La réputation des limaces a la vie dure. Assimilée à la dévastation du jardin et souvent considérée comme « nuisible », la question revient souvent : Comment se débarrasser de ces gastéropodes qui ruinent le potager ? Bière, ail, produits chimiques, tous les moyens sont bons pour sauver ses cultures. Et pourtant, les limaces jouent un rôle capital dans la santé des sols. 

Petites ou grandes – leur taille varie entre 1 et 30 cm – oranges, blanches, noire, grises ou brunes, des forêts tropicales aux îles subantarctiques, la limace peut être rencontrée dans un très grand nombre d’écosystèmes de la planète.

Alors qu’elle est la plupart du temps associée à l’idée de « nuisible » dont la présence ruine les potagers, bien des efforts sont déployés pour les éloigner des plantations, voire les tuer. C’est oublier que leur prolifération est un signe de déséquilibre de l’écosystème jardin, dont la santé peut être améliorée sans recourir au massacre de nos amies rampantes. Carnage qui, en fait, nuit à la cause.

Les limaces sont très diverses et habitent nombre d’écosystèmes, des forêts tropicales aux îles subantarctiques.

Adeptes d’humidité et de plantes

Familière à ceux qui ont la possibilité de côtoyer la nature, elle inspire plus souvent le dégoût que l’admiration. Pourtant, comme pour toutes les espèces, il suffit de la regarder d’un peu plus près et d’en savoir un peu plus pour être subjugué par ces animaux dont la belle étrangeté apparaît avec l’intérêt.

Avec son corps dépourvu de squelette, elle ne se déplace que très peu  – 5 mètres par nuit environ – dans les milieux humides qu’elle affectionne. Très sensible aux températures, elle est plus active au printemps et à l’automne, et se réfugie sous terre dès que le froid devient trop intense (au-dessous de 5 °C) ou encore lorsqu’il fait trop sec. Pour s’orienter, elle agite ses quatres tentacules avec lenteur. Deux d’entre eux portent ses yeux, les deux autres sont tactiles et olfactifs.

Le mucus qu’elle produit, qui aère, lie et hydrate le sol, lui sert de lubrifiant indispensable à son mouvement, et de protection contre la déshydratation et les rayons infrarouges.

Au milieu des 400 espèces d’escargots et de limaces que l’on peut croiser en France, la paisible loche orange (Arion Rufus) est l’une des plus connues.

Phytophages, détritivores, mycophages, nécrophages, parfois même cannibales, son régime alimentaire peut varier selon les espèces. Alors que, dans un écosystème équilibré, les limaces ingèrent la matière organique tout juste morte ou bien malade, nombre de jardiniers et d’agriculteurs déplorent le ravage de leurs cultures par les limaces.

L’anti-limaces tue gastéropodes et prédateurs, laissant un sol pauvre et dégradé, de la santé duquel dépendent pourtant les récoltes. Or, le rôle des limaces est crucial pour les écosystèmes dans lesquelles elle habite, comme le montrait, dans les années 1980, une expérimentation d’Albert Verlhac qui s’est rendu compte que, sans limaces, il n’obtenait pas de truffes. 

Indispensables aux écosystèmes

Pour comprendre le rôle des célèbres gastéropodes, il faut s’intéresser à nos sols qu’Hervé Coves, ingénieur agronome, compare à de « gros appareils digestifs ».

Et pour cause, la majeure partie de la matière organique (feuilles mortes, morceaux de bois, animaux morts,…) qui tombe au sol est digérée par des micro-organismes, notamment des champignons. Ces micro-organismes décomposent la lignine contenue dans la matière organique, et se font, à leur tour, manger par de petits arthropodes (collemboles,…), qui contribuent également à leur dissémination, puisqu’ils ne digèrent pas leurs spores.

Les excréments de ces derniers sont repris par les ver de terre, dans l’appareil digestif desquels ils vont produire des agrégats. Ces agrégats sont constitués de substances minérale et végétale délignifiée, de mucus et de fibres, dont la structure poreuse permet la prolifération de bactéries, et donc la reminéralisation des éléments digérés. Cette minéralisation permet de remettre les éléments nécessaire aux plantes à disposition.

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Les vers de terre représentent un maillon capital de la chaîne de vie du sol

Dans un sol sain, c’est-à-dire abritant une biodiversité importante et dans lequel la vie fongique peut s’épanouir, la majorité de la fonction de digestion du sol est assurée par les micro-organismes. Dans cet écosystème idéal, les limaces n’interviennent que lorsqu’il y a une surabondance localisée de matière organique en décomposition. Hervé Coves illustre :

« IMAGINEZ QU’UNE SALADE (…) COMMENCE À PERDRE SES FEUILLES PAR EN-DESSOUS (…) IL Y A UNE RESSOURCE ALIMENTAIRE PLUS IMPORTANTE À CET ENDROIT-LA. LES LIMACES, PETITS APPAREILS DIGESTIFS AMBULANTS, VONT VENIR LA METABOLISER ET LA REMETTRE DANS LE CIRCUIT POUR QU’ELLE SOIT REPRISE PAR LES VERS DE TERRE (…) LES CHAMPIGNONS NE SONT PAS CAPABLE DE LE FAIRE TOUS SEULS. »

Par ailleurs, les limaces se nourrissent des feuilles de plantes atteintes de maladies. Les champignons pathogènes qui, parfois, colonisent les feuilles – l’exemple des salades est parlant sur ce point –  peuvent diffuser un très grand nombre de spores. Les gastéropodes endossent donc également un rôle de régulation des maladies des plantes. Bien qu’elles ne soient pas les seules à jouer ce rôle, un écosystème trop simplifié – « privé de ses redondances », comme le dit Hervé Covès – pourrait provoquer la prolifération de ces champignons pathogènes.

Le rôle digestif crucial de ces espèces explique sa faculté à s’épanouir dans des habitats extrêmement variés. Présentées comme les ennemies de nos jardins, sa réputation de nuisible est pourtant tenace, et la raison en est simple : les écosystèmes dans lesquels les jardiniers se plaignent de sacrifier leurs cultures au profit des limaces ne sont pas équilibrés.

Comprendre pour réguler

Lorsque Claude Henricot, agriculteur wallon, a été envahi par les limace sur des parcelles récemment acquises au cœur d’un été 2021 humide, la comparaison avec les terrains qu’il exploitait depuis longtemps fut révélatrice : 20 ans d’agriculture en conservation des sols lui avaient permis d’éviter les ravages. Il confiait en 2019 aux visiteurs de sa ferme :

« Cela fait 17 ans que je n’ai pas mis d’anti-limaces, les carabes s’en chargent » 

Les carabes, insectes prédateurs de limaces.

Pour mieux appréhender le sujet, Hervé Coves s’appuie sur un autre exemple d’écosystème : la forêt tropicale. Ayant visité les forêts primaires de Guyane, il s’est étonné que, malgré un nombre annoncé spectaculaire d’espèces de limaces, il n’en ait pas vu beaucoup. Et pour cause, la forêt primaire, en place depuis plusieurs centaines de millions d’années, est un écosystème parfaitement à l’équilibre. Dans ce type d’habitat, les espèces de limaces sont nombreuses, le nombre de limaces, non.

La forêt primaire, forte de plusieurs centaines de millions d’années, est un écosystème parfaitement à l’équilibre. Les limaces n’y prolifèrent donc pas outre mesure.

Lorsque l’écosystème manque de son principal agent de digestion, en l’occurrence les champignons, l’essentiel du rôle est confié aux limaces, d’où leur prolifération. La plupart des jardins, dépourvus d’arbres, de bois et donc de lignine, manquent de champignons qui en sont friands.

Le sol est dégradé, et un processus d’aggradation du terrain doit donc être mis en œuvre. Ce processus n’étant pas immédiat, les limaces peuvent tout de même sévir au printemps lorsque, sorties affamées d’une hibernation de plusieurs mois, elles cherchent avidement à se restaurer. Au cours de cette démarche d’amélioration, dans lequel de la matière organique va être ajoutée au sol en place, cette première phase verra augmenter le nombre de limaces. Le passage de ce cap par une gestion holistique de la population de limaces est toutefois possible. Hervé Coves rappelle que :

« SI LES LIMACES PROSPERENT, C’EST QUE LE SOL A UN PROBLEME DE DIGESTION. »

Certains trouvent refuge dans une gestion chimique des populations de gastéropodes, ne sachant à quel saint se vouer. Outre la dimension cruelle de l’usage d’anti-limaces sur les calmes loches des jardins, ces méthodes se révèlent entretenir le mécanisme, puisqu’elles ne règle pas la difficulté de départ, qui se reproduira chaque année, détériorant toujours plus la vie des sols.


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« La destruction permet de ne plus voir le problème, pas de le régler », explique Hervé Coves. Une autre solution se dessine cependant, les nourrir au sortir de l’hiver et au début de l’automne. Aménager un petit recoin ombragé et humide dans lequel la plantation de crucifères (colza, moutarde,…) à l’odeur délicieuse les attirera directement vers ces petits paradis en snobant le jardin laborieusement travaillé.

Les limaces sont friandes de matière organique lorsqu’elle vient juste de mourir. Le compost les attirera donc tout juste jeté. À un stade plus avancé de décomposition, ce sont les cloportes qui interviennent.

Plus généralement, favoriser une biodiversité étendue et grouillante permet de réguler le phénomène. Dans cette biodiversité fleurissent les champignons, ainsi que les prédateurs des limaces : les hérissons, les crapauds, les oiseaux ainsi que certains insectes comme les carabes ou les staphylins.

Ces derniers aiment les coins non tondus, les vieilles souches, les tas de bois, et détestent les pesticides et anti-limaces, qui, outre leur nocivité mortelle, tuent leurs proies et les empêchent donc de s’installer. L’anti-limaces est, par ailleurs, également fatal aux hérissons. La meilleure façon d’attirer les prédateurs des limaces est donc de ne pas coloniser certaines parties du jardin, et laisser l’écosystème se réinstaller.

Les staphylins, prédateurs de limace. Ils aiment coloniser les endroits qui ne changent pas de place, comme les haies, les tas de pierre ou de bois. Ils fuiront les anti-limaces et autre pesticides. 

« La vie est belle » : ce rappel ouvre et clôt la conférence d’Hervé Coves. Bien qu’anodine et simple en apparence, cette phrase appelle à changer de regard sur le vivant. « Si on a besoin de tuer quelque chose pour vivre, c’est qu’il y a un problème », continue-t-il.

Les limaces nous le rappellent, les sols abritent des processus complexes permettant à la vie de prospérer en son sein et à sa surface. Lorsque les humains interviennent pour se nourrir de cette terre, ils gagnent à le faire de manière, sinon symbiotique, au moins respectueuse de ces processus anciens et fonctionnels – sous peine de devenir nuisibles -.

– Claire d’Abzac


Photo de couverture : Pixabay – Pierre Gilbert

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