 5, 2021
Mais le facteur économique joue également sur la pauvre réglementation du cadmium à l’échelle européenne ou nationale : « limiter le niveau de cadmium dans les engrais phosphatés aura un impact important sur le prix du produit fini en raison de la rareté des gisements de phosphates faibles en cadmium », prévenait déjà Fertilizers Europe, le syndicat européen des producteurs d’engrais, dans les colonnes du Monde.
« L’augmentation des coûts sera transmise aux agriculteurs européens au détriment de leur compétitivité internationale ». Fertilizers Europe.
« On notera que l’alimentation biologique, qui n’utilise pas ces engrais chimiques, contient en moyenne moins de 48% de cadmium d’après l’étude Baranski, réalisée en 2014 », souligne l’Association Santé Environnement France (ASEF), qui alerte sur la dangerosité du produit. L’organisme appelle également les pouvoirs publics à financer le secteur afin de l’encourager à se procurer des engrais phosphatés auprès de gisements moins contaminés, sans faire peser le coût de ces changements sur les épaules déjà fragiles des agriculteurs.
– L.A.
Photo de couverture : Pixabay