La Terre a connu cinq extinctions de masse par le passé, liées entre elles par un point commun : des changements climatiques importants. Alors que la sixième extinction est en cours, il convient de se rappeler que la différence majeure entre notre époque et les autres, est qu’une seule espèce est à l’origine du déclin du vivant sur Terre : Homo Sapiens. Pour comprendre l’ampleur du saccage en cours, analysons les extinctions passées.
Homo Sapiens réchauffe, exploite, coupe, artificialise à un rythme sans précédent et nous conduit à la sixième extinction massive. Par le passé, ce sont aussi des refroidissements et des réchauffements qui ont conduit au déclin massif de la faune et la flore. L’observation de ces phénomènes est indispensable pour réaliser à quel point nous fonçons droit dans le mur, bien plus vite que jamais. Et cette fois, par notre faute.
Des chiffres accablants
Pour n’en donner que quelques-uns, en seulement 50 ans, la taille moyenne des populations sauvages de vertébrés a diminué de 69%. La calotte de glace, pilier d’écosystèmes riches, perd en moyenne 219 milliards de tonnes par an en Antarctique. Les surfaces de forêts incendiées dans le monde représentent environ 6 fois la France chaque année. Entre 1990 et 2020, les émissions de CO2 ont augmenté de 51%.
Dans ce contexte, la biodiversité (dont le rôle dans la préservation du climat a été démontré) est sévèrement menacée. En 2018, le GIEC prédisait que 99% des coraux (vivier de milliers d’espèces marines) disparaîtraient et leur dernier rapport, sorti en mars 2023, nous apprenait que si rien n’est fait d’ici 2100, 75% de l’humanité pourrait mourir de chaud.
Sont en cause les activités humaines. Elles détériorent climat, espaces de vie, végétaux et animaux (dont ceux de son espèce) et ce, à un rythme vertigineux, jamais atteint par aucune des extinctions de masse terriennes connues dans les temps géologiques. La différence dans les échelles de temps, une vision globale de nos activités et la science suffisent à le démonter : nous sommes à blâmer.
Alors que la vie périclite et que la détérioration du climat persévère dans l’indifférence de certains, l’étude d’évènements climatiques passés représente une fenêtre sur un avenir possible.
L’extinction massive du Permien-Trias, ou « la grande mort »
Il y a 252 millions d’années, alors que tous les continent connus aujourd’hui, réunis, formaient la Pangée (abritant en son cœur l’océan Téthys, et entourée de l’océan Panthalassa), la faune et la flore prospéraient sous des formes qui nous sont peu familières. Terres et eaux étaient habités par de grands amphibiens, des reptiles, des mollusques, des fougères, des conifères, et les trilobites régnaient en maîtres dans les océans permiens accueillants.
Lorsqu’un complexe volcanique, « les trapps de Sibérie », entre en éruption, des gaz toxiques et des gaz à effets de serre sont libérés en masse. 14 500 milliards de tonnes de carbone sont relâchées dans l’atmosphère. Jusqu’à 3000 mètres d’épaisseur de lave se déversent sur des étendues gigantesques (environ la taille des États-Unis). Le réchauffement des océans en provoque l’anoxie (manque d’oxygène) ainsi que la libération de molécules de méthane (gaz à effet de serre 25 fois plus puissant que le CO2 en termes de potentiel de réchauffement), jusqu’alors piégées dans la glace.
Des pluies de cendres s’abattent à des milliers de kilomètres des volcans. Il est même possible que des pluies d’acides sulfurique aient participé à l’hécatombe. Ces volcans dévastateurs sont restés actifs durant 1 million d’années. Lorsqu’ils se sont éteints, la température de la Terre avait augmenté de 10 degrés.
La peinture d’après-crise est sordide : eaux de surface à 40 degrés, bouillon de culture sans vie, forêts calcinées, eaux douces colonisées par algues et bactéries toxiques à cause de la déforestation, écosystèmes morts, océans chauds et sans oxygène, à l’agonie.
96% de la vie marine et 70% de la vie terrestre y ont trouvé leur fin, en moins de 100 000 ans. On notera que l’éruption de « super-volcans », qui fait exploser les teneurs en CO2, la température et asphyxie les océans, reste plus lente dans sa destruction que l’occupation de l’espace par l’espèce humaine.
Des leçons à tirer
Émissions massives de CO2, réchauffement climatique, océans acides et appauvris en oxygène… L’extinction la plus mortelle que la Terre ait jamais connue n’est pas sans rappeler la situation actuelle. Car tous les ingrédients de la destruction de la vie à l’époque du Permien peuvent être retrouvés aujourd’hui. Le volcanisme a provoqué une délivrance massive de CO2 dans l’atmosphère (avec des conséquences drastiques sur les populations d’animaux terrestres). Tout comme les activités humaines.
« NOUS SAVONS QUE LES TAUX D’AUGMENTATION DE CO2 OBSERVÉS À L’ÉPOQUE ÉTAIENT SIMILAIRES AU TAUX D’AUGMENTATION ACTUELS, CAUSÉS PAR LES ACTIVITÉS ANTHROPIQUES » Tracy Frank, professeure à l’université du Connecticut
Il y a 252 millions d’années, en raison de l’augmentation historique des teneurs en CO2 atmosphériques, Les océans se sont réchauffés. Aujourd’hui et depuis quelques décennies, les océans se réchauffent. Entre 2000 et 2021, la température moyenne des océans est passée de 13,8°C à 14,4°C, à une profondeur comprise entre 150 et 450 m, et la fonte des glaces, de plus en plus rapide, accentue ce phénomène.
La blancheur éclatante de la glace renvoie les rayons du soleil, mais une mer globalement sombre les absorbe. La conséquence, outre le bouillon de culture sans vie des eaux de surface, est l’anoxie des océans (l’O2 peine à se dissoudre dans les eaux chaudes).
Lors de ce type d’extinctions massives, les signes avant-coureurs sont à prendre au sérieux. Le milieu récifal, habitat de milliers d’espèces marines, est souvent le premier impacté, comme lors de l’extinction du Permien-Trias.
« LE MILIEU RÉCIFAL EST LE SIGNAL D’ALARME, ET LE PREMIER QUI VA ÊTRE ATTEINT DANS CE GENRE DE PROBLÉMATIQUE » Sylvie Crasquin, paléontologue, directrice de recherche au CNRS
Or, depuis quelques années, l’acidification des océans et sa désoxygénation progressive, la surpêche et la pollution ont provoqué un effondrement de de la population de ces animaux marins essentiels. L’alerte est donnée.
Lors de l’extinction du Permien-Trias, la déforestation a provoqué une coulée des sols non retenus dans les eaux douces (rivières, lacs, …) provoquant une hausse en nutriments, propice à la prolifération d’algues et de bactéries, non régulés par les animaux, à présent trop peu nombreux. Combinée à la hausse des gaz à effets de serre et à une température élevée, la déforestation a provoqué la toxicité des points d’eau douce. Or, ce phénomène est également observé par les scientifiques à l’heure actuelle.
« NOUS OBSERVONS DE PLUS EN PLUS D’ALGUES TOXIQUES PROLIFÉRER DANS LES MILIEUX LACUSTRES ET MARINS PEU PROFONDS. » Tracy Frank, professeure à l’université du Connecticut
Multiplication des incendie, désertification des espaces de vie, réchauffement du climat, nombre d’éléments tracent un parallèle perturbant entre la crise d’alors et celle d’aujourd’hui, permettant, non seulement de réaliser que nous sommes en crise, mais également d’avoir une idée précise de ce qui pourrait advenir de l’air, de l’eau, de la flore et de la faune – dont, nous tâcherons de ne pas l’oublier, nous faisons partie.
Des spécificités humaines
Alors que les extinctions massives recensées au cours des temps géologiques sont imputées à des catastrophes climatiques, célestes (astéroïdes) ou volcaniques, la 6ème du nom voit, pour la première fois, émerger un coupable : Homo Sapiens. Alors que sa trace est en passe de traverser les temps géologiques, le constat est sans appel : le comportement d’un certain nombre de représentants de notre espèce est responsable de la destruction organisée de son propre habitat et de toutes les espèces, végétales et animales, qui l’habitent avec lui.
Et la liste est longue (et non exhaustive) : Déforestation, pollution des terres, des eaux et de l’air par les pesticides, les marées noires, les métaux lourds le plastique ou les émissions outrancières de CO2, introduction d’espèces invasives, artificialisation des sols.
« LES ESPÈCES QUI SURVIVENT SONT CELLES QUI SAVENT VIVRE EN HARMONIE AVEC LA NATURE, CEUX QUI SAVENT DONNER ET RECEVOIR. COMME LES TORTUES, QUI EXISTENT DEPUIS 300 MILLIONS D’ANNÉES (…) NOUS, ON EST ZÉRO, SUR LE PLAN DE L’HARMONIE AVEC LA NATURE. ON EST DES SACCAGEURS. » Hubert Reeves, astrophysicien
Les exemples de destruction propres à notre espèce sont nombreux. La faune et la flore en subissent déjà les conséquences. Le modèle actuel dans lequel vivent les humains utilise (de manière scientifiquement non soutenable, du reste) la Terre et ses ressources plutôt que de l’habiter. L’harmonie est oubliée, la production favorisée, la destruction amorcée.
Propre aux conséquences des actions de notre espèce également et à son inventivité destructrice, la rapidité des extinctions est sans précédent. À l’époque du passage au Trias, l’extinction de la vie sur Terre s’était déjà faite en un « clin d’œil » géologique : en moins de 100 000 ans, la biodiversité diminuait drastiquement. Le drame de notre époque s’articule sur une tout autre échelle de vitesse.
« AUJOURD’HUI, LES CONSTATS CONVERGENT POUR DIRE QUE LES ESPèCES S’ÉTEIGNENT ENTRE 100 ET 1000 FOIS PLUS RAPIDEMENT QUE LE TAUX NATUREL D’EXTINCTION ». Florian Kirchner, chargé du programme « Espèces » au comité français de l’UICN
En moyenne, lors des extinctions massives, pour que la majorité des espèces soient totalement éteintes, il faut compter environ 1 million d’années. L’échelle sur laquelle sont constatées les extinctions en cours est incomparable, puisque l’essentiel des dégâts ont démarré au commencement de l’ère industrielle.
On ne parle pas de millions d’années, même pas de milliers d’années. Pour en arriver à des chiffres dramatiques, 150 ans ont suffi. Si les extinctions continuaient de la sorte pour arriver jusqu’au million d’années, resterait-t-il une once de vie sur Terre pour constater les ravages ?
– Claire d’Abzac
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