Au lendemain de la journée internationale de l’environnement, nous nous sommes penchés sur les liens entre les établissements scolaires et périscolaires et la sensibilisation des enfants, dès le plus jeune âge à l’écologie et aux problématiques environnementales. Rencontre avec Emilie Lagoeyte, ancienne institutrice et fondatrice du blog Eveil et Nature pour évoquer les « écoles en forêt » et plus généralement, la place de la nature dans l’éducation.
« Ressentir la nature pour penser l’écologie »
En amont de la COP21 de 2015 à Paris, une enquête Ifop-JDD rapportait que seuls 21% des Français plaçaient le réchauffement climatique en première ou deuxième position de leurs préoccupations principales. Pire, le réchauffement climatique se classe sixième parmi les six grands enjeux sociétaux qui inquiètent le plus nos concitoyens derrière le chômage, le pouvoir d’achat, le terrorisme, la sécurité sociale et l’amélioration de la situation à l’école. Alors comment expliquer que les problématiques environnementales ne soient pas encore devenues une priorité pour les français alors que les conséquences seront (et sont) désastreuses autant pour l’économie que pour les générations à venir ?
Une partie de la réponse ne se cacherait-elle pas dans l’éducation et le système scolaire de nos enfants ? C’est en tout cas ce que prétend Emilie Lagoeyte qui milite pour la réintégration de la nature dans le système éducatif. « Aujourd’hui, on parle évidemment du réchauffement climatique aux enfants mais ils passent très peu de temps dans la nature elle-même. Ils en ont finalement donc une idée théorique, peu concrète » nous rapporte-t-elle avant de résumer « il faut que les enfants puissent ressentir vraiment la nature pour penser l’écologie ». Ancienne institutrice et animatrice nature dynamique, Emilie a lancé Eveil et Nature afin de mettre son expérience au service de son projet : elle s’attache désormais à promouvoir une place plus importante de la nature dans l’environnement des enfants et fournit, sur son blog, des outils simples pour y parvenir, à destination des enseignants et parents. Quel est alors le concept de « l’école en forêt » qui l’anime et qui fera prochainement l’objet d’un dossier complet sur son blog ?
« Si les murs manquent, pourquoi ne pas aller en forêt ? »
Il fait écho à une pratique née en Scandinavie alors qu’il devient difficile de trouver des établissements d’accueil pour les enfants. Si les murs manquent, pourquoi ne pas aller directement en forêt ? Si l’idée paraît saugrenue, c’est pourtant ce qu’ont décidé les précurseurs de l’école en forêt ! Le concept est alors décliné en plusieurs modèles, avec une simple roulotte ou un « vrai » bâtiment en dur, l’objectif est toujours le même : placer l’enfant directement dans un environnement naturel et proposer une pédagogie différente des modèles classiques.
Ayant d’ores et déjà séduit l’Allemagne et la Suisse qui compte à elle seule une trentaine d’établissements de petite enfance (crèche et école maternelle), ce type d’initiative en est encore à ses balbutiements en France. Pourtant, selon Emilie, l’intérêt pédagogique de telles pratiques est révolutionnaire ! « Alors que les enfants restent habituellement assis dans une salle de classe fermée, leur esprit a tendance à surchauffer causant perte de concentration, ennui et fatigue » nous explique-t-elle. Dans les écoles en forêt, les enfants sont placés en situation de « jeu libre » où ils apprivoisent eux-mêmes l’environnement dans lequel ils évoluent. « Il est assez incroyable de constater qu’un véritable esprit de collaboration, d’entraide, de créativité et de curiosité émerge de la construction d’une cabane ou de l’observation de fourmilière » s’enthousiasme l’ancienne maîtresse d’école.
L’enthousiasme justement, c’est le principal vecteur d’un apprentissage efficace rappelle-t-elle en citant Gerald Hüther, chercheur en neurobiologie qui estimait qu’il était « un engrais pour le cerveau ». S’il est difficile de susciter l’enthousiasme des enfants chaque jour, dans une salle de classe, le milieu naturel est « le plus riche que l’on puisse offrir aux enfants comme lieu d’exploration et d’expérimentation ». Par exemple, l’observation conduit à des interrogations naturelles chez l’enfant qui aura la démarche de demander à ce qu’on y réponde : « on ouvre un livre, plus pour faire plaisir à la maîtresse mais réellement pour apprendre quelque chose ». Enfin, toujours selon notre interlocutrice, les « écoles en forêt » permettent de sensibiliser aux problématiques écologiques d’une façon positive et non négative : « Jusqu’à présent, les enfants apprennent qu’il est « mal » de laisser l’eau couler trop longtemps, qu’il est « méchant » de jeter ses déchets par terre. » Avec le retour à la nature, ils deviennent acteurs et apprennent à véritablement ressentir, aimer et donc protéger la nature qui les entoure.
« Convaincre de l’infinie richesse pédagogique de la nature »
Aux éternels sceptiques qui dénoncent une lubie réservée aux « bobos« , Emilie les invite tout d’abord à consulter toutes les études qui démontrent scientifiquement l’intérêt de ces méthodes d’apprentissage alternatives (voir sources). De plus, elle rappelle que d’autres travaux montrent que les enfants issus d’écoles enfantines en forêt s’intégraient très bien par la suite dans un système plus traditionnel et étaient d’une façon générale plus motivés pour apprendre que leurs camarades, arrivaient mieux à se concentrer et recevaient de meilleurs résultats scolaires.
C’est d’ailleurs la prochaine étape de ces initiatives : l’impulsion et la multiplication des études scientifiques prouvant l’efficacité de la démarche afin de les crédibiliser et faire de la réintégration de la nature dans les programmes pédagogiques, une priorité. Le réseau très actif de « Ecole et Nature » a par ailleurs soutenu plusieurs projets qui redonnent à la nature un véritable rôle dans l’apprentissage et qu’Emilie évoque à la volée : de Philippe Nicolas et son manifeste Enseignement trappeur pourquoi pas ? où ce professeur des écoles raconte son expérience de conduite de ses classes dans les grands espaces naturels, loin des parcs municipaux aseptisés, au Grand Secret du Lien de Frédérique Plénard qui filme une classe d’adolescents transformés par leur semaine dans les Pyrénées, en passant par Sarah Wauquiez et son ouvrage Les enfants des bois, Pourquoi et comment sortir en nature avec les enfants, tous sont parfaitement unanimes sur les effets extrêmement bénéfiques de la nature sur les enfants et adolescents. Malgré une demande croissante, ce type d’établissements et d’initiative peinent à s’imposer, à cause notamment des éternelles coupes dans les subventions qui leur sont accordée. Pourtant, Emilie rappelle que « cela ne coûte pas plus cher d’emmener les élèves en forêt ou de revégétaliser une cour d’école comme l’a fait l’école maternelle Jacqueline à Strasbourg, plutôt que de tout bétonner et d’investir dans des structures de jeux onéreuses ».
L’objectif est donc de convaincre de l’infinie richesse de notre nature et du rôle qu’elle doit jouer dans l’apprentissage des enfants. Éternelle optimiste, Emilie, si elle regrette ces baisses de subventions qui empêchent l’innovation, garde foi en ces « nouveaux modèles qui viennent des citoyens et non des politiques ». On peut néanmoins se demander : quel serait le visage de la politique avec une population consciente et informée.
Pour aller plus loin : eveil-et-nature.com
Source : Lejdd.fr / legrandsecretdulien.org / Etude de Peter Häfner, 2003: Wie schulfähig macht der Waldkindergarten? / Réussite scolaire, et si les clés étaient dans la nature / Les enfants du dehors