Parfois, des suites d’une intervention humaine, l’environnement se retourne contre « la nature ». Les espèces exotiques envahissantes regroupent toutes les espèces végétales et animales importées sur un territoire sur lequel elles n’étaient pas présentes à l’origine. Cette invasion biologique, conséquence directe de la mondialisation et des activités humaines, fait de la nature un enfer pour elle-même. L’Europe et la France n’échappent pas à ces phénomènes destructeurs. Dossier sur les « EEE » : Espèces Exotiques Envahissantes.
L’ambroisie, à titre d’exemple, est une graminée hautement allergisante qui provoque des crises d’asthme et qu’on retrouve un peu partout en France. C’est une espèce exotique envahissante, ou EEE. L’ambroisie est le cauchemar des agriculteurs, notamment de tournesol, mais aussi des apiculteurs. Une parcelle de champ attaquée par l’ambroisie n’a d’autre moyen que d’être déterrée et jetée, une perte donc conséquente de production pour l’exploitant de tournesols. Et sans les ressources mellifères pour les abeilles, les pertes de ruche viennent les unes après les autres.
L’ambroisie est une des espèces les plus problématiques en France et ce à plusieurs niveaux. Cette plante invasive cause en effet des dommages sur les écosystèmes (ici : la pollinisation des abeilles), économiques (les agriculteurs perdent des parcelles) et sanitaires pour l’homme et les animaux domestiques. Originaire d’Amérique du Nord (tout comme le tournesol !), l’ambroisie importée en Europe cause des dommages irréversibles sur les écosystèmes.
Dans le cadre de la coalition #SauverLePrésent, qui a réuni France Culture, Le Parisien, la revue Usbek & Rica et Science & Vie Junior le 31 juillet dernier, FC (France Culture, n.d.l.r) a diffusé le podcast « La nature, un enfer ? » sur son magazine environnement « De Cause à Effet ».
Qu’est-ce qu’une espèce exotique envahissante ?
Les espèces invasives sont des espèces qui ont été introduites dans un milieu dans lequel elles n’avaient jamais évolué, qui ont réussi à s’y établir et de là qui s’étendent et envahissent l’écosystème qui n’y est pas adapté.
« Les écosystèmes sont des engrenages complexes qui fonctionnent tout à fait bien, et quand on rajoute un engrenage à un engrenage déjà établi, ça dérègle tout » explique Franck Courchamp, écologue et directeur au CNRS et au Laboratoire d’Ecologie Systématique & Ėvolution de l’Université Paris-Sud.
Et ici l’engrenage en question n’est personne d’autre que l’homme. L’homme a toujours déplacé des espèces, depuis la nuit des temps (domestiques et agraires). Mais depuis les cinq derniers siècles, à partir de la découverte des Amériques, jusqu’à la révolution industrielle et la mondialisation, l’accroissement des échanges inter-continentaux de biens et de personnes provoque des réactions en cascade, dont on a pas toujours mesuré l’importance, jusqu’à ce qu’il soit trop tard.
Par exemple en Europe, depuis les 35 dernières années, le comité français de l‘UICN (Union international pour la conservation de la nature) a observé une augmentation de 76% des introductions d’espèces exotiques envahissantes. Certaines sont tellement omniprésentes qu’on a même oublié qu’elles n’étaient pas là au départ.
La règle des 10%
Tous les ans dans le monde, se sont des milliers d’espèces de faune et de flore qui sont introduites sur des territoires étrangers du fait de la mondialisation. En Europe, nous sommes bien content d’avoir du maïs, du riz et de la pomme de terre, qui ne sont pas d’origine sur notre continent. Mais sur toutes ces espèces introduites, il y en a environ 10% qui vont réussir à s’établir sans intervention de l’homme ; et sur ces 10% établies, 10% d’entre elles vont devenir envahissantes. Envahissantes, ça veut bien dire qu’il y a un problème : le riz, la pomme de terre, il n’y a pas de problème. Mais 10% de ces espèces vont poser un problème.
« 10% ça peut paraître peu, mais appliqué sur des milliers d’espèces introduites tous les ans ailleurs dans le monde, ça devient très vite compliqué. » Franck Courchamp
En Europe on estime environ 15 000 espèces introduites, et si on applique la règle des 10% sur cette portion, on se retrouve avec 1 500 espèces qui vont s’avérer nocives pour l’environnement. Au niveau français, l’INPN (Inventaire National du Patrimoine Naturel) recense 1 379 plantes et 708 espèces de faune, mais ce sont des chiffres largement sous-évalués puisqu’il manque les espèces envahissantes marines (1 460 espèces estimées dans les eaux européennes et 483 pour la France) et aussi toutes les espèces invasives présentes dans les outre-mers français, qui en tant que milieux insulaires sont d’autant plus fragiles. En outre-mer on recense environ 400 EEE.
Qu’un seul coupable
« On bouleverse non seulement les endroits où les plantes se trouvent, mais aussi la façon dont elles se rencontrent. Comme on change nous-mêmes toujours les règles de fonctionnement des écosystèmes toujours à notre profit, on est toujours dans des schémas qui déséquilibrent les anciennes relations qui étaient stables sur de très longues durées. Nous on veut des rendements extrêmement courts, extrêmement rapides, et c’est souvent contradictoire avec le rythme de la vie elle-même. » François Moutou, docteur vétérinaire, épidémiologiste et naturaliste.
Le modèle de nos sociétés actuelles ne peut plus durer. Si les EEE ne sont pas un phénomène qui vient d’apparaître, comme dit précédemment, cela a déjà commencé aux échanges avec les Amériques, d’abord d’espèces alimentaires et puis animales, il n’empêche qu’il ne faut pas pour autant continuer à le perpétuer.
C’est simple : de tout ce qu’on cultive aujourd’hui, pratiquement tout vient d’ailleurs. Les plantes et les animaux qu’on consomme et leurs produits ne sont pas originaires de ce qui est maintenant la France. Et bien sûr si tous ces échanges ont un intérêt économique avant tout, il faut aussi se rendre compte que tout ce que l’homme a mis quelque part, ça a pris la place de ce qui était là avant.
« Avec notre commerce et nos déplacements de masses d’animaux et de plantes, ont transporte également leurs parasites, leurs virus, leurs bactéries. » explique François Moutou. Et nous n’en sommes effectivement pas à notre première crise sanitaire à l’échelle internationale…
Des introductions volontaires et d’autres involontaires
Volontaires : Depuis l’époque colonialiste on a voulu à la fois créer des environnements familiers dans un environnement étranger, et dans l’autre sens, aussi créer des environnements exotiques en Europe. Les plantes qu’on achète pour décorer nos maisons et nos jardins, presque toutes viennent hors d’Europe. Mais un jardin « à la française » (très carré, expression du classicisme, sans mauvaise herbe etc) n’est pas la nature, c’est une vision culturelle de la nature, très intellectuelle, entièrement conçue par l’homme et pour l’homme. Il y a une démarche intellectuelle pour faire quelque chose à son image, or la nature n’est pas à l’image de qui que ce soit, elle est.
Entre-deux : quand des perroquets ou des canaris s’échappent de leur cage, quand on relâche des poissons exotiques dans un étang ou des tortues de Floride dans la nature. Ce problème pose également la question des animaleries et de tout le commerce né à l’origine pour avoir un animal sauvage chez soi. Par exemple, le tamia de sibérie, petit écureuil qu’on trouve en animalerie et sur internet, est un très haut porteur de la maladie de Lyme notamment à cause de sa propension à attirer les tiques.
Involontaire : des coquillages collées sur les coques du bateau, le rat introduit d’Asie en Europe, le frelon asiatique importé en France par un lot de poteries de Shanghai, prédateur des abeilles et d’autres pollinisateurs locaux. Le moustique tigre également, introduit de façon accidentelle dans le sud de la France et qui depuis a provoqué des cas autochtones de chikungunya.
« Les EEE sont la principale source de l’érosion de la biodiversité au monde, après la destruction des habitats naturels. » Emmanuelle Sarat, du comité français de l’UICN.
Plusieurs évaluations scientifiques, au niveau mondial, ont estimé les cinq plus grandes pressions sur la biodiversité :
- la fragmentation et destruction des habitats naturels : déforestation, étalement urbain, exploitation agricole… Selon Naturefrance, Entre 2006 et 2015, la France a perdu plus d’un demi-million d’hectares de terres agricoles et espaces naturels (Bilan 2019 de l’ONB), dont la moitié transformée en surfaces goudronnées. Cette superficie est équivalente à environ deux fois la taille du Luxembourg.
- la surexploitation des ressources : aliments, eau, matériaux, minerais et combustibles… Selon la WWF, « actuellement, nous utilisons 74% de plus que ce que les écosystèmes de la planète peuvent régénérer, soit l’équivalent des ressources que produirait 1,7 Terre. »
- la pollution de l’eau, de l’air et des sols : déchets, pesticides, hydrocarbures… Selon le CIEAU, « Environ 55% de la surface agricole est classée en zone vulnérable concernant les nitrates. Dans les régions où l’activité agricole est la plus importante, 92% des points de mesure dans les cours d’eau et 70% des points de mesure dans les eaux souterraines sont touchés par les pesticides »
- le réchauffement climatique
- Les espèces exotiques envahissantes
L’ordre de ces facteurs varie selon le type d’impact que l’on veut évaluer. Si on s’intéresse au nombre d’espèces disparues, les EEE passent en second plus gros facteur juste après la destruction des habitats naturels. En fait, on estime que les espèces invasives sont même responsables de la disparition de 40% des espèces menacées.
Conclusion
Si on a énormément d’espèces envahissantes, alors on a énormément de perte de biodiversité. Comme nous l’explique François Moutou dans ce reportage, « ce qu’il faut comprendre, c’est que la nature a horreur du vide : il n’y a pas de vide, de niche écologique vacante dans laquelle une espèce introduite extérieurement par l’homme pourrait s’adapter. Si elle s’adapte, c’est nécessairement au détriment d’une autre espèce locale. […] Globalement, on est toujours perdants au niveau de la biodiversité. »
Les scientifiques ne cessent de lancer l’alerte, mais les politiques font la sourde oreille. Pas le choix, pour lutter contre ce phénomène, il faut donc cesser de le nourrir : si le système agro-alimentaire européen repose sur l’hyper-mondalisation, alors il faut changer drastiquement nos habitudes de consommation, car on ne peut se permettre d’attendre que les politiques agissent. Ainsi, se tourner vers des produits locaux et bio permettra de limiter la casse. Également, il paraît évident de ne pas nourrir le commerce et braconnage d’espèces animales exotiques, notamment dans les animaleries. Nos sociétés capitalistes reposent sur l’exploitation toujours plus destructrice du vivant, et ce n’est qu’en sortant par la résilience de ces modèles imposés que nos politiques suivront le mouvement vers un système plus sain, et ce pour tout le monde.
Mary Doizon
Sources
-Podcast « La nature, un enfer ? » de France Culture
-L’Inventaire national du patrimoine naturel « INPN »
-« Comment évoluent les pressions liées à la surexploitation des ressources ? » Nature France
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