L’Inde est littéralement en train de brûler avec des températures jamais vues depuis plus d’un siècle. Et cet enfer se normalise peu à peu en différents lieux sur terre. Si chacun se demande comment réagir justement, c’est parfois avec réactance que nous cédons à l’impuissance. En démontre un Tweet qui a fait un « buzz » important sur Internet cette semaine : « Je suis en Inde. Je confirme que le problème, ce n’est pas nos pailles en plastique ». Ah, vraiment ? Édito libre signé Mr Mondialisation.
Ce Tweet de quelques mots circule énormément depuis la vague de chaleur historique qui frappe l’Inde en ce moment. Avec des pointes à 50°C, des pénuries d’eau et des coupures d’électricité, cette canicule est à la limite du supportable pour l’organisme humain. Devant cette chaleur insurmontable qui a fait plusieurs dizaines de morts, certains pointent la moindre importance supposées d’autres causes écologiques. « Je confirme que le problème, ce n’est pas nos pailles en plastique » Tweetait ainsi un français situé en Inde le 4 mai dernier.
Le message séduisant fut relayé sur de nombreux sites, notamment par « Les Répliques » qui laisse sous-entendre que cette réponse serait idéologiquement valide. Leur seul partage va générer près de 4000 réactions et des centaines de partages. Au premier regard, la réplique prête à sourire. Pourquoi s’inquiéter de nos déchets plastiques alors que le monde brûle sous nos yeux ? Si on prend deux minutes pour y réfléchir sérieusement, nous sommes pourtant face à un énorme sophisme, tellement gros qu’il semble nous filer sous le nez.
Des répliques courtes pour ne pas penser grand
On s’est habitué, collectivement, à préférer les petites phrases assassines et les slogans racoleurs aux réflexions de fond : trop longues, trop laborieuses. Dès qu’un texte dépasse les 5 lignes, la visibilité s’effondre, comme si les cerveaux d’aujourd’hui ne pouvaient pas tenir l’effort. Les réseaux sociaux, aux publications toujours plus rapides et nombreuses, nous imposent le niveau d’attention du poisson rouge. Nous n’avons plus le temps de penser. Nous nous contentons bien trop souvent de consommer des shots de pensées prémâchées qui valident nos biais intellectuels, qu’ils soient valides ou non d’ailleurs. Et l’imaginaire collectif qui en découle à de quoi inquiéter.
Peut-on se poser un instant et prendre le temps de réfléchir un minimum sérieusement ? (si la voix d’Aurélien Barrau vous vient en tête, c’est tout à fait normal).
Il n’y a pas UNE lutte, mais des luttes interconnectées
Soyons clairs. Nous sommes en lutte pour la survie de l’humanité et la situation en Inde est évidemment catastrophique et doit attirer notre attention. Comme nous le prévoyons depuis des années, ce sont les plus pauvres qui sont les premiers à payer très cher le prix de notre indifférence, notre capacité à toujours regarder ailleurs, à fuir nos responsabilités, notamment en se cherchant des boucs-émissaires. « Il y a toujours pire ailleurs » et nous sommes très forts à ce jeu.
Le fait est que le changement climatique est UN problème majeur de notre temps. MAIS CE N’EST PAS LE SEUL. L’oublier risque de nous coûter cher.
Nous avons déjà transformé notre planète en enfer à différents niveaux. Le réchauffement climatique fait partie d’une longue liste de conséquences des activités humaines sur la planète. Loin de moi l’idée de vouloir relativiser l’urgence de la question climatique, mais vouloir minimiser les autres problèmes, comme celui du plastique jetable, est une erreur intellectuelle fondamentale. Fondamentale ! Une erreur d’autant plus gave qu’elle va maladroitement diviser des causes nobles inévitablement liées pour essayer de concentrer la lumière uniquement sur le question du climat. Comment en sommes nous arrivés à un tel niveau de réflexion ? Sommes nous à ce point perdus dans la lutte pour la survie ?
Si aujourd’hui nous n’avions aucun problème de climat, les océans seraient quand-même en train de mourir à cause de nos activités. Si aujourd’hui nous n’avions aucun réchauffement climatique, l’effondrement et la fin des ressources seraient également des menaces majeures de l’humanité. Si nous n’avions aucun réchauffement, la biodiversité mondiale s’effondrerait malgré tout sous nos yeux. Alors, oui, c’est AUSSI un problème de pailles en plastique. Et par paille en plastique, il est sous-entendu : la pollution du plastique jetable, sous-produit du pétrole, lui même en première ligne sur les questions du climat. Peut-on admettre enfin que tout est lié, où doit-on encore longtemps tourner autour du pot ?
Vous l’avez compris, cette réplique de la paille en plastique – qui est finalement un classique réactionnaire éculé sous d’autres formulations – est un non-sens intellectuel total. Et le fait que nous en fassions collectivement un objet de buzz en dit long sur notre incapacité de société à comprendre les intrications complexes entre chaque problématiques environnementales. Entre la paille du consommateur lambda qui finira dans le nez d’une tortue et l’Inde qui brûle, il existe un lien manifeste et visible pour les gens qui s’informent de manière holistique : celui de la dévalorisation, de l’in-considération et de la destruction du Vivant. Le voir demande du recul, de la réflexion, de la recherche, pas des pirouettes sémantiques qui nous aident simplement à mieux dormir la nuit.
Ceux qui ne comprennent toujours pas aujourd’hui que nous devons à la fois lutter contre le changement climatique et de recul de la biodiversité sous toutes ses formes, et que leurs causes ont LA MEME ORIGINE, devraient sérieusement se questionner, s’informer et réajuster la paille qu’ils ont dans l’œil. Oui, vos pailles en plastique font AUSSI partie du problème environnemental global. C’est d’autant plus vrai que nous en produisons et jetons plusieurs milliards d’unité chaque année. La paille en plastique, c’est un sous-produit de ce modèle de société contemporain insatiable qui pense la Terre comme une ressource inerte et infinie à disposition, tandis qu’elle est pourtant finie, et constituée de vie(s) sensible(s).
Comme le dit Aurélien Barrau, dont vous avez peut-être toujours la voix en tête : « Il va falloir être raisonnable, c’est-à-dire révolutionnaire »