Les forêts tropicales ne jouent plus leur rôle de « poumon de la planète »

La déforestation massive n’est pas un problème nouveau, il est déjà depuis de nombreuses années un sujet de préoccupation pour les scientifiques et les écologistes. Cependant, une étude parue récemment dans la revue américaine Science montre une réalité bien plus inquiétante : sur bases de relevés réalisés entre 2003 et 2014 prenant en compte des arbres trop petits pour être aperçus auparavant, les chercheurs ont conclu que les forêts tropicales émettent désormais plus de gaz à effet de serre qu’elles n’en captent ! Un paradoxe pour les poumons de la Terre…


La déforestation : des maux jusqu’à la source du mal

Cette nouvelle étude menée conjointement par l’Université de Boston et le centre The Woods Hole Research Center, indique que le problème de la déforestation est bien plus grave qu’imaginé jusqu’ici. Mais peut-on sauver nos « poumons de la planète » sans s’attaquer aux nombreuses causes, principalement économiques, qui conduisent à l’abattage massive ? Pour ne citer qu’eux : les constructions d’infrastructures (étalement urbain), les concessions minières et pétrolières, l’extension des champs agricoles et d’élevage pour les exportations et la consommation interne, le commerce (légal et illégal) du bois, l’industrie de l’huile de palme, etc..

Toutes ces activités humaines sont liées à un paradoxe : la position ambiguë des gouvernements vis-à-vis de la question écologique. Posséder une forêt est pour un État à la fois une source de revenus et une mission supplémentaire à assumer : sa préservation. Lors de l’exploitation des ressources naturelles, l’État perçoit un revenu sous formes de taxes et de concessions aux entreprises privées ou publiques. Cependant, la possession d’un espace vert abritant diverses espèces animales et végétales nécessite des lois pour leur protection au nom de la biodiversité, condition vitale pour maintenir l’équilibre naturelle. L’impasse est manifeste.

Campagne WWF contre la déforestation (2009).

Détenir une forêt implique donc une forte responsabilité entre la rente économique et la protection de l’environnement. Si un État privilégie trop la première optique et néglige la seconde, les conséquences seront catastrophiques : les catastrophes naturelles augmenteront non seulement en nombre mais aussi en intensité en raison d’absence d’arbres faisant office de barrières naturelles (notamment en matière d’inondations), le phénomène du réchauffement climatique s’accentuera suite à la hausse des gaz carboniques ne pouvant plus être absorbés, la biodiversité se retrouvera menacée par la destruction des habitats naturels et la monoculture, les épidémies seront plus répandues par la propagation de « nuisibles » vecteurs de maladies dans les zones rurales.

Les conséquences de cette indifférence systémique, au nom du libre marché, ne seront pas seulement climatiques ou sociales, elles peuvent prendre une tournure géopolitique car la déforestation accentue le phénomène de désertification, surtout dans les pays d’Afrique, où le contrôle des espaces vertes restantes peut déboucher sur des conflits. Il est d’ailleurs désormais établis que les crises écologiques peuvent semer les graines futures de nouveaux terrorismes, notamment par le manque de ressources locales engendré.

Le Brésil et l’Amazonie : pour le meilleur et le pire

Le maintien de cet équilibre fragile est un combat au quotidien où les mesures protectrices de l’environnement risquent d’être balayées par la législature suivante. Une des forêts qui préoccupent le plus les écologistes est l’Amazonie, dont près de deux tiers de sa superficie se situent au Brésil. Depuis août 2016, le pays est dirigé par le Président Michel Temer suite à la destitution de son prédécesseur Dilma Rousseff pour maquillage budgétaire. Bien que l’ancienne présidente brésilienne ne soit pas une militante écologiste, l’accession au pouvoir de Temer apparait comme un mauvais signe pour les défenseurs de la nature en raison des liens manifestes du gouvernement avec les lobbies industriels voyant l’Amazonie comme une manne financière à exploiter.

La décision en août 2017 du Président d’abolir la RENCA (Reserva Nacional de Cobre e seus Associados : la Réserve nationale de cuivres et associés) dans le but d’attirer de nouveaux investisseurs miniers, suscita la colère de divers groupes civils, pas seulement environnementalistes, puis fut bloquée par un juge fédéral en raison de l’illégalité du décret. Mais le gouvernement n’abandonne pas le projet et promet d’étudier d’autres possibilités pour l’ouverture de futures mines sur le territoire.

- Pour une information libre ! -Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Une fois de plus, on assiste au conflit direct entre l’économie triomphante, dont la nécessité de la relance est l’argument principal du gouvernement, et la défense des ressources naturelles où les environnementalistes considèrent l’ouverture de ces mines comme l’une des pires attaques contre la forêt amazonienne. Au Brésil comme ailleurs, l’humanité fait face au choix concret entre l’intérêt économique supérieur, et la préservation du capital naturel. Malheureusement, il n’existe aucun outil véritablement efficace pour prémunir ce capital vivant contre l’accaparement des terres et de ses ressources, même si celui-ci cèlera à terme le sort de l’humanité toute entière.

Photographie : Tomas Munita / CIFOR

Agir avant de tout voir partir en fumée

L’étude publiée dans Science démontre qu’il reste beaucoup d’efforts à faire pour endiguer le réchauffement climatique, non seulement en raison de l’état des forêts tropicales qui se dégrade au fil des années, mais aussi par les décisions aveugles de dirigeants politiques (fussent-il élus démocratiquement) privilégiant l’économie au détriment du reste. Et pourtant, l’État est à la fois la source du problème et de la solution. Problème en raison des concessions accordées à des entreprises ne respectant pas la nature. Solutions car légalement il est le seul, au titre du pouvoir décisionnel collectif, à pouvoir légiférer pour protéger ses zones forestières de manière collective.

La solution doit donc venir de la société dans son ensemble, depuis la manière dont nous consommons à la manière dont nous élaborons nos démocraties et décisions collectives. Pas seulement du monde politique, mais aussi celui de la justice, garante de l’application des lois environnementales, et des associations défendant l’avenir écologique. Plusieurs pistes sont envisagées pour la protection des forêts tropicales comme la lutte plus active contre les exploitations illégales à la fondation de sanctuaires naturels sous tutelle d’ONG jusqu’à l’achat de parcelles par des individus soucieux de l’environnement (comme le milliardaire Johan Eliasch qui acheta 160000ha de forêt amazonienne pour les préserver). Mais ces solutions semblent aujourd’hui très limitées face au diktat du marché.

https://www.youtube.com/watch?v=UQ48fnhXSZY

L’exemple du Brésil démontre que rien n’est indéfiniment acquis. Du jour au lendemain, un gouvernement peut abolir une mesure protectrice par intérêt économique. Très récemment, plus proche de nous, un document révélait qu’Emmanuel Macron a initié discrètement un sérieux coup de frein en matière de transition énergétique, en dépit de promesses électorales séduisantes. L’Afrique et l’Asie du sud-est (surtout l’Indonésie) connaissent la même problématique. L’enjeu est d’autant plus important que tous les pays possédant une forêt tropicale ont signé l’Accord de Paris qui prévoie une limitation de la hausse globale des températures à 2°C. Or, pour y parvenir, la réduction des émissions de gaz carbonique est fondamentale et passe par une meilleure politique de protection des zones forestières qui captent ces gaz : les puits naturels de carbone. Malheureusement, l’économie (et le besoin quasi religieux de croissance) fait toujours partie des principales préoccupations des gouvernements. Jusqu’à quand ?

Co-écrit par Un Coin de cerveau & Mr Mondialisation


Sources : Avec la déforestation, les Tropiques émettent plus de CO2 qu’ils n’en capturent, RTL : Luxembourg, 29 septembre 2017.
BBC NEWS, Brazil revokes decree opening Amazon reserve for mining, Amazon Watch : Washington DC, 26 septembre 2017.
MAGDELAINE Christophe, La déforestation : causes et conséquences, notre-planete.info : Salles-Sur-Mer, mis à jour le 30 août 2017.

Article gratuit, rédigé de manière 100% indépendante, sans subvention ni partenaires privés. Soutenez-nous aujourd’hui par un petit café. ?

- Cet article gratuit et indépendant existe grâce à vous -
Donation