Si l’industrie des médicaments est régulièrement pointée du doigt, souvent accusée de défendre des intérêts financiers avant le bien-être des patients, l’industrie du matériel médical est plus rarement mise en cause. Pourtant, dans une société où les progrès de plus en plus rapides dans la compréhension du corps humain et le développement de technologies de plus en plus pointues conduisent à une multiplication des interventions chirurgicales, les intérêts financiers sont astronomiques, découvre-t-on dans le documentaire « The bleeding edge » (2018) diffusé sur Netflix. Le film nous expose comment, aux États-Unis, l’usage de nouveaux dispositifs met la santé de nombreuses personnes en danger, alors que les instances de contrôle et même les médecins sont régulièrement soupçonnés de collusion avec les fabricants.
En France, le chiffre d’affaires global toutes activités confondues pour les dispositifs médicaux était de 21 milliards d’euros en 2011. Dans le monde, la valeur de l’industrie du matériel médical se compte en centaine de milliards par an. Aux États-Unis, où le recours aux techniques de pointe et aux interventions chirurgicales est élevé, le matériel médical « est un mode de vie » détaille Jim Spencer, qui intervient dans les premières minutes du documentaire Netflix.
Des patients victimes de dispositifs médicaux sortent du silence
The Bleeding Edge se penche sur le cas de personnes qui ont été lésées par les opérations qu’elles ont subies. Il donne notamment la parole à plusieurs femmes ayant eu recours aux implants contraceptifs « Essure » de Bayer (lancés en 2002). Le dispositif de contraception définitive, utilisé par près d’un million de femmes dans le monde, est particulièrement critiqué en raison des nombreux effets non désirés relevés, notamment des saignements importants et des douleurs. Leur commercialisation s’arrêtera d’ailleurs prochainement aux États-Unis – dernier pays où le produit était toujours autorisé à la vente – suite à une annonce de l’industriel fin juillet . Une décision qui fait suite à de nombreuses plaintes et une action de groupe intentée par des milliers de patientes contre la firme allemande. Le produit n’était plus commercialisé en Europe depuis 2017. Au fil des interviews, on découvre également les souffrances de personnes portant des prothèses composées de cobalt, ces dernières étant soupçonnées de causer des troubles psychologiques ainsi que des lésions internes.
Dans le cas présent, les effets secondaires importants occasionnés après différentes formes de chirurgie (médicale ou non), ne sont pas la conséquence d’erreurs, mais de défauts liés aux technologies utilisées. Mais les enjeux financiers semblent tellement importants qu’on assiste à une inertie quant à leur contrôle. Le titre du documentaire, The Bleeding edge, y fait d’ailleurs directement référence, puisque cette expression est employée pour désigner des technologies si neuves que les scientifiques et fabricants n’ont pas le recul nécessaire pour connaître tous les risques que comporte éventuellement leur usage. C’est « sur le tas » que les spécialistes les découvrent.
Des contrôles défectueux et des soupçons de corruption
Outre-Atlantique, découvre-t-on dans The Bleeding Edge, tous les arguments sont bons pour mettre en vente de nouveaux produits. En raison de processus de contrôle de mise sur le marché défectueux, d’importantes dérives sont pourtant constatées : « les entreprises peuvent développer de nouveaux produits, pas plus sûrs ou efficaces que d’autres produits sur le marché et feront des campagnes publicitaires auprès des médecins et hôpitaux pour augmenter leurs bénéfices« . Les patients, censés être soignés ou qui souhaitent accéder à de meilleures conditions de vie sont les premières victimes.
Pour être mise sur le marché, une nouvelle technologie médicale doit obtenir une autorisation préalable de l’« Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux » (Food and Drug Administration – FDA). Mais l’instance est régulièrement pointée pour la faiblesse des contrôles et accusée de collusion avec les industriels, de corruption et de favoriser les intérêts de certaines entreprises. Par ailleurs, pour bon nombre de nouveaux procédés, une autorisation n’est pas requise, au motif qu’ils reposeraient sur des dispositifs sensiblement équivalents à ceux d’une technologie autorisée précédemment. Enfin, les industriels interviennent au plus près de corps médicaux pour influencer leurs pratiques et les encourager à recourir à certaines techniques plutôt qu’à d’autres.
Le documentaire filmé dans un format grand public nord-américain permet de découvrir les dessous de l’industrie médicale sous un nouvel angle. Il met en lumière le combat de celles et ceux qui souffrent des effets secondaires de certains matériels médicaux, mais interroge aussi à propos des choix collectifs face aux nouvelles technologies souvent pleines de promesses et notre difficulté à affronter les causes de nombreuses maladies évitables.
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