À l’heure de la sixième extinction de masse où l’Humain a déjà éradiqué plus de 60% de la biomasse planétaire, notre rapport à l’animal est devenu un enjeu prioritaire. Nous n’avons plus le choix, nous devons gagner en empathie et comprendre les souffrances systématiques que nous leur infligeons, tant à travers nos industries que nos choix de consommation. « Les Animaux anonymes » nous plonge dans cette urgence en inversant le rapport de force entre l’animal et l’Homme devenu la proie du premier. Une expérience immersive dérangeante.
« Le rapport de force entre l’homme et l’animal a changé. Dans une campagne reculée toute rencontre avec le dominant peut devenir hostile. »
Une forêt brumeuse, quelque part en France ou ailleurs, peu importe au fond. Le lieu et le moment sont intemporels.
Un homme se réveille enchaîné à un arbre, près d’une route. Il est torse nu, et on remarque des plaies dans son dos, telles qu’un fouet aurait pu laisser. Il tente de se libérer, en vain, la chaîne est trop solide, le tronc trop épais. Une voiture vient à passer sur la route et au lieu de lui faire signe, l’homme s’en cache.
Comme lui, on croit qu’il n’a pas été vu mais après s’être éloignée, la voiture fait demi-tour et revient s’arrêter près du prisonnier. Celui-ci est pris de panique tandis que le conducteur sort de la voiture. L’homme se laisse tomber au sol, à la fois en proie à la peur et résigné. Il devine qu’on ne vient pas pour l’aider, il ne prend même pas la peine d’interpeller l’inconnu.
Le conducteur s’approche de lui sans un mot. S’il possède une silhouette humaine, sa tête est celle d’un chien.Il a des outils en main, mais que va-t-il faire de l’homme qu’il vient de découvrir ? Pour un temps cette interrogation inévitable sera laissée à l’imagination du public.
Plus tard, ou plus tôt, on ne sait. La nuit est tombée dans la forêt, une nuit de pleine lune. Trois personnes, deux hommes et une femme, sont sur leurs gardes. Malgré la peur qui les ronge visiblement, leurs sens sont en éveil : ils ont repéré une silhouette à quelques mètres d’eux, un ennemi sans aucun doute. On l’entraperçoit à peine à travers les arbres et les broussailles.
Pour ne pas se faire repérer, ils communiquent par signes, semblant mettre au point un plan. Hélas, un cri animal résonne qui sépare le groupe. La caméra s’attarde sur l’un des individus, qui tente de fuir mais qu’un être à tête de cerf finira par capturer. Il rejoindra ses compagnons et d’autres humains dans une camionnette.
Le véhicule les emmènera jusqu’à un vieil hangar qu’on reconnaît sans peine être un ancien élevage intensif, peut-être de veaux au vu de la taille des stalles où le bétail humain prendra place de force. À ce moment, le parallèle avec notre réalité devient clair.
L’ordre a changé : le prédateur est devenu proie, le chasseur est désormais chassé.
Comme le soleil, dont les rayons restent absents tout le long du film, tout espoir a abandonné les protagonistes, seule l’angoisse semble les maintenir en vie. Contrairement au public qui découvre cet univers subjectif et y cherche ses marques, les humains savent d’instinct que leur sort ne sera pas enviable.
Un voile en teintes de gris couvre le film, aussi bien sa lumière que ses personnages. Pas de couleurs qui apporteraient une note de gaîté ou d’espoir, comme dans les abattoirs. Le propos du film ne s’y prête de toute façon pas. Une exception toutefois pour les touches de rouge, dont la symbolique se passe aisément d’explication… La caméra, nerveuse, privilégie les plans rapprochés. Une manière efficace de mieux faire sentir les émotions des victimes.
Aussi, on notera que les humains ne se parlent jamais, même lorsqu’ils sont seuls. Comme si cette faculté leur avait été enlevée, ou était devenue inutile. Le langage des corps et surtout les regards suffisent à nous faire comprendre les émotions qui les étreignent. Ceux-ci ne cherchent pas non plus à communiquer avec leur bourreau moitié humain, moitié animal. Si ces chimères ont des attitudes humaines, leur voix reste celle de leur espèce, troublant les lignes et le spectateur par la même occasion dans ce rapport de force inversé.
Ils sont nous et nous sommes eux. Les animaux sont-ils réellement anonymes ? Jusqu’à la dernière image nous n’en serons pas si sûrs.
Par leur mutisme, les humains sont animalisés alors qu’à l’inverse les animaux sont humanisés. Mais cette humanisation ne retranscrit pas ce qu’il y a de mieux chez l’Homme. Au contraire, elle en dénonce les côtés obscurs : la violence, le sadisme, le manque d’empathie en particulier concernant son rapport au règne animal. Là se trouve l’essence même des « Animaux anonymes » .
Après son visionnage, libre à chacun de faire sa propre analyse et introspection.
Dernier point toutefois, sans vouloir en dévoiler davantage sur l’intrigue : nous invitons le spectateur à considérer la variété des chimères qui lui sera donner de voir (vache, chien, bouc, cheval…). Le choix des animaux représentés dans les différentes scènes ne doit rien au hasard et tend implicitement un miroir glaçant au rapport que notre société entretient envers ces animaux.
Réalisé par Baptiste Rouveure, « Les Animaux anonymes » a été salué par la critique et a reçu des prix dans de nombreux festivals.
« Les Animaux anonymes » a été présenté au 28ème festival du film fantastique GERARDMER qui s’est tenu en ligne 27 au 31 janvier. Il devrait sortir en salles le 23 juin, en fonction de l’évolution des mesures sanitaires.
S. Barret
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